Tous les 30 avril, je revois cette séquence des chars de l’Armée Populaire du Vietnam renversant les grilles du palais présidentiel de Saïgon. Mettant un terme à une guerre de libération de 30 ans où un petit peuple d’Asie avait mis en échec la France d’abord, puis la première puissance du monde, ainsi que le point final à l’ère des empires occidentaux initiée au XIXe siècle. Au prix de sacrifices inouïs et d’un courage sans faille le Vietnam, pays de vieille civilisation venait enfin de reconquérir son indépendance. La guerre du Vietnam a hanté ma jeunesse, et chaque fois que je me repasse l’ouverture du film de Coppola et la chanson de Morrison, que je relis des pages du formidable «Putain de mort » de Michaël Herr, je replonge, ému, dans l’ambiance de folie qui baignait cette époque.
Vietnam : « petit à petit nous somme devenu fous »
Écoutons ce que disait Coppola en présentant son film « Apocalypse Now n’est pas un film sur le Viêt Nam, c’est le Viêt Nam. Et la façon dont nous avons réalisé Apocalypse Now ressemble à ce qu’étaient les Américains au Viêt Nam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d’argent, trop de matériel et petit à petit, nous sommes devenus fous »
Tous les jours pendant ces années-là, les journaux télévisés commençaient par un point sur cette guerre filmée, photographiée comme jamais ne l’avait été un conflit. Et nous recevions ces images en temps réel, le paroxysme étant atteint au moment de l’offensive du Têt en février 1968. Dans cette année terrible qui vit l’assassinat de Martin Luther King, celui de Robert Kennedy, les révoltes étudiantes en Occident, le mai français, l’intervention soviétique à Prague, le premier tour de la lune d’Apollo 8, le spectacle de ces divisions blindées nord-vietnamiennes sortant soudain de la jungle à 10 km des grandes villes fut le plus grand choc.
Et il y eut la fin, l’effondrement et le spectacle de la panique et de la débandade qui saisit Saïgon, le ballet des hélicoptères, le pont des porte-avions d’où on les jetait à la mer pour faire de la place. Le symbole de cette terrible défaite fut l’image de l’ambassadeur américain montant dans un de ces hélicoptères son drapeau plié à la main. Je garde aussi de ce moment un souvenir personnel, celui de mon père rentré d’Indochine après la défaite française et plein de respect pour les nord-vietnamiens qu’il comparait aux prussiens et pour Giap leur chef militaire. Et anticommunisme ou pas, l’humiliation américaine, relativisant la défaite française, ne lui provoquait pas un chagrin fou. Lors de leur offensive du début 1975, les dirigeants nord-vietnamiens prévoyaient une victoire pour l’année suivante. Il suivait les opérations sur des cartes et lorsqu’il apprit la prise de Buôn Ma Thuột par l‘APV en mars, il me dit simplement : « c’est fini ».
Bizarrement, ce traumatisme est aujourd’hui enfoui, les pages sont tournées, et cette histoire n’intéresse plus grand monde. Je l’ai ressenti l’année dernière au moment du 40e anniversaire. J’étais alors en Chine, et j’ai pu constater que, même là-bas, ce que nous avions vécu comme un événement majeur avait disparu des mémoires. Les États-Unis aussi, ont tourné la page et dès le début des années 80 avec Ronald Reagan retrouvé leur confiance. Et ce n’était pas l’effondrement de l’URSS quelques années plus tard qui allait l’entamer. Des vétérans qui avaient défilé contre la guerre du Vietnam et jeté leurs médailles ont pu, comme John Kerry, devenir vice-président ou secrétaire d’État. Le Vietnam, appliquant la stratégie de Deng Xiaoping, a pris son virage économique et entretient les meilleures relations avec les États-Unis, probablement aussi à cause de leur méfiance commune vis-à-vis de la Chine. On ne rencontre pas le ressentiment aigre qui hante souvent les relations de la France avec ses anciennes colonies. De la même façon, le Vietnam qui a pourtant payé le prix fort pour sa libération et subi une colonisation particulièrement dure n’éprouve pas le besoin de se poser en permanence en victime, et il ne viendrait pas à l’idée de ses ressortissants en France, pourtant assez nombreux, de se prétendre victime d’un racisme colonial. Une des raisons de cette résilience, trouve probablement son origine dans le fait que le Vietnam est un pays de vieille civilisation et qu’il perçoit la tragédie dont il vient de sortir comme une péripétie d’une longue Histoire.
Le reniement des donneurs de leçons.
