Le lendemain de la parution du désormais historique numéro de Charlie Hebdo, allumant la radio le matin, j’eu la surprise d’entendre deux voix connues. À l’occasion du voyage du Pape aux Philippines, deux Français volontaires racontaient comment ils préparaient son arrivée, en visite chez les «enfants des trottoirs de Manille ». Le surlendemain, j’ai reçu par e-mail une photo de cette rencontre et je me suis amusé à chercher dans la petite foule, les visages de mes neveux et de leurs trois enfants. Fleur et Mathieu tous deux brillants sujets se sont rencontrés à l’École Polytechnique. Après leurs études, chacun a commencé une carrière confortable et pleine d’avenir dans des grands groupes français. Trois enfants sont venus leur apporter la vie familiale qu’ils souhaitaient. Catholiques fervents, la trentaine juste passée, ils ont pensé qu’il fallait s’occuper des autres, et sacrifiant quelque chose, donner à leur foi un contenu concret. Brûlant leurs vaisseaux, ils s’en sont remis à une ONG humanitaire qui leur a assigné une destination. Ce fut Manille, pour s’y occuper des enfants des rues. Et pour vivre aussi dans une baraque brinquebalante sans eau chaude et sans aucun confort. Pour avoir des difficultés à scolariser leurs enfants, lesquels en ont profité pour attraper la dengue. En s’engageant à ne pas rentrer en France avant deux ans, même pour des vacances, celles-ci n’étant pas du tout prévues au programme. Le tout pour 800 euros par mois, ce qui permet à ces expatriés de faire l’expérience des conditions de vie locale.
« Parlons de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse » disait Pierre Desproges. Je fais personnellement partie de ces athées radicaux pour qui la question de l’existence de Dieu est parfaitement oiseuse. Il n’existe pas, point. J’ajoute, que pour moi, la foi dans le surnaturel est absurde, et elle me dérange. Enfin, je me méfie des religions organisées comme de la peste. Cela étant dit, je respecte les croyants et pas seulement parce qu’ils sont les plus nombreux. Mais à la condition de la réciproque et qu’ils ne viennent pas faire du prosélytisme dans l’espace public. Le respect que je réclame, je l’ai toujours eu de la part de mes neveux et d’autres membres de ma famille. Alors même que la trajectoire philosophique et politique du mouton rouge n’a pas toujours dû être facile à assumer. Je ne serais pas surpris aussi d’avoir bénéficié sans le savoir de demandes d’intercession dans des prières. Mais d’interpellation sur mes choix, jamais.
Alors, on peut discuter de la volonté de ceux qui veulent s’occuper des autres. Prétendre que c’est une façon d’essayer de gagner son paradis. Mais il est difficile de ne pas être impressionné par cet engagement à la fois pacifique et utile. De le respecter, voire de le saluer, et peut-être d’éviter, d’injurier grossièrement leur foi.
Je n’ai pas obtempéré à la sommation d’être Charlie. Mon camarade Jérôme Leroy a bien décrit nos sentiments contradictoires. J’ai été particulièrement sensible à l’agression dont notre pays a été l’objet. L’élan national et patriotique (qui relève chez moi du démarrage au quart de tour), m’a ému et j’ai été bouleversé par la cérémonie de la préfecture où l’on a rendu les honneurs aux trois policiers tués, une descendante d’esclaves, et deux descendants d’immigrés, Français morts en service commandé. J’ai trouvé que ça avait du sens et noté que pour une fois François Hollande avait été à la hauteur.
Mais ceux qui ne l’ont pas été, ce sont ceux qui ont confectionné le fameux numéro de Charlie Hebdo, journal laïc, obligatoire, mais pas gratuit. L’organe central de la nouvelle foi « le Charlisme ».
Car le problème est bien là. Au-delà du chagrin de l’assassinat des chers Wolinski (qui avait accepté la Légion d’honneur et la portait) et Cabu, qui m’ont accompagné depuis l’enfance, au-delà de l’impératif catégorique de la défense de la liberté d’expression, être Charlie, c’était pour moi réaffirmer ce qu’était la République française.
Mais très vite on nous a fait comprendre qu’être Charlie, c’était soutenir la ligne éditoriale de ce journal. Incroyable prétention qui est d’ailleurs montée à la tête de ceux qui ont fabriqué ce numéro historique. Et qui, perdant toute mesure, ont cru bon de faire les malins. Les trois ou quatre millions de personnes qui étaient dans la rue, ils s’en considéraient propriétaires.
La couverture tout d’abord. Je rejoins complètement Elisabeth Lévy. Rien n’est pardonné, rien. Il ne manquerait plus que cela. Ensuite, si le droit au blasphème est évidemment inaliénable, il n’est pas interdit de faire preuve d’intelligence et d’esprit de responsabilité. Était-il nécessaire de reproduire à ce moment-là ce qui à l’évidence est une caricature de Mahomet sous forme de deux bites ? Pourquoi n’avoir pas attendu une semaine ou deux ? Tenant compte du fait que le bras d’honneur aux Français musulmans dont beaucoup se sont quand même bougé, est le moyen donné aux extrémistes de leur dire : « vous voyez bien, même dans ce moment-là, ils vous crachent à la gueule. ». Personnellement, je ne me suis pas mobilisé pour ça, et je sais quelques amis musulmans qui ont blêmi. J’espère aussi que la mère d’Ahmed Merabet voilée devant le cercueil de son fils dans la cour de la préfecture n’a pas ressenti l’injure.
Sur le contenu ensuite, du même tonneau. Je ne relèverai que deux des saillies misérables. Contre les cathos, évidemment. Car dans ce Charlie-là on bouffe du curé à l’ancienne. Dans un pays en voie de déchristianisation, cela tombe un peu à plat, alors on fait de la surenchère. Un certain Gérard Biard nous dit dans son éditorial : « ce qui nous a le plus fait rire, c’est que les cloches de Notre-Dame ont sonné en notre honneur. » En votre honneur ? Non mais quel culot ! Les cloches de Notre-Dame ont sonné le glas à la mémoire des morts. Pas en votre honneur, Monsieur Biard ou celui de votre journal. Simplement parce que l’église catholique s’est associée au deuil qui frappait tout le pays et a participé à la minute de recueillement. Et l’ensemble de la planète a pu voir cette foule rassemblée sur l’esplanade de Notre-Dame devant un chef-d’œuvre que nous ont donné les catholiques, et entendre ce glas pour un peuple en deuil. J’en ai ressenti un peu de fierté. Pas vous qui concluez, ricanant : « Nous n’acceptons que les cloches de Notre-Dame sonnent en notre honneur que lorsque ce sont les Femens qui les font tinter. » Les Femens maintenant, il ne manquait plus qu’elles. Grotesque groupuscule dirigée par une nazillonne ukrainienne, pratiquant la provocation confortable. Vous êtes en bonne compagnie.
On trouve aussi une caricature de Sœur Emmanuelle. En guise de merci aux cathos qui se sont mobilisés, on s’en prend à une femme décédée à 99 ans, professeur de philosophie qui avait consacré toute sa vie aux plus pauvres. Le genre de personne dont on se dit spontanément que ce serait peut-être bien qu’il y en ait plus. Selon sa décision, avait été publié après sa mort un livre en forme de mémoires posthumes. Où elle racontait ce qu’avaient été ses doutes. À l’époque, le regretté Tignous avait publié un dessin dans lequel il lui faisait dire : « ici-bas je me masturbais, au paradis je vais sucer des queues ». Cela m’avait fait sourire. Le republier précisément aujourd’hui constitue une injure gratuite et grossière qui témoigne bien d’une forme de mépris. « Risu ineptores ineptior nulla est » disait Catulle (rien n’est plus sot qu’un rire sot). Mais, et peut-être à tort, j’ai le sentiment que ce mépris concerne mes neveux qui ont choisi leur sacerdoce en mode sœur Emmanuelle. Je ne partage ni leurs convictions, ni leur engagement mais j’ai pour eux le plus grand respect.
Alors, gens de la nouvelle équipe de Charlie Hebdo, si les libertés de pensée et d’expression doivent être défendues, bec et ongles, si elles doivent avoir le moins de restrictions juridiques possibles, elles ne sont pas incompatibles avec l’exercice de l’intelligence et de la décence. Ce qui vous aurait permis de saisir la portée de l’instant. De ces quelques jours où la tragédie a accouché de quelque chose de si étonnant et peut-être de précieux.
Il y a un temps pour la provocation, la grossièreté et l’humour de fin de banquet. Il y en a aussi parfois pour le respect et la finesse. Vous avez fait votre choix. En toute liberté. La mienne est de dire que sur ce coup-là, vous avez été mauvais.
Tenter de faire une thèse intelligente sur un dessin débile et con de Riss est une perte de temps inutile… C’est donner de l’importance à l’humour dévergondé du journal, c’est s’indigner d’un sujet léger alors que bien d’autres sujets sont évités…
Riss, on l’aime ou on le cuite… (con prend qui veut !).
Moi j’adore, je rigole et je n’aime pas les banquets, ni au début, ni à la fin.