Caramba, encore raté !
L’usage de cette locution est empruntée à des personnages de l’album de Tintin « l’oreille cassée ». Passée dans le langage courant, elle conclut chaque épisode de la série « comment se débarrasser de Nicolas Sarkozy à l’aide de la justice ». Une information discrète nous a appris que les juges d’instruction en charge de l’information relative à la pénalité payée par l’UMP en lieu et place de Nicolas Sarkozy venaient de rendre une « ordonnance de non-lieu général ». Comme l’exige une mise en scène désormais bien rodée, la couverture médiatique a été bien moindre que celle qui avait accompagné l’ouverture de la procédure. C’est normal, pour accrocher le public, le scénario prévoit le lynchage, au début. Lorsque la justice doit faire son travail au travers d’un débat contradictoire en appliquant les principes, cela devient ennuyeux.
Uniquement à partir des informations aimablement publiées dans la presse, essayons de reconstituer le synopsis. On y retrouvera aux côtés du personnage central habituel, et par ordre d’apparition : un ancien Premier ministre, semble-t-il rancunier, des commissaires aux comptes obéissants, des juristes interloqués, un tandem de journalistes « enquêteurs », un secrétaire général de l’Élysée ingénu, et quelques magistrats accusés par certains de vouloir se faire Nicolas Sarkozy pour les avoir traité de « petits pois ».
Les comptes de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012 ont été rejetés par le Conseil Constitutionnel après avis de la CNCC. Non pas à cause d’un dépassement, mais parce qu’un déplacement du candidat avait été pris en charge financièrement par l’État. Sarkozy considérait que c’était le président sortant qui se déplaçait. Refus du conseil constitutionnel qualifiant cette prise en charge de « don interdit » et invalidant le compte. Conséquence : non-remboursement des dépenses électorales, et amende. Douloureuse facture de onze millions d’euros à payer. L’UMP alors dirigée par Jean-François Copé lance auprès des militants le fameux sarkothon, un appel aux dons pour faire face aux conséquences financières du rejet. Succès de l’initiative qui permet les remboursements des banques et laisse un excédent pour régler l’amende. Consulté, l’avocat de l’UMP, spécialiste de ces questions, indique qu’à son avis il n’y avait pas d’obstacle juridique à ce que l’UMP fasse le chèque directement1. Avant de l’encaisser, le Trésor public préfère cependant consulter la direction des affaires juridiques du ministère qui conclut de la même manière et donne son feu vert. Paiement libératoire et dossier clos.
L’affaire de la pénalité proprement dite ne va commencer que plusieurs mois plus tard. Le scandale Bygmalion lancé par l’épisode original d’un avocat convoquant la presse à son cabinet pour une conférence au cours de laquelle il proclame ses clients coupables provoque un grand tintamarre. Et Jean-François Copé est alors écarté de la direction du parti au profit d’un triumvirat d’anciens premiers ministres.
Reportons-nous littéralement à ce ce que raconte Libération de la suite : « quelques mois plus tard, l’arrivée du triumvirat Fillon-Juppé-Raffarin à la tête de l’UMP (devenue depuis Les Républicains) avait relancé l’affaire, les commissaires aux comptes du parti faisant part de leurs doutes sur les modalités du remboursement. Au cours d’un déjeuner mémorable avec Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire général de l’Elysée, François Fillon avait alors insisté sur cette affaire de pénalités. «C’est de l’abus de bien social. C’est une faute personnelle. Il n’y avait rien à demander à l’UMP, de payer tout ça», s’était ému l’ancien Premier ministre en intimant à son interlocuteur de «taper vite». Une information judiciaire est alors ouverte en octobre 2014 pour «abus de confiance», «complicité» et «recel» ».
Certaines mauvaises langues iront jusqu’à affirmer que François Fillon aurait dûment chapitré les commissaires aux comptes qui n’avaient, semble-t-il, eu aucun état d’âme lorsque le règlement avait été effectué l’année précédente. Ils auraient alors obtempéré en transmettant un signalement au parquet.