Ce qui me revient au moment de ce 41e anniversaire me renvoie, et cela va paraître bizarre aux gesticulations qui entourent le mouvement « Nuit Debout ». J’ai déjà dit que ma sympathie initiale s’était transformée en lourd scepticisme face à l’absence totale des couches populaires et à la dimension « new âge obscurantiste » que véhiculent un certain nombre de charlatans. Les tentatives caricaturales tendant à réactiver le mot d’ordre imbécile CRS=SS, les pleurnicheries permanentes de warriors en peau de lapin me rappellent furieusement mai 68. Et puis, je me souviens de tous ces révolutionnaires purs et durs, trotskistes, maoïstes, anarchistes qui passaient leur temps à donner des leçons à la classe ouvrière et à cracher sur le PCF. Eh bien, tous ceux-là, à l’exception de l’unique Alain Krivine se sont renié et ont changé de camp. Pour peupler les conseils d’administration, les cabinets ministériels, et les comités de rédaction des chiens de garde.
La première manifestation de cette trahison, le Vietnam en fut victime. Comme me l’avait dit un vieil ami vietnamien qui avait tout vécu : « nous n’imaginions pas qu’il serait à ce point plus difficile de construire la paix que de faire la guerre ». Voilà un pays qui avait eu à déplorer près de 2 millions de morts, reçu sur son territoire, plus de bombes que tous les théâtres de la deuxième guerre mondiale réunis, vu ses campagnes ravagées par le napalm et l’agent orange, fut déchiré par ce qui fut aussi une guerre civile, devant se reconstruire dans un environnement hostile et soumis à un embargo sévère. Cela ne dissuada pas nos révolutionnaires de salon reconvertis, de lui tirer dans le dos. On assista au moment de la tragédie des boat-people fuyants leur pays dévasté à un déferlement de propagande qui culmina avec la sinistre pantalonnade de Glucksmann et ses compères maoïstes accompagnant deux vieillards se réconcilier sur le perron de l’Élysée. Sartre qui fut de toutes les imbécillités gauchistes d’après mai, et le pauvre Raymond Aron qui n’en pouvait mais, seul à être de bonne foi dans cette équipée. Ceux qui avaient applaudi la révolution culturelle, étaient d’une discrétion de violettes sur l’abomination « Khmers rouges », ne leur mégotant pas leur soutien même après que le Vietnam en eut débarrassé le Cambodge, se sont avec beaucoup d’aisance reconvertis dans le service des puissants.
Je ne sais pas ce qu’il en sera des thuriferaires de «Nuit Debout », mais va savoir pourquoi, sur ce point-là aussi, je suis méfiant.
C’est quoi un « idiot utile » ?
oui c était une guerre de »liberation nationale » contre l’impérialisme yankee et plus lointaine l’indochine française même si on leur a laissé des voies de chemin de fer reliant hanoi à saigon,1736 km…,une voie qui part d’hanoi vers la chine, voie du yunnan ; magnifique , à faire en touriste ! des écoles et des opéras (contrairement aux americains qui n’y ont rien laissé que des bases militaires gigantesques , une des raisons de l’intervention us commencé sous kennedy puis amplifié par johnson, deux démocrates était la théorie fumeuse des dominos,le vietnam allait contaminé tous le sud est asiatique ce qui ne s’est pas passé finalement .)
l’ambiguité demeure où s’installa en 1975 le communisme pur et dur d’ho-chi-minh, qui fit ses études en france comme pol-pot aussi ….. la sorbonne forme bien les futurs dictateurs communistes et ses camps de rééducation ; 100 000 boat peoples sont venus en france pour témoigner que la nouveau régime n’etait pas approuvé par tous
une des ironies de l’histoire c’est qu’en 2016 la Vietnam a changé de fusil d’épaule ,c’est devenu une petite chine en plein développement capitalistique (et tant mieux !) ; finalement nous français les sentimentaux et les yankees ont gagné le post mortel colonial .. vos papiers sont toujours intéressants et pénétrants
Je lis ce billet avec beaucoup de décalage par rapport à sa rédaction. Entre la date du 30 avril 2016 et le 27 juin 2018 il s’est passé plus de 2 ans. Personnellement j’ai passé plusieurs mois au Vietnam en 2017. Je découvrais l’Asie et ce pays qui dans mon imaginaire -puisque je n’ai pas d’ascendance là-bas- était un rêve auquel m’attachaient des souvenirs d’enfance qui s’inscrivaient sur le même fond de géographie mais qui s’appelait alors Indochine.
J’ai aimé ce pays passionnément et mon séjour, -qui n’était pas touristique, même s’il vaut la peine de chercher à le découvrir car il recèle des richesses souvent cachées-, me l’a rendu encore plus attachant.
Vous décrivez assez bien ce pays à la culture millénaire et qui n’a rien à envier à la France, même si, pour des raisons qui m’ont toujours échappé, à l’instar de ce qui se passe pour nombre de pays asiatiques, il semble qu’elle n’a pas laissé autant de traces que la civilisation occidentale. Sans doute est-ce parce que nous sommes tellement occidentalo-centrés que nous ne savons pas regarder les richesses venues d’ailleurs.
Une chose que je n’aime pas… -mais pