Affaire Cahuzac : pourquoi un renvoi ?

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Tout le monde attendait avec gourmandise la mise à mort de l’ancien ministre du budget fraudeur fiscal chargé de la lutte contre la fraude fiscale. Patatras les avocats de la défense ont déposé une Question Prioritaire de Constitutionnalité qui a été considérée comme recevable et transmise à la Cour de Cassation qui décidera de sa transmission au Conseil Constitutionnel. Le procès de Jérôme Cahuzac a donc été renvoyé. Tout ceci est bien évidemment limpide et les médias, pressés comme d’habitude on simplement fait mention du renvoi en indiquant prudemment « que c’était pour des raisons de procédure ». En fait, et probablement à juste titre les conseils de Cahuzac considèrent qu’il a déjà été jugé dans le cadre de la procédure qui l’a opposé à l’administration fiscale, et qu’en application de la règle «non bis in idem » on ne peut pas le juger deux fois pour les mêmes faits.

Rien n’échappe à Véronique Wester-Ouisse en ce qui concerne le droit pénal. Qui nous fait ci-dessous un point de la question.

 

Le procès Cahuzac renvoyé : voici une brève explication.

On se demande s’il est possible de cumuler une sanction fiscale (déjà prononcée) et une sanction pénale (éventuellement prononcée à l’issue de ce procès). N’y a-t-il pas, dans ce cas deux sanctions pour le même acte ? Ce qui serait contraire au principe fondamental du droit pénal « Non bis in idem » : pas deux fois pour le même fait, que l’on trouve dans le Code de procédure pénale ainsi formulé, à l’article 368 : « Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente »

La réponse à cette question sera très probablement positive, si l’on en croit la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel comme de la Cour de cassation .

La Cour de cassation s’est prononcée en faveur du cumul des sanctions pénale et fiscale dans un arrêt du 
12 décembre 2007 : selon les juges, le principe du non-cumul des peines est étranger aux sanctions fiscales qui présentent à la fois le caractère d’une peine et celui d’une indemnisation pour le préjudice subi par l’État. La solution a été réitérée le 15 décembre 2010 : les amendes douanières présentent un caractère mixte, répressif et indemnitaire.

Autrement dit, c’est à raison de leur nature différente que les sanctions peuvent être cumulées.

De même, le Conseil constitutionnel s’est positionné en faveur du cumul des sanctions, le 30 décembre 1997 et le 24 octobre 2014 : une sanction administrative est susceptible de se cumuler avec une sanction pénale. Le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. 
Le principe de la nécessité des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature disciplinaire ou pénale en application de corps de règles distincts devant leurs propres ordres de juridiction.

Certains ont espéré un revirement à l’occasion de l’examen en QPC de deux textes du Code monétaire et financier, le 18 mars 2015. Ici, le Conseil constitutionnel sanctionne le cumul des deux textes mais c’est à raison d’un cumul de qualification que la censure est prononcée :

– les deux textes tendent à réprimer les mêmes faits (considérant 24)

– ils poursuivent la même finalité de bon fonctionnement et de l’intégrité des marchés financiers (cons. 25)

– les sanctions sont de même nature (cons. 26)

Cette décision ne remet donc pas en cause la possibilité de cumul d’une sanction pénale et d’une sanction administrative.

Qu’en dit l’Europe ?

La Cour de Justice de l’Union Européenne a également rendu une décision favorable au cumul des sanctions fiscale et pénale, le 26 février 2013 : « Le principe ne bis in idem énoncé à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, pour les mêmes faits de non-respect d’obligations déclaratives dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée, successivement une sanction fiscale et une sanction pénale dans la mesure où la première sanction ne revêt pas un caractère pénal, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier ». Seule la Cour Européenne des droits de l’homme, parmi toutes ces Hautes Cours, se montre plus hésitante, ayant rendu des décisions contradictoires, puis une décision clairement hostile au cumul, le 4 mars 2014.

Pour conclure :

Nous l’avons vu, c’est au prétexte que les sanctions pénales et fiscales sont « de natures différentes » qu’elles pourraient être cumulées. Leurs objectifs seraient différents, la sanction pénale étant prononcée au nom de toute la société, la sanction administrative ayant pour but d’indemniser le préjudice subi par l’administration ou par l’Etat. Hélas, cet argument du but réparateur est totalement fictif : outre le fait que le montant de la sanction est fixe, forfaitaire la plupart du temps, et donc absolument pas proportionné à un préjudice effectivement subi, ce préjudice n’est pas propre à l’administration en cause. C’est bien toute la société qui le subit. La sanction fiscale relève bel et bien de la matière pénale. Mais tel n’est pas le sens de la jurisprudence. M. Cahuzac n’aura probablement pas gain de cause sur cette question.