L’absence d’utilisation du conditionnel donne à penser que Libération est particulièrement sûr de ses infos. Peut-être grâce ou à cause d’un épisode assez stupéfiant que l’auteur de l’article se garde bien de rappeler. Deux journalistes du Monde contributeurs prolixes à la chasse au Sarkozy, et généralement bien informés, ont publié un livre2. Rendant régulièrement visite à François Hollande3, ils disposent en général de la copie des dossiers pénaux concernant l’ancien Président de la République avant même les avocats présents dans la cause. Ils ont raconté un entretien qu’ils auraient eu avec Jean-Pierre Jouyet. Dont les termes sont repris aujourd’hui par Libération. François Fillon, outré d’être présenté comme une balance, a poussé des hurlements. Jean-Pierre Jouyet a démenti. Les journalistes ont alors brandi l’enregistrement de leur entretien. D’après le secrétaire général de l’Élysée, l’échange fut enregistré à son insu. Ce qui a dû provoquer un peu de désordre dans leurs réseaux de contacts et d’informateurs jusqu’alors performants. Depuis, ils ont d’ailleurs adopté une discrétion inhabituelle.
Comme d’habitude, le parquet financier et les juges d’instruction du pôle du même nom avaient démarré au quart de tour. L’affaire pouvait se révéler intéressante, puisque les faits étaient simples et avérés. Restait à trouver la bonne qualification juridique et à saisir prestement le tribunal correctionnel. Le problème, c’est que le vaudeville Fillon-Jouyet-le Monde a quand même mis du plomb dans l’aile à ce dossier. Et le public commence à se lasser de ces feuilletons. Alors, on s’est remis à faire un peu de droit. En commençant par se rappeler que l’article 4 de la Constitution prévoit que « les partis politiques se forment et exercent leur activité librement ». Ce qui veut dire que, si du fait du financement public leurs recettes sont contrôlées, ils font en revanche ce qu’ils veulent de leur sous. Et même s’ils veulent offrir un séjour estival dans un domaine corse à leur président pour qu’il se repose, cela ne regarde pas les juges, même si cela risque de contrarier les adhérents,
Il y avait d’autres arguments aussi évidents sur lesquels on ne reviendra pas. Signalons seulement que la qualification « d’abus de confiance » (la confiance de qui ?) était quand même risible. L’appel aux dons du sarkothon avait précisément été organisé pour faire face aux conséquences du rejet des comptes de campagne. Parmi lesquels figurait le paiement de l’amende. Les souscripteurs savaient parfaitement à quoi ils participaient.
Autre petit problème amusant. Pour mener cette procédure au bout, il aurait fallu impliquer pour complicité les fonctionnaires des services de Bercy qui avaient accepté le règlement après établissement d’une consultation juridique interne dûment motivée. Qui en affirmait la régularité. On s’en est dispensé et c’est très sage.
Fin de l’épisode. Chacun y trouvera son compte, les sarkophobes pour dire comme Libé que le non-lieu démontre qu’il n’y a aucun acharnement, les sarkophiles qu’il apporte la preuve contraire. Les optimistes que la justice a démontré qu’elle était impartiale, les pessimistes citeront La Fontaine et les « animaux malades de la peste ». Les cyniques ricaneront en attribuant ce changement de climat judiciaire au probable retour de la droite en 2017.
Le juriste quant à lui, se réjouira que le débat contradictoire ait permis d’imposer une évidence juridique quand même présente dès le départ.
En revanche, François Fillon et les journalistes du Monde, garderont peut-être un mauvais souvenir de cet épisode. Il faut dire qu’ils en ressortent un peu cabossés. Qu’ils se consolent, Libération nous l’annonce, la saison est en cours, la série n’est pas terminée.
- Pratiquant et connaissant bien cette matière, je crois que j’aurais produit exactement les mêmes conclusions.
- Sarko s’est tuer, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Stock, 2014.
- Pour justifier leur rendez-vous réguliers avec François Hollande, les deux journalistes ont affirmé préparer un livre sur le quinquennat. L’explication semble aujourd’hui fragile puisque le livre a bien été écrit …mais par leur consœur du même journal, Françoise Fressoz avec Le stage est fini (Albin-Michel).
Outre l’intérêt de ce récit, que beaucoup peuvent se faire s’ils sont honnêtes, merci pour les illustrations ! L’essentiel y est : voter Mélenchon 😉