De l’Elysée à la BPCE, il y a bien conflit d’intérêts
L’ensemble des médias a répercuté l’information selon laquelle François Pérol, haut fonctionnaire et ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée, venait d’être mis en examen pour « prise illégale d’intérêts ». Infraction prévue et réprimée par les articles « L 432-12 et 432-13 » du code pénal. De quoi s’agit-il ? Le «conflit d’intérêts», concept déontologique, n’est pas directement une faute pénale. Mais le code pénal prévoit bien une infraction pour sanctionner le mélange entre intérêt public et intérêt privé. Avant le nouveau Code pénal (1994) cela s’appelait l’ingérence. Créé au XIXe siècle, ce délit est aujourd’hui précisé par une jurisprudence abondante.
Ce qui est reproché à François Pérol, c’est d’avoir suivi pour le compte de l’État (même simplement par des conseils), la restructuration de la Banque populaire Caisses d’épargne (BPCE). Pour ensuite en prendre la présidence… Il n’y a pas là de malhonnêteté, d’atteinte à la morale, mais cela fait peser a posteriori le soupçon sur les décisions prises à l’époque.
Que répriment les textes ? Le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique (élu, agent public, fonctionnaire) de mélanger les casquettes en suivant une affaire dans laquelle elle aurait un intérêt privé quelconque, direct ou indirect, qu’il soit matériel ou moral.
Il s’agit d’éviter que la «décision publique» puisse encourir le soupçon de ne pas avoir été prise pour de purs motifs d’intérêt général. Tout élément pouvant permettre de soupçonner une «pollution» par des motifs d’intérêt privé, doit être écarté. Le texte sanctionne, non pas des faits, mais une situation. Qui pourrait affaiblir «l’impartialité de la décision publique » qui doit être chimiquement pure.
S’ils ont eu, en raison de leur responsabilité de fonctionnaires, «la surveillance et l’administration d’une affaire», ils ne peuvent pas, pendant trois ans, prendre des intérêts quelconques (emploi, responsabilité, capital) dans une des sociétés qu’ils ont eues à « surveiller ». C’est l’interdiction de ce que l’on appelle familièrement le « pantouflage ». Exercice très fréquemment pratiqué par notre haute fonction publique.
Les Romains, qui avaient tout compris avant tout le monde avaient mis, par Plutarque interposé, dans la bouche de César la phrase suivante : « la femme de César ne doit pas être soupçonnée ». Celui-ci avait répudié sa troisième épouse sans aucune preuve. Bien évidemment, cela ne veut pas dire que personnalités et institutions publiques soient intouchables, mais qu’elles doivent être tellement irréprochables qu’aucun soupçon ne puisse peser sur elles. Sinon elles doivent être écartées ou destituées, avant même de savoir si les soupçons sont justifiés ou non.
Et manifestement, cette pratique n’est aujourd’hui plus tolérée. Parce qu’elle n’est plus acceptable. Emmanuel Todd a raison de dire que c’est moins le patrimoine de nos élus qui pose problème que celui de ces hauts fonctionnaires formés aux frais du contribuable avant de se recycler dans le privé. Souvent pour y faire fortune. Souvent aussi pour y provoquer d’énormes désastres comme le Crédit Lyonnais ou Elf. La voie royale est en général, après l’inspection des finances le passage par les deux banques d’affaires phares que sont Lazare et Rothschild. N’est-ce pas M. Pigasse, n’est-ce pas M. Bazire ? Il est intéressant de consulter les organigrammes des grandes entreprises françaises, surtout celles qui relevaient du secteur public, avant les grandes privatisations. Le système est d’autant plus critiquable, que le fonctionnaire qui part pantoufler peut revenir quand il veut en cas d’échec. On lui conserve sa place au chaud. C’est ce qui est arrivé à Éric Halphen, magistrat emblématique, parti dans le privé espérant une vie plus confortable et qui déçu du résultat, voulut revenir dans la magistrature. Il y fut immédiatement accueilli, trouvant quand même le moyen d’affirmer publiquement que le poste qu’on lui offrait n’était pas digne de lui.
Ce système endogamique ne semble plus devoir être toléré et ce n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle. D’autant que, depuis une vingtaine d’années, les hommes et femmes politiques s’y étaient mis. DSK, Ségolène Royal, François Hollande, Jean Glavany, Noël Mamère et bien d’autres à gauche sont devenus, en leur temps, avocats d’affaires. Dominique de Villepin, Rachida Dati, Jean-François Copé ont fait de même à droite. Pour mettre à la disposition de leurs clients leurs compétences juridiques ? Hum, on ne fait pas de droit à l’ENA, et vraiment pas beaucoup à HEC. Il s’agit plus prosaïquement de monnayer son carnet d’adresses. Des passerelles permettant de s’inscrire facilement au barreau avaient été spécialement aménagées… On peut comprendre que les avocats de souche, qui doivent faire sept ans d’études juridiques ardues, passer moult examens et concours, justifier d’une formation permanente, soient un peu contrariés par l’arrivée de ces concurrents qui affichent immédiatement des chiffres d’affaires vertigineux.
Il ne faut pas tromper : les barrières infranchissables, le corporatisme, les numerus clausus ne sont pas de bonnes choses. Mais il existe des procédures, des commissions de déontologie, des concours, qui permettent de justifier ces mobilités. Il existe aussi un code pénal qui réprime le mélange des genres.