Deux récents événements montrent que défense de l’environnement et droit ne font pas toujours bon ménage.
La Nature et les oiseaux, c’est gentil, le pétrole radioactif et le grand capital cosmopolite, c’est méchant. Ce postulat objectif étant posé, penchons-nous un instant sur deux récentes indignations politico-médiatiques liées au droit de l’environnement. Qui en est ressorti une fois de plus un peu cabossé.
Quand le gouvernement fume le gaz de schiste
En 2011, à l’initiative du député notoirement écologiste Christian Jacob, a été adoptée une loi interdisant l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste au moyen du procédé de fracturation hydraulique. Problème : lorsque cette loi a été adoptée, de nombreux permis de recherche avaient déjà été délivrés. Qu’à cela ne tienne : la loi a prévu que, dans un délai de deux mois, les bénéficiaires devaient remettre un « rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches », dans lequel ils devaient renoncer à tout « recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche », faute de quoi leur permis serait abrogé.
Le juriste un peu orthodoxe fronce déjà le sourcil face à une loi qui vise à retirer une décision créatrice de droits pour son bénéficiaire en changeant les règles en cours de route (imaginez qu’on modifie les règles d’urbanisme et qu’on vous retire votre permis de construire sans indemnité alors que vous avez déjà commencé les travaux…). Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel, notoirement lui aussi, piloté par le lobby pétrolier, a validé ces dispositions.
Naturellement, les permis ont été abrogés par barils entiers, les exploitants ne pouvant s’engager à ne pas utiliser la seule technique connue dont ils disposaient alors pour conduire leur activité de recherche. Mais Total, titulaire d’un des permis abrogés, a décidé de contester cette abrogation devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Histoire de rappeler que l’État de droit ce n’est pas la possibilité de faire n’importe quoi.
Face à l’évidence juridique Tribunal a plié l’affaire en quelques lignes : Total a bien remis dans les délais le rapport exigé par la loi Jacob, dans lesquels il s’engageait expressément et à plusieurs reprises à ne pas utiliser la technique de fracturation hydraulique. Comme la loi prévoit qu’on ne peut abroger un permis que si le rapport n’est pas remis, ou qu’il y est évoqué l’éventualité d’un recours à la fracturation hydraulique, les conditions légales d’abrogation du permis de Total n’étaient, sans aucune contestation possible, pas réunies.
Le ministère a bien essayé de dire que les techniques de substitution envisagées n’étaient pas suffisamment décrites dans le rapport et qu’on n’était pas sûr que Total n’allait pas malgré tout recourir à la fracturation (eh oui, les grandes compagnies, c’est méchant, elles s’engagent à ne pas tuer des bébés phoques mais le font quand même en ricanant dès qu’on a le dos tourné). Le tribunal s’est borné à constater que ces conditions n’étant pas prévues dans la loi, le ministère a donc « commis une erreur de droit » en les exigeant. L’abrogation du permis de Total a donc logiquement, été annulée.
La portée de cette annulation devrait toutefois être essentiellement symbolique, dès lors qu’il semble que le permis ait expiré en 2015 et que Total a annoncé ne pas vouloir « passer en force » face à l’annonce du ministère de faire appel et au mouvement de protestation des « citoyens-démocrates » indignés qu’un Tribunal fasse respecter le droit.
On en est là dans conception savoureusement française de l’Etat de droit : le ministère viole la loi régulièrement promulguée, parce qu’il la juge trop permissive, Total obtient de la Justice que cette décision grossièrement illégale soit annulée, mais se refuse à bénéficier des effets de cette décision parce que ce serait « passer en force ». La « force exécutoire » des décisions de justice connaît pas. On imagine les gens dont les assignations à résidence ont été annulées, refusant de sortir de chez eux pour ne pas donner l’impression de « passer en force ».