 

Véronique Wester Ouïsse

4 Commentaires

  1. La CJUE n’a absolument pas dit ça; bien au contraire. Elle a jugé que si la pénalité administrative avait une coloration pénale, la règle ne bis in idem devait s’appliquer (Aff Akenberbg Frannson), et interdire les poursuites pénales

    L’un d’entre vous n’a pas tout compris…

  2. En Belgique ce conflit entre répression pénale versus répression fiscale a été résolu :

    – d’une part par la voie ‘una via » (entente entre le pénal et le fiscal pour laisser la priorité dans l’action judiciaire à l’instance ayant pris l’initiative en premier, le fisc ayant accès aux dossiers pénaux et réciproquement).
    – d’autre part en distinguant les ‘non proportionnelles’ (sanctions administratives) et les sanctions pénales (‘proportionnelles’).

    Cette problématique a été longtemps débattue en ce qui concerne notre article 219 CIR (coordination de 1992) et la sanction soi-disant strictement administrative d’une cotisation distingue de 309% dissuasive sur les revenus ‘non déclarés’ (ou déclarés sur des fiches individuelles incorrectes de bénéficiaires ; soit donc sur les revenus ‘celés’, y compris sur des augmentions d’actifs (revenus au ‘noir’) ou des dépenses ‘non (valablement) justifiées.

    Les plus hautes juridictions (administrative et judiciaire) se sont exprimées finalement sur une répartition de ces 309% (désormais ramenés à 103%) entre :
    – sanction administrative fixe et compensatoire de la perte de la substance fiscale (103%) et
    – sanction pénale et proportionnelle pour le solde.

    Il en va de même sur les ‘accroissements’ d’impôts selon un barème strictement issu des dispositions fiscales.

    Enfin, si le juge fiscal peut d’initiative s’emparer d’une sanction pénale, même non contestée par la contribuable, il ne le peut pour une sanction administrative principe de la loi d’ordre public).

    Il faut ajouter qu’en Belgique, il n’existe pas en doit fiscal de recours à un ‘tribunal administratif’ à proprement parler à l’encontre d’un impôt, mais d’un recours administratif auprès du Directeur Régional des Contributions (qui, antérieurement à 1999), statuait en 1er ressort, le recours à l’encontre se sa ‘décision’ devant se faire devant la Cour d’Appel.

    La Belgique fut poursuivie et condamnée par les instances européennes au motif qu’il n’existait dès lors pas de 2d degré de recours judiciaire, le Directeur revêtant pour la circonstance la ‘casquette’ de Juge de 1er niveau, contestable évidemment puisque soumis non à l’ordre judiciaire mais à l’ordre administratif…. Cela s’explique par le fait que primitivement (avant 1964) l’impôt était censitaire et parcellaire, et peu de contribuables fortunés, quasi par définition, souhaitaient voir leur dossier fiscal soumis à la publicité d’une une Cour’ inférieure’…

    Le Ministre social-chrétien André Oleffe dès 1962 mit en chantier une importante réforme fiscale, rassemblant et cumulant toutes les sources de revenus (immobilières, mobilières, professionnelles et ‘diverses’ (droits d’auteurs, plus-values issues de la spéculation,…) pour les soumettre à un seul impôt progressif par tranches [ce qui fut progressivement ‘détricoté’ par les partis libéraux principalement en ce qui concerne les impôts sur les revenus mobiliers, paradoxalement plus élevés sur les investissements ‘à risque’ (actions,…) que sur les investissements sans risques (obligations)].

    Depuis lors, depuis la réforme de la procédure fiscale de 1999, la décision du Directeur n’est devenue qu’administrative et la contestation judiciaire devant le Tribunal ‘de 1ère Instance’ ne portait plus sur la décision mais sur la taxation sur l’impôt enrôlé.

    Ensuite, chacune des parties peut ou non introduire un recours en appel.

    Pierre ROGGEMANS
    Conseil fiscal honoraire
    B-1150 BRUXELLES

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