Le diable Jupitérien est dans les détails

 

Les médias amis de Jupiter, font une présentation édulcorée de ce que l’on nous prépare pour mettre à bas le droit du travail français. Pourtant d’après les informations et les bruits de couloir dont on peut disposer, la technostructure qui est à la manœuvre, pilotée depuis l’Élysée nous concocte de jolies choses.

Il sera temps lorsque les projets d’ordonnance vont circuler de faire un point complet, mais il n’est pas inintéressant de prendre un peu d’avance. Des bruits insistants nous annoncent  la fin du fameux article L-122-12 du code du travail qui a fait transpirer beaucoup de juristes, et qui s’appelle aujourd’hui L 1224-1. Il dispose :

« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. »

Cette réglementation tout à fait essentielle organise le transfert de tous les contrats de travail au nouvel employeur qui a repris une activité exercée par une autre entreprise, quelle que soit la forme de cette reprise. Cette mesure est très importante dans le domaine des services publics, ceux que l’on ne voit pas s’effectuer mais qui sont tout à fait essentiels pour notre vie de tous les jours

À force de vivre dans une société complexe mais surtout très organisée, on oublie que lorsque nos enfants mangent à la cantine, il y a quelqu’un qui a préparé la bouffe, que lorsque l’on dépose nos poubelles sur le trottoir, il y a des gens qui vont les ramasser et d’autres qui vont les traiter pour les éliminer. Et quand on ouvre notre robinet, l’arrivée de l’eau courante est due au fait qu’il y a des gens qui s’activent. Cela vaut pour les transports aussi, et pour toutes ces activités qui relèvent de ce que l’on appelle le service public. Mais qui est un domaine où la remise en concurrence périodique est obligatoire.

Ainsi par exemple la société de restauration qui fournit les hôpitaux, les cantines, les prisons etc. etc. peut très bien perdre un marché à la remise en concurrence, les clients considérant que leur offre n’est pas la meilleure, la moins-disante comme on dit. La règle veut que le nouvel attributaire prenne en charge les contrats de travail en cours, qui liaient les salariés à l’ancien attributaire. La loi El Khomry avait bien sûr prévu de faire sauter cette règle protectrice des salariés, pensez donc. L’opposition des syndicats a permis qu’elle ne soit qu’un peu abîmée mais l’obligation de reprise est restée. Il semble que sur le Panthéon à l’Élysée, on en ait décidé autrement. Ce ne sont que des bruits, mais très inquiétants.

Le champ de la « propreté » est particulièrement concerné. Il s’agit de tout ce qui concerne la question des déchets, ménagers ou industriels, domaines ou les salariés ne s’appellent plus « éboueurs » mais « agents ». Et aussi les activités de ménage, celui assuré par des « techniciens de surface », en générale techniciennes, celle que l’on voit tôt le matin, se presser dans le métro ou sur les trottoirs, vers tous ces endroits qui devront être propres pour l’arrivée des cols blancs. C’est le domaine des ateliers non mixtes dont on a déjà parlé.

Et bien voyez-vous, comme le disent d’une seule voix Junker, Schaüble, Merkel et Moscovici, « la France doit réformer, non mais ! » Les éditorialistes de la presse qui savent tout mais ne comprennent pas grand-chose, attendent avec gourmandise les trains de mesures qui non seulement ne feront pas reculer le chômage mais vont l’aggraver.

Pourquoi le passage à la trappe de l’« article L1224-1» du code de travail serait-il particulièrement pervers ?

Pour l’expliquer, prenons l’exemple de la question de la collecte et du traitement des déchets ménagers. Ces services publics ont en général été délégués à des professionnels, des grandes sociétés de services dont il faut d’ailleurs passer son temps à dire du mal parce qu’elles font des profits, et en général font plutôt bien le boulot. Pour faire joli elles appellent ça « la propreté » et emploient près de 400 000 salariés. En Île-de-France 60 % de ceux-ci sont originaires de pays hors-UE. Et il suffit de les regarder aux culs des camions poubelles pour savoir de qui il s’agit. Ateliers non mixtes encore. Les grandes sociétés, pour des raisons d’efficacité mais aussi en raison des exigences justifiées des personnes publiques qui lancent les appels d’offres, ont mis en place des systèmes, de formation et d’intégration des populations d’origine immigrée qu’elles emploient. C’est peu connu et c’est dommage, car si le Capital exploite, il n’est pas fou et se montre capable d’une intelligence à moyen terme. Les grands opérateurs savent, lorsqu’ils concourent à un appel d’offres, qu’ils peuvent le perdre. Mais ils ont cette garantie que dans ce cas les salariés seront repris par le nouvel exploitant qui en aura l’obligation.

Imaginons que celle-ci disparaisse. Conséquence, la société évincée sera contrainte de licencier tous les salariés auparavant affectés à cette activité qu’elle a perdue. On imagine la catastrophe. On imagine aussi la façon dont risque de se dérouler la concurrence avec une guerre des prix par le bas, où il sera facile de pratiquer un dumping salarial meurtrier. Pour faire le sale boulot, le boulot dur, ce ne sont pas les bras des immigrés, clandestins ou pas qui manquent et qui sont prêts à tout accepter. Il sera facile d’être le moins disant, dès lors que les freins à l’exploitation auront sauté. « Il fallait à mon concurrent 20 personnes pour faire un boulot, je m’engage à le faire avec 10. Il les payait au-dessus du SMIC, je m’engage à essayer de les payer moins. En plus, j’ai des filières pour faire venir des immigrés dociles qui ne se mettront jamais en grève etc. etc. » Caricature ? Est-ce si sûr ?

Le diable, jupitérien ou pas, se loge toujours dans les détails et il risque d’y en avoir beaucoup de cette sorte.

 

 

 

Régis de Castelnau

2 Commentaires

  1. Un aspect social que la rudologie devrait ajouter à ses champs d’analyse. Tout discours écologique sans perspective sociale reste un discours de marketing lénifiant.

  2. Merci, cher Maître, de faire part des implications de cette évolution législative envisagée, qui marque une rupture dans l’équilibre des rapports contractuels dans des secteurs employant une forte main d’oeuvre, et porte en elle le risque d’une précarisation de ces emplois et des pratiques de gestion du personnel.

Laisser un commentaire