Les starlettes sont au-dessous de la loi commune.
Nabilla est une de ces créatures dont la téléréalité fait de curieuses icônes. Les conditions de la mise en avant de ses vedettes improbables, sont toujours les mêmes. Un concours télévisé sans aucun intérêt, une participation du public à coups de SMS rémunérateurs pour la chaîne, des candidats de préférence stupides, à la plastique avantageuse et chirurgicale, et surtout une vulgarité de tous les instants. Comme des moucherons attirés par la lumière, des jeunes gens semi-illettrés se précipitent aux castings. Les « heureux élus » accèdent à une brève notoriété puis retournent à leur vacuité initiale pour alimenter la presse à scandale bas de gamme de leurs déboires. À base en général de dépression, d’alcool, voire pire. Le triste emblème en est la pauvre Loana, héroïne de la toute première de ces émissions il y a une dizaine d’années. Celle, toute de collagène et de botox, présentée comme « la nouvelle Brigitte Bardot » (!!!!), affiche aujourd’hui sous les ricanements son obésité, les récits de ses tentatives de suicide, et de ses cures de désintoxication.
Car la société du spectacle est sans pitié. Ces vedettes Kleenex non seulement seront jetées après usage sans aucun ménagement, mais emblèmes de ce que l’on n’aime pas dans l’époque, elles servent dès le début d’exutoire et de bouc émissaire. Nabilla bénéficiant d’une notoriété supplémentaire grâce au succès viral d’une des plus grotesques de ses répliques, le fameux « non mais allô quoi ». Primus inter pares, elle se mit à incarner à elle toute seule la stupidité marchande de la télé-poubelle.
Aussi, lorsqu’elle s’est trouvée impliquée dans un fait divers, il était prévisible qu’elle allait le sentir passer. Philippe Mathieu dans les colonnes de Causeur, disposant semble-t-il de quelques informations provenant du dossier, a dénoncé le sort judiciaire fait à la bimbo. Je ne suis pas loin de partager son avis sur le caractère abusif de la détention provisoire imposée et sur le fait que l’image médiatique de la justiciable a dû largement influer sur son sort. Concernant le déroulement des faits, je m’en rapporte à son compte-rendu manifestement informé.
Mais là où je ne le suis plus, c’est sur les raisons de la mesure prise. Sondant les reins et les coeurs, il a pointé le narcissisme du procureur comme moteur premier. Symétriquement, il a mis l’accent sur les conséquences psychologiques qu’il prévoyait pour Nabilla.
Le théoricien théorise, l’historien historicise, il est normal que le psychologue psychologise. Surtout que maintenant le juriste va juridiciser…
Les magistrats vivent dans leur époque. Peu probable qu’ils soient amateurs de téléréalité. Le fait divers étant médiatisé, l’occasion était belle de rappeler que même les éphémères vedettes de ces spectacles navrants n’étaient pas au-dessus de la loi commune. Et au passage de se passer un peu les nerfs sur une des images de la bêtise ambiante.
Le problème est que justement les magistrats ont des opinions, des avis, des perceptions qui leur sont propres. Ils ont aussi des faiblesses. Et que c’est à raison qu’il ne faut pas leur faire confiance. D’où le recours à toutes ces règles qui ne sont que l’expression de la défiance vis-à-vis de la justice des hommes. Procédures rigoureuses, présomption d’innocence, charge de la preuve, collégialité de la décision, double degré de juridiction etc.… Alors, faire porter la responsabilité d’un embastillement inutile et contraire aux exigences du Code de Procédure Pénale au seul procureur en mal de reconnaissance narcissique, c’est se tromper de diagnostic. Ce n’est pas lui qui a décidé l’envoi en détention de Nabilla, même s’il l’a proposé. C’est d’ailleurs probablement plus grave. La mesure a été demandée par le juge d’instruction en charge du dossier, soutenu par le procureur est contestée par les avocats de la défense. C’est un quatrième personnage qui a rendu la décision : « le juge des libertés ». L’histoire de cette institution est assez savoureuse. Le juge d’instruction, celui que Napoléon appelait « l’homme le plus puissant de France » disposait à l’origine de pouvoirs considérables qu’il a fallu 200 ans pour civiliser. Cet inquisiteur schizophrénique à qui l’on demande l’impossible, c’est-à-dire l’objectivité en instruisant à charge et à décharge.
En 1992, une majorité parlementaire de gauche avait décidé de retirer au juge instruction le pouvoir d’incarcérer. Une telle mesure devait être décidée par un juge extérieur après un débat contradictoire. La majorité de droite arrivée aux manettes en mars 93 ne trouva rien de mieux à faire qu’immédiatement abolir cette institution « laxiste ». Certains des parlementaires de la majorité firent rapidement et brutalement l’expérience des conséquences de cette suppression…
Un très large consensus permit son rétablissement après la victoire de la gauche en 1997. Malheureusement, et c’est un des problèmes du fonctionnement de la justice française, l’institution s’est peu à peu vidée de sa substance. La puissance du lobby de l’Association française des magistrats instructeurs, a permis d’obtenir plus que fréquemment l’approbation par le juge des libertés des mesures réclamées par les juges d’instruction. En général confirmées par les Chambres d’Instruction, appelées dans le langage courant les « Chambres de Confirmation »… Et c’est bien, ce qui constitue le problème dans cette affaire, comme dans d’autres. La détention provisoire est souvent, comme la garde à vue, utilisée comme moyen de pression voire de chantage. D’ailleurs la presse le reconnaît, comme par exemple dans l’affaire Bettencourt avec la détention de Philippe de Maistre. Les anciens se rappellent de la phrase prêtée à une magistrate médiatique reconvertie aujourd’hui en politique selon laquelle en matière financière, il fallait savoir « attendrir la viande ». Alors pensez, Nabilla et ses huit jours d’incapacité temporaire totale infligée à son compagnon.
Le problème aujourd’hui est moins l’éventuel narcissisme d’un procureur ou la subjectivité excessive d’un juge d’instruction, que l’indulgence dont ils bénéficient de la part de ceux qui sont chargés de les modérer ou de les contrôler. Une forme de corporatisme, de conformisme aussi ont nettement émoussé l’indispensable rigueur qui devrait présider au fonctionnement des procédures. Pouvoir lire sans démenti officiel dans un hebdomadaire que dans l’affaire Bettencourt, l’instruction qui aurait dû être annulée, ne l’avait pas été à la suite d’un marchandage avec les juges d’instruction en contrepartie d’une ordonnance de non-lieu à l’égard de Nicolas Sarkozy, est quand même quelque chose d’assez inquiétant. On s’en tiendra à ce seul exemple…
Alors, si Nabilla a fait la dure expérience pendant quelques semaines d’une détention inutile, elle ne le doit pas au narcissisme d’un procureur et à son aversion compréhensible pour ce qu’elle représentait. Ou en tout cas pas seulement. C’est d’abord et surtout par ce que les règles prévues pour éviter les abus de la subjectivité sont souvent vidées de leur substance. « Adversaire acharnée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté » nous disait Rudolf Von Jhering. Il serait bien que la Justice de notre pays, qui n’est pas la pire du monde, loin s’en faut, s’en inspire plus rigoureusement.