Quand la raison s’évapore sur le principe du pollueur-payeur
Le projet de loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » (comment ne pas approuver un tel programme ?) prévoyait de consacrer dans la loi la notion de « préjudice écologique », reconnu et défini par la Cour de cassation en 2012, dans le procès du naufrage de l’Erika, comme « l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction » (la Cour d’appel avait parlé d’ « atteinte au milieu naturel indépendamment de toute répercussion individuelle »).
Il importe ici de préciser qu’il ne s’agit pas juste de rembourser la réparation des dégâts qu’on a occasionnés (typiquement, rembourser à une commune et/ou à l’Etat les frais engagés pour nettoyer les plages pétrolées), mais bien de réparer un préjudice écologique « pur », une espèce de dommage-intérêts versés à Gaïa, la nouvelle déesse mère. Admettons.
Face à ce projet législatif (introduit par un amendement LR devant le Sénat), le gouvernement a proposé devant l’Assemblée un amendement complémentaire prévoyant qu’il ne peut y avoir condamnation au titre de la réparation du préjudice écologique dans le cas d’une atteinte autorisée par la loi.
Délire immédiat avec, à la manœuvre, la vaillante Corinne Lepage, qui dénonce un « amendement scélérat » dicté par « les lobbies », secondée par Delphine Batho pour qui c’est « un recul sans précédent », reprises d’une seule voix par l’ensemble des médias qui titrent avec succès sur « la fin du principe pollueur-payeur ».
Délire ? Oui. Gros.
D’abord parce que Lepage et ses bruyants relais assimilent préjudice écologique et principe pollueur-payeur, ce qui est une grossière manipulation. Le principe pollueur-payeur ne doit absolument rien à l’arrêt Erika de 2012 (pour lequel Lepage était déjà à la manœuvre) ; principe général du droit, codifié en 1995, il est toujours en vigueur ayant au passage acquis valeur constitutionnelle en 2004 via la Charte de l’environnement. Il prévoit que « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ». Le préjudice écologique n’est donc qu’une modalité d’application du principe pollueur-payeur, son innovation ne portant que sur le préjudice réparable, désormais apprécié indépendamment de toute répercussion individuelle.
Ensuite parce que cet amendement n’avait en rien pour effet, comme on l’a lu, de supprimer toute responsabilité dès lors que l’activité était exercée en application d’une autorisation : l’ « immunité » ne correspond qu’au cas où rien ne peut être reproché à l’industriel car il a exploité conformément à l’autorisation qui lui était accordée. Bien évidemment, si dans le cadre de cette autorisation, il occasionne une pollution anormale ou fautive, il en restera pleinement responsable. L’exposé des motifs de l’amendement est sur ce point limpide : « l’absence d’une telle disposition ferait peser sur les bénéficiaires d’autorisations administratives qui respectent les règles auxquelles ils sont soumis un risque juridique excessif ». Pour faire un parallèle, en imaginant que les droits d’émission de CO2 soient demain étendus aux particuliers, vous pourriez utiliser votre voiture sans risque de poursuites pour préjudice écologique (alors que vous en créez bien un), mais il en irait autrement si vous alliez éventrer votre réservoir au milieu d’un site Natura 2000.
L’amendement « scélérat » ne supprimait donc pas le principe pollueur-payeur, et n’était qu’une précision de bon sens empêchant d’incriminer une activité certes par nature polluante mais dont le degré de pollution autorisé était précisément défini par les règlements. Etant rappelé que les droits à polluer existent depuis belle lurette, à commencer par celui des ménages à produire des déchets.
Mais la désinformation propagée par Madame Lepage a si bien fonctionné, son pouvoir d’influence étant inversement proportionnel à sa représentativité politique, que le gouvernement a fait carpette et a retiré son amendement en l’imputant, comble de la veulerie, à un excès de zèle de ses services.
La Nature et les oiseaux ont gagné, le grand capital cosmopolite et ses lobbies (décidément très efficaces) ont perdu. La raison et l’exactitude de la lecture du droit, elles, ont déserté le champ de bataille depuis longtemps.