«Comme d’habitude, nous ne ferons rien ». Cette phrase de Claude Cheysson, ministre des affaires étrangères de François Mitterrand au moment de l’instauration de l’état de guerre en Pologne en décembre 1981 pourrait tout à fait être prononcée aujourd’hui par les dirigeants européens. Malgré le choeur de l’indignation hypocrite entendu à la suite des dernières révélations d’Edwards Snowden, relatives à l’espionnage de l’Union Européenne et des pays de la Communauté mis en place par les États-Unis. Comment peut-on jouer les étonnés? Depuis près de 70 ans, l’Occident s’en est remis à la puissance américaine et à son parapluie. La construction européenne a accouché d’un nain politique, incapable de protéger ce qui lui reste de puissance économique. François Hollande, aussi crédible, avec ses coups de menton que lorsqu’il annonce la baisse du chômage? Manuel Barroso dont la fermeté vis-à-vis des États-Unis trouvera ses limites dans la recherche de son point de chute à leur service dès son départ de la Commission? Daniel Cohn-Bendit qui a goûté à tous les râteliers, mais avec une constante, se faire le fourrier de la « concurrence libre et non faussée »? David Cameron, dernier représentant d’une dynastie de caniches des États-Unis ? Bien sûr, qu’ils savaient, et en tout cas s’en doutaient. Leurs protestations surjouées d’aujourd’hui sont autant de mensonges. Les États-Unis feront le gros dos, et tout continuera comme avant. Pour Obama, franchement, l’Europe ? Même pas peur. Comme il vient de le déclarer : « espionner la France ? Nous n’en avons pas besoin. Il me suffit de téléphoner au président Houlan (!) pour savoir ce que pensent les Français… » On n’est pas plus désinvolte.
D’aucuns pourront considérer cette analyse comme pessimiste, voire résignée. N’est-elle pas simplement réaliste ?
Edwards Snowden un héros ? À qui nous devrions accorder l’asile politique? Ce n’est peut-être pas si simple. Dans une interview au Guardian celui-ci a notamment déclaré : « je ne veux pas vivre dans une société qui fait ce genre de choses. Je ne veux pas vivre dans un monde où tout ce que je fais et dit est enregistré. Ce n’est pas une chose avec laquelle je veux vivre ou que je veux supporter. (…) Mon seul but est d’informer le public sur ce qui a été fait en son nom et ce qui est fait contre lui ». Le problème est que cette belle appréciation morale, se fracasse sur les réalités géopolitiques et géostratégiques. Qui peut sérieusement contester aux États-Unis la possibilité de mettre en place les outils destinés à préserver sa prééminence et son hégémonie ? De toute façon, Ils l’ont toujours fait. Le réalisme, voire le cynisme fait en général bon ménage avec la raison d’État. On peut sourire, lorsque l’on voit Obama aller se recueillir avec Madame dans la cellule de Robben Island, en se rappelant que les USA, comme d’ailleurs la France, ont longtemps soutenu l’apartheid. Il n’y avait pas que Jean-Marie Le Pen pour qualifier Mandela de terroriste, n’est-ce pas Mme Thatcher? À cette époque, les plus sûrs alliés de Mandela et de l’ANC étaient l’Union soviétique et Cuba… Mais il y aura du monde aux obsèques de Madiba, beaucoup de monde.
Alors, je n’aimerais pas être à la place d’Edwards Snowden. Le sort des «lanceurs d’alerte » n’est en général pas enviable. Sans aller jusqu’à ces déserteurs de la Whermacht qui avaient traversé les lignes le 21 juin 1941 pour prévenir l’URSS de l’agression imminente et que Staline avait fait fusiller comme provocateurs. La plupart des Américains considèrent Snowden comme un traître. Il a beaucoup d’amis proclamés, aujourd’hui de par le monde. Les rangs seront peut-être plus clairsemés demain. Déjà, Vladimir Poutine, qui annonce, pour satisfaire son opinion publique, qu’il est prêt à lui accorder l’asile politique, mais à condition que le « lanceur d’alertes » cesse immédiatement de lancer des alertes…
Ensuite, puisque les protestations indignées seront à l’évidence sans effet, que faudrait-il faire? Malheureusement, on ne peut rien faire, c’est désormais trop tard. Depuis plus de 15 ans, les États-Unis ont mis en place un système mondial de surveillance et de contrôle généralisé. Ils se sont dotés, en bons réalistes, des moyens des cyberguerres qui s’annoncent. Les russes et les chinois, font probablement la même chose, mais pas avec les mêmes moyens.
«Ce système politico-industriel, technoscientifique et médiatique américain a mis en place depuis quinze ans un dispositif de prise de pouvoir qui se comporte aujourd’hui comme une bastille imprenable »(1). Celui-ci reposerait, d’après les spécialistes, sur deux fondements :
– la mise en mémoire globale, dans le centre de l’Utah géré par la NSA, tout d’abord, de toutes les données « ciblées » recueillies par des systèmes d’espionnage mis en place depuis des années. Mais aussi, l’ensemble des informations personnelles et économiques qui circulent dans les réseaux numériques mises par les milliards d’utilisateurs de l’internet. Les informations peuvent être piratées, mais, elles sont en général fournies par les grands opérateurs Facebook, Skype, Google, qui sont tous américains…
-Le deuxième pilier résulte du fait que «les bases de données ainsi mémorisées sont dorénavant lues et analysées, non par des opérateurs humains qui en seraient incapables, mais par des programmes logiciels développés à partir de milliards de dollars de contrats par des entreprises de haute technologie spécialisées dans la recherche et le contrôle. »(2) Voilà le Big Brother, le vrai.
Et bien sûr, tout ceci au service de la République impériale, sur le terrain de la guerre économique ou sur d’autres champs d’affrontements. Avec le terrorisme comme prétexte irréfutable.
Riposter, changer le rapport de force ? Faire autre chose que de dresser des remparts de sable ?
Pour cela, il faudrait avoir les milliards et la volonté politique.
À l’époque de la guerre froide, la France s’était dotée de la force de frappe. Travail commencé par la IVe République et terminée par de Gaulle. Pour lutter, l’Europe d’aujourd’hui (à 28), dispose de l’austérité, de l’euro et de Manuel Barroso. Cela risque de faire un peu juste. Reste la méthode Cohn-Bendit : « si les Américains continuent, il faudra aller en justice… ». Voilà la solution ! Merci Dany !
On terminera par un petit salut à Julian Assange, Bradley Mannings et Edwards Snowden. En leur souhaitant sincèrement bonne chance. Et de ne pas subir le sort de Mordechaï Vanunu, ou pire celui d’Alexandre Litvinenko.
(1) Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin. article publié sur Facebook 11 juin 2013
(2) Ibid