Karim Benzema n’est quand même pas très malin. Arabe et musulman, il est riche et passablement antipathique. En ce moment c’est de la provocation.
Hier soir au 20 heures, foin d’État d’urgence, de djihadisme ou de fin des temps climatique. Il fallait laisser la place à l’essentiel. Nous fûmes relancés toute la journée à grand son de trompe pour ne surtout pas rater l’événement : « Sextape, Benzema va parler ». Il a effectivement débité un texte appris par cœur, aux éléments de langage soigneusement usinés. Ce qui ne servira à rien, si ce n’est à alimenter la chronique déchaînée.
Intéressante, cette affaire, en ce qu’elle raconte de passablement déplaisant sur nous. Concernant Karim Benzema, celui-ci a droit à son lynchage médiatique géant en attendant pire. La planète entière, France comprise, se gave de la religion football. Cela fait vivre pas mal de monde et surtout brasse des fortunes. Alors pour nous permettre de nous purifier de cette passion douteuse, il faut offrir au public un petit sacrifice de bouc émissaire de temps en temps. René Girard nous l’a bien expliqué. Cela tombe sur Benzema, parce que c’est vrai qu’il exagère quand même celui-là. Arabe et musulman, gamin des cités acculturé issu de la racaille et privé d’adolescence. Fournissant un travail acharné, qui lui permet d’accéder au haut niveau et de toucher l’argent qui va avec. C’est-à-dire beaucoup. En ce moment, tout cela, ce n’est quand même pas très malin. Parce qu’en France, l’argent on n’aime pas trop. Enfin celui des autres, et encore moins si c’est un arabe.
Il y en a énormément que ça met en rage, en général les mêmes qui se pressent au stade et passent leur vie devant la télé. Benzema aggrave son cas en étant perpétuellement maussade et peu sympathique, pratiquant un jeu qui, pour être efficace, n’est guère spectaculaire. Malgré son nouveau statut et sa fortune, il a gardé la mentalité de la cité et les amis qui vont avec. La petite cour délétère qui fatalement va tourner autour de ce loto ambulant.
Assumant naïvement le statut de mercenaire des joueurs d’aujourd’hui, et par une phrase sortie de son contexte, il a dit son attachement à l’Algérie, pays de ses parents, et le caractère essentiellement sportif de sa contribution à l’équipe de France. À chaque sortie de celle-ci, comme en plus il ne chante pas la Marseillaise, il prend cher. Retourne dans ton pays, blasphémateur ! Alors l’affaire qui vient de lui tomber dessus est une aubaine. Lui qui s’était déjà pris une jolie séquence médiatico-judiciaire avec l’affaire Zahia dont il faut quand même rappeler qu’après quatre ans d’instruction médiatisée pour une frasque sexuelle, il avait été relaxé après que le procureur à l’audience lui eut présenté ses excuses pour cette procédure débile.
Pour Benzema saison II, à nouveau une histoire de sexe, l’enquête et l’instruction sont comme d’habitude faites dans la rue. On se reportera donc aux informations disponibles, essentiellement dans le quotidien vespéral de référence, à la pointe du combat dans ce dossier. Si l’on comprend bien Valbuena, son camarade en équipe de France se serait fait dérober une vidéo de ses ébats sexuels avec sa compagne enregistrée sur son portable, et aurait été victime d’un chantage : la destruction de la vidéo contre une remise d’argent. Benzema est accusé d’avoir joué les intermédiaires entre les maîtres chanteurs et Valbuena. On est en matière pénale, et les éléments dont j’ai pu avoir connaissance me semblent pour l’instant insuffisants pour caractériser une infraction. De toute façon, cette question devrait relever des magistrats qui auront à en connaître et non pas du tribunal médiatique. Lequel alimente quotidiennement la meute, bien décidée à déchiqueter la proie qu’on vient de lui jeter. Parmi les aboyeurs se trouvent des personnes qui auraient peut-être été bien avisées de rester discrètes. Un Premier ministre par exemple, probablement très occupé ces temps-ci, mais qui a quand même trouvé le temps de déclarer Benzema coupable d’une faute morale, et ne devant plus