Madame la ministre et chère Mme Pellerin
Excusez moi de vous demander pardon et d’être désagréable, mais tant qu’à faire du droit, autant faire du droit, n’est ce pas? Je viens d’apprendre que vous aviez inventé une nouvelle règle qualifiée « d’astuce » par les commentateurs, pour écarter des aides à la presse les organes qui vous déplaisent. J’ai la même aversion que vous pour l’expression du racisme, mais j’ai quelques doutes sur les méthodes que vous utilisez. Et j’ai même la crainte qu’elle finisse par vous retomber sur la figure.
Donc, si je comprends bien, pour un organe de presse, avoir été condamné sur la base de la loi de 1972 qui réprime l’expression du racisme, cela le priverait de l’accès aux aides à la presse ? C’est ça? Nous sommes donc bien en présence d’une sanction ? Prononcée par la ministre et par voie réglementaire ?
Ah oui, mais dites donc ce n’est pas constitutionnel ça. Toute sanction doit être prononcée par le juge. Principe de « l’individualisation des peines ». Les peines automatiques sont rigoureusement proscrites. En application de ce principe, ce qui constituerait une peine accessoire, devrait être prononcée par le juge qui aura à connaître de l’infraction. Par exemple les peines d’inéligibilité pour les élus condamnés doivent être prononcées par le juge.
Et pour continuer à être parfaitement désagréable, il n’est pas impossible que vous commettiez à cette occasion l’infraction visées à l’article L225-2-2 du Code pénal sur l’entrave à l’exercice d’une activité économique. Bon, je dis ça, je dis rien.
Mais si en fait, au delà de la très probable illégalité du dispositif, à un an et demi du retour massif de la droite au pouvoir, ce n’est pas très malin de créer ce type de précédent.
« Eh oh, vous commencez à nous faire suer avec ces raisonnements. Là il s’agit de la bête immonde. » Oupsss désolé.
Posté par Vu du Droit sur lundi 9 novembre 2015
A propos de bete immonde, un seul journal actuel fut condamné durant la guerre pour sa proximité (temporaire et qui révulsait certes nombre de ses lecteurs) avec l’Allemagne nazie : il s’agit de l’Humanité!
Interdit mais non condamné,
« Toute sanction doit être prononcée par le juge. Principe de l’individualisation des peines. Les peines automatiques sont rigoureusement proscrites. » Pardon pour mon commentaire tardif, en 2023 sur un article de 2015, mais, sauf erreur de ma part, ce que vous écrivez était déjà inexact en 2015 et même depuis longtemps. Une sanction administrative est quelque chose de très courant en droit français. Dans certains cas, c’est la pure et simple conséquence d’une décision de justice : par exemple, la loi prévoit qu’un fonctionnaire condamné pénalement subira une sanction administrative (révocation ou autre). L’automaticité est la règle dans ces cas prévus par la loi. Dans d’autres cas, la sanction précède toute décision par un juge et passe alors pour une mesure de police nécessaire : par exemple, fermeture administrative du site de Piotr Pavlenski avant tout jugement pour faire cesser le trouble à l’ordre public que représenterait la divulgation d’images privées d’un ministre adultère. En Suède, les autorités prétendent ne pouvoir empêcher une personne de brûler publiquement des Corans alors même que la personne déclare à la police (principe de déclaration préalable des manifestations publiques) son intention de brûler des Corans et que la police sait qu’elle déférera cette conduite aux autorités de poursuites pour « délit de presse » (pour parler comme le droit français), c’est-à-dire pour incitation à la haine. C’est bien qu’en Suède on ne considère pas la mesure de police comme telle dans ces circonstances, mais comme une sanction administrative, une censure illicite de la part de l’exécutif, illicite car intervenant en dehors de toute décision par un juge indépendant. Cette conception n’a cependant pas empêché la Suède d’adopter le DSA (Digital Service Act) européen, qui permet aux autorités nationales d’exiger des plateformes la suppression de contenus, si bien qu’on est en droit de se demander si la Suède est bien honnête quand elle assure être obligée de permettre de brûler des Corans au prétexte que l’empêcher serait, même si ces actes sont condamnables en Suède comme incitation à la haine, une censure administrative contraire aux principes de la liberté d’expression.