La VIe République? Une IVe de retour!

 

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Mon très estimé camarade Jérôme Leroy nous a indiqué son souhait de voir instaurer en France une VIe République. Il penche pour un régime primo-ministériel avec une vraie proportionnelle. Pour cela, il brocarde à raison la fable de la coïncidence presque mystique entre le désir des Français et la volonté d’un chef, à l’occasion de l’élection présidentielle. Le tableau qu’il dresse de l’état de notre pays est pertinent et je le partage, mais les institutions en sont-elles la cause, et le retour au parlementarisme la solution ? Et qu’y mettrait-on, dans cette nouvelle République ? J’avais dit dans ces colonnes ma surprise devant l’amateurisme des propositions du Parti de Gauche. En son temps Montebourg nous avait également joué cette musique. Comme souvent, il s’est rapidement désintéressé de cette partition. Et on revient bredouille d’une pêche aux informations sur Internet.

C’est ennuyeux, car ce débat institutionnel est nécessaire. Et une Constitution, ça ne s’improvise pas. Alors, avant de tuer le malade, peut-être serait-il nécessaire de diagnostiquer son cas, et d’identifier les origines de sa pathologie ? Le droit Constitutionnel est élaboré par la rencontre de la théorie qui en a dégagé des principes et identifié les modèles, avec la pratique historique spécifique de chacun des pays concernés. La France, de ce point de vue, a une histoire très particulière. Depuis la Révolution Française, notre pays a élaboré 22 textes fondamentaux. Dont 16 ont été effectivement appliqués. Joli palmarès, lorsque l’on songe à la Constitution Américaine adoptée en 1787, qui comportait 7 articles et n’a jamais bougé depuis sauf par l’adoption de 27 amendements, les 10 premiers constituant une déclaration des droits du citoyen. Pendant la même période, nous en avons élaboré et adopté en moyenne une tous les dix ans !

Jérôme, et il n’est pas le seul, nous propose de revenir au parlementarisme. Auquel s’oppose le système mis en place sous l’égide du général de Gaulle en 1958. Qui a tenté une synthèse entre un régime présidentiel incomplet et un régime parlementaire. Au contraire des États-Unis, où il existe une stricte séparation des pouvoirs, en France, si le Président n’est responsable que devant le peuple, le gouvernement qu’il désigne engage sa responsabilité devant le parlement. Les systèmes parlementaires qui furent ceux des IIIe et IVe Républiques étaient à peu près chimiquement purs. L’exécutif était assumé par un gouvernement émanation directe du parlement et strictement contrôlé par celui-ci. Le Président de la République, élu par les chambres réunies, inaugurait les chrysanthèmes. Le choix du Président du Conseil, et la composition du gouvernement étaient l’objet de tractations, de compromis, de renvois d’ascenseur, générant des équilibres subtils qui rendaient ces gouvernements fragiles et leur assuraient une espérance de vie assez courte assortie d’une efficacité très relative. Les gouvernements passaient, mais l’organisation mise en place par Napoléon avait doté notre pays d’une armature administrative très solide, permettant ainsi de compenser la faiblesse de l’exécutif. La victoire dans la Grande Guerre n’est pas à mettre à l’actif du système parlementaire. C’est d’abord l’Union Nationale qui fut le moteur de l’effort énorme produit.

Le parlementarisme ne s’en remettra pas. Aboutissant à l’anéantissement de juin 1940. L’État gangrené par la culture du compromis et les atermoiements propres à ce système sera incapable d’affronter l’épreuve. Paul Reynaud, Président du Conseil démissionnera piteusement et sans véritable raison le 17 juin pour laisser la place à la trahison de Philippe Pétain avalisée le 10 juillet à Vichy par l’Assemblée Nationale.

Que dire de la restauration de ce système, en pire en 1946 ? Malgré l’opposition de Charles de Gaulle et les espoirs des jeunes de la France Libre, les vieilles habitudes reprirent le dessus. Quelques vieux chevaux de retour qui avait échappé à l’indignité nationale, alliés à quelques ambitieux pressés, obtinrent  la mise en place d’un dispositif qui aggravait les défauts de la IIIe. La Chambre devint l’endroit de toutes les combinaisons, des arrangements, des compromis boiteux. Les petits partis charnières furent les maîtres du jeu. L’espérance de vie des gouvernements variait de quelques mois à quelques jours. La France était pourtant, après la deuxième guerre mondiale confrontée à toute une série de défis dont le moindre n’était pas la décolonisation. Faute d’un pouvoir exécutif légitime, elle n’en releva convenablement aucun. Élu pour faire la paix en Algérie, Guy Mollet, de renoncements en capitulations, amena la France au bord de la guerre civile en 1958. De Gaulle nous en préserva par une opération de virtuosité politique époustouflante.

Adoptée par référendum, sa Constitution était le fruit d’une réflexion commencée à Londres, exprimée dans le fameux discours de Bayeux, et poursuivie pendant les douze ans de la « traversée du désert ». Le système était donc hybride. Un Président de la République, élu dans une première mouture par un collège élargi, puis rapidement  (réforme de 1962, appliquée dès 1965) au suffrage universel et disposant directement des grands pouvoirs régaliens. Un gouvernement nommé par lui, mais responsable devant l’Assemblée nationale. Un des principes fondamentaux mais peu connu était celui de la séparation nette du domaine de la loi, compétence du Parlement et celui du règlement (décret) compétence du gouvernement. Le tout accompagné de mesures qui, incontestablement, en assurant la séparation des pouvoirs, donnait une grande prééminence, au nom de l’efficacité, à l’exécutif tout en assurant sa stabilité. Le système fonctionne depuis 56 ans, accepté par le peuple français comme le démontre la participation à l’élection présidentielle, clé de voûte du système.

Mais c’est lui qu’on accuse aujourd’hui. Soit en prétendant qu’il est directement à l’origine de la crise, soit qu’il est incapable de la régler. La crise économique, financière, la fracture sociale, la récession, la médiocrité du personnel politique, la désindustrialisation de la France, l’impasse européenne, etc. La Constitution, on vous dit ! Tout n’est pas complètement faux, mais alors pourquoi ? Justement parce que, par un lent travail de grignotage, on a  vidé la loi fondamentale de l’essentiel de sa substance. «Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante » disait Montesquieu. Alors que dire de la loi fondamentale. Pourtant, depuis vingt  ans il y a eu pas moins de 20 révisions constitutionnelles ! C’est carrément la maladie de Parkinson !

D’abord, pour permettre des transferts de souveraineté à l’Union européenne. Non pas pour que certaines décisions auparavant du ressort du seul peuple français, relèvent d’un autre degré de délibération démocratique, mais pour les ossifier dans des traités à valeur constitutionnelle ! Plus le droit d’en débattre plus le droit de décider. Rappelons-nous le référendum de 2005…

Ensuite, un lent grignotage pour rogner les ailes de l’exécutif efficace prévu par le texte d’origine. Toute une série de mesures peuvent apparaître dans un premier temps comme des détails mais n’en sont pas. Les conditions de saisine du Conseil constitutionnel par exemple. Celui-ci a pu ainsi étendre cette prérogative de façon abusive. On peut dire que c’est chez lui désormais que réside une grande part de la souveraineté législative par la capacité qui lui a été donnée de censurer les lois avant leur promulgation, et désormais après avec la Question Prioritaire de Constitutionnalité après. Autre exemple, auparavant un parlementaire qui devenait ministre perdait son siège. Lorsque ses fonctions prenaient fin, s’il voulait retourner à l’Assemblée, il fallait repasser devant les électeurs. Cette mesure était destinée à assurer la cohérence et la cohésion ministérielle. Depuis 2008, ce n’est plus le cas, et permet petits aller-retours et arrangements de toutes sortes. Et l’on voit François Hollande composer ses gouvernements, à partir d’équilibres politiciens et dans le but de satisfaire tout le monde. Comme sous la IVe…

Que dire du passage au quinquennat et de l’inversion du calendrier qui fait des élections législatives un appendice des élections présidentielles ?

Dispensons-nous de la litanie de toutes ces hérésies, qui ont fini par vider la Constitution de 1958 de sa substance réelle. Si aujourd’hui notre système institutionnel boîte bas, c’est parce qu’on l’a dénaturé.

Alors, plutôt que de réclamer le passage à une VIe république, utopie commode qui évite de se poser les vrais problèmes et de les prendre à bras-le-corps, plutôt que de laisser au Front national la défense d’un certain nombre de principes, épurons la Ve République en y restaurant les mécanismes qui ont fait sa force.

Régis de Castelnau

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