faire partie de l’équipe de France. Il est vrai que sur le plan de la morale, utilisateur des moyens aériens de la République pour ses escapades footbalistiques en famille, Manuel Valls est idéalement placé. On pense aussi à Camille Lacourt qui, sans rien connaître du dossier, a jugé nécessaire de frapper son camarade sportif à terre. Vous avez tout pour vous Monsieur Lacourt, champion du monde de natation encore plus beau qu’Alain Delon au même âge, marié à une Miss France, concentré de grâce et d’intelligence, vous auriez vraiment pu vous dispenser de cette inélégance. Et puis vous savez, la vie est longue et elle n’est pas toujours tendre…
Tenons-en nous là pour les aboyeurs déjà fort nombreux, et passons maintenant aux ineffables Plic et Ploc. Ce sont les deux journalistes du Monde, gratifiés par leur journal du nom ronflant « d’enquêteurs ». Gerard Davet et David Lhomme forment un duo qui a accédé à une certaine forme de notoriété pour avoir été à la pointe de la chasse au Sarkozy. Non pas qu’ils aient été les seuls, mais ils ont bénéficié de certains privilèges qui leur permettaient d’accéder aux pièces de différents dossiers avant même les avocats de la défense. De ces fuites, ils firent bon usage et remplirent leurs colonnes d’extraits, de citations tronquées, de commentaires orientés, destinés à convaincre le lecteur que Nicolas Sarkozy était un bandit de grand chemin et que la justice allait nous en débarrasser. Ils ont cependant fini par faire une grosse bêtise. Ils ont rapporté dans un livre une conversation avec Jean-Pierre Jouyet au cours de laquelle celui-ci leur aurait confirmé que dans l’affaire de l’amende électorale payée par l’UMP, il avait fait l’objet d’une démarche pressante de François Fillon pour accélérer la procédure pénale contre l’ancien Président. Évidemment, Jouyet a dû démentir. Et c’est là que nos duettistes ont fait très fort en produisant un enregistrement de la conversation réalisée à l’insu de Jouyet, qui n’a pas vraiment apprécié. Résultat, ils sont donc rapidement devenus tricards : fin des entretiens réguliers à l’Élysée avec François Hollande et tarissement des sources qui alimentaient leur petit fleuve tranquille.
Ils viennent de revenir à la lumière, mais cette fois-ci pour une chasse au très petit gibier. Faute de grives, on mange non pas des merles mais de petits insectes. Malheureusement toujours avec les mêmes méthodes : publications de procès-verbaux, d’extraits tronqués, d’analyses tendancieuses, occupation des plateaux télé pour y délivrer leurs réquisitions. Ils ne vont pas attendre celles du procureur chargé de l’affaire. Ils savent bien, eux, que Benzema est coupable. Et une fois de plus, on assiste au spectacle de la violation quotidienne de libertés publiques fondamentales. Secret de l’instruction, présomption d’innocence, en attendant le secret professionnel des avocats comme pour Sarkozy, tout cela gaiement foulé aux pieds, sans que, comme d’habitude cela n’arrache une remarque à ceux que l’on entend beaucoup sur les dangers de l’état d’urgence. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le « droit au procès équitable » et les règles de la procédure pénale française censées protéger les libertés individuelles ? On ne va quand même pas s’encombrer avec ça, quand il y a de l’audience à faire et que l’on tape sur un footeux mal dégrossi, ce qui ne présente aucun danger.
Voyez-vous, Monsieur Benzema, je ne sais pas ce qui s’est passé et dit à Clairefontaine entre Valbuena et vous, et d’ailleurs je m’en fous. Ce que je vois c’est que vous allez vers des moments difficiles. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les réseaux pour y voir la meute montrer son vilain visage. Nombreux sont ceux, Premier ministre en tête, qui veulent votre exclusion de l’équipe de France. Je pense que c’est acquis, mais ils ne s’arrêteront pas là. Commencent déjà les pressions sur le Real Madrid pour que lui aussi vous mette à la porte. Il vous reste à faire le gros dos et confiance à vos avocats. Je vous souhaite bon courage.