La Justice n’a pas cédé aux malfaisants.
Qui est à l’origine du piège tendu à la Justice avec l’audiencement absurde et disons-le odieux de ce bout de dossier de l’affaire d’Outreau ? Qui a eu l’idée d’infliger à une Cour d’Assises cette épreuve dont fort heureusement le doigté et l’autorité de magistrats a permis de sortir sans scandale ? En fait, les réponses à cette question sont assez simples. Les malfaisants sont connus et finalement, cela aura été le seul mérite de les faire enfin apparaître au grand jour. Une curieuse alliance de groupes sectaires avec cette partie désormais très minoritaire de la magistrature.
Tout le monde se souvient de l’affaire d’Outreau et de la terrible catastrophe judiciaire. Commission d’enquête parlementaire, livres et films en ont décortiqué les mécanismes et restitué la dimension humaine. Il restait dans un placard un petit bout de dossier, car l’un des innocents acquittés, avait été accusé de faits qui se seraient déroulés pendant sa minorité. Par conséquent de la compétence de la Cour d’Assises des mineurs, qui bien évidemment n’avait jamais été saisie. Pour deux raisons essentielles, la première étant l’évidente innocence, et la deuxième le caractère radicalement inutilisable d’un dossier d’instruction sinistré. Tout le monde attendait que tombe la prescription et qu’on n’en parle plus. Tout le monde ?
Non, car depuis quinze ans une bande d’illuminés, organisés en véritables sectes, continuent, tout à l’assouvissement de ses fantasmes, à prétendre contre l’évidence qu’il y avait bien des réseaux de notables pédophiles à Outreau. Accompagnés de stars du complotisme (1), se servant abusivement du bouclier de « la protection de l’enfance » et surfant sur l’horreur de la pédophilie, ils multiplient les pressions sur la justice, et embrigadent tous les fragiles qui passent à leur portée à coups de psychologie de bazar, de « souvenirs retrouvés » et autres insanités. Tous ceux qui s’opposent à ces entreprises délétères font l’objet de campagnes d’intimidation et d’injures (2). Il serait plus que temps que les pouvoirs publics se penchent sur l’activité de ces groupes qui ont fait de la manipulation leur gagne-pain.
Le problème est que cet activisme est rentré en résonance avec celui de ces magistrats qui ne se sont pas remis du traumatisme d’Outreau. Et qui estiment toujours que l’institution judiciaire a été injustement mise en cause. À la surprise même de ces « associations », qui appelaient l’attention sur la prochaine prescription, il s’est trouvé un procureur pour réagir instantanément et organiser le renvoi devant la Cour. Démarche soutenue par un syndicat très minoritaire. Car le traumatisme existe, même si le déroulement des débats vient de démontrer au travers de leur conduite par un président ferme et du rôle de l’avocat général requérant l’acquittement, qu’il avait été largement surmonté. Le magistrat en cause, dûment convoqué pour témoigner devant la Cour d’Assises n’a pas daigné se déplacer…
L’affaire d’Outreau dans toutes ses phases, avait révélé les difficultés d’une institution judiciaire de se remettre en cause. Lorsqu’elle éclata, les organisations représentatives de la magistrature jusqu’aux élèves de l’ENM eurent des prises de position et des comportements d’un étonnant corporatisme. Il faut dire, que l’agression des médias passés d’un extrême à l’autre fut incontestablement violente.
Et pourtant, ceux qui fréquentent régulièrement les magistrats savaient que la grande majorité d’entre eux était consternée. Beaucoup fut dit, sur la tragédie judiciaire, sur l’innocence bafouée, sur la nuisible sacralisation de la parole de l’enfant. Peu cependant, en dehors des habituelles propositions de réforme législative, sur le fonctionnement global de l’institution judiciaire, dont Outreau n’était que le révélateur.
Les magistrats mis en cause largement soutenus par l’ensemble du corps donnèrent alors l’impression de vivre dans un monde simple. Un monde où les avocats sont arrogants et complices des criminels qu’ils défendent, un monde où les magistrats sont infaillibles, bénéficiant d’une protection absolue contre toute critique.
Pourtant, hier comme aujourd’hui, le défi central auquel est confronté l’appareil judiciaire français est celui de sa capacité à être l’outil de régulation qu’exige notre fonctionnement social. Longtemps courroie de transmission du pouvoir d’Etat, la Justice s’est émancipée depuis 30 ans devenant un pouvoir autonome. L’Etat de droit assigne une position centrale à l’institution. Cette évolution est irréversible, spécifique aux sociétés développées et ne constitue pas l’importation d’on ne sait quel modèle anglo-saxon.
Comment assumer cette nouvelle mission, ces nouvelles fonctions ? Les magistrats de notre pays ont hérité de l’Etat dont ils sont issus un sentiment d’infaillibilité. Non qu’ils se sentent individuellement infaillibles, mais ils ont le sentiment que le corps auquel ils appartiennent doit l’être. D’où la difficulté à accepter ses propres erreurs et à les corriger.
En second lieu, les outils de contrôle que sont le respect du principe du contradictoire, la collégialité, le double degré de juridiction progresse mais ont encore du mal à prendre le pas sur la solidarité de corps. On ne désavoue pas un collègue. Ce grave défaut que l’on rencontre au sein de nombreuses institutions est cependant ici beaucoup moins acceptable.
Enfin et surtout, il y a l’amour de l’Ordre. La culture de l’impartialité est malheureusement insuffisante. On le voit bien dès que l’on est en présence d’une «cause» : lutte contre la corruption publique, enfance maltraitée, santé publique, lutte contre l’insécurité. Nombreux sont ceux qui, soutenu souvent par l’opinion, considèrent alors que «la fin justifie les moyens» et que la procédure, les principes, les droits de la défense sont autant d’obstacles à l’accomplissement de ce qui est, depuis toujours, vécu comme la mission sacrée : maintenir l’ordre.
Beaucoup de magistrats se vivent rarement comme des arbitres. La partialité est même dans certaines matières revendiquée, comme on l’a constaté dans les dévoiements dans le traitement d’affaires politico-financières récentes. Le « mur des cons », le jugement de Cayenne dans l’affaire de la banane, la décision du tribunal administratif de Nice dans l’affaire des pâtisseries « racistes », la jurisprudence en matière de secret professionnel démontrent qu’il y a encore du travail.
Mais finalement cette seconde affaire d’Outreau aura eu un double mérite. Au-delà de ça la souffrance infligée à l’accusé, aux acquittés venus témoigner, et aux enfants victimes manipulés, elle aura permis le dévoilement de l’existence et du comportement de ces sectes, et de constater que l’institution judiciaire avait repris son sang-froid et sa capacité, quand c’est nécessaire, à résister aux pressions.
- On y trouve Alain Soral, Karl Zéro, Serge Garde, rien que du beau linge.
- L’avocate Florence Rault et le psychiatre Paul Bensussan, qui mènent le combat contre les dérives sectaires de la protection de l’enfance depuis quinze ans sont les cibles principales de ces traitements particuliers.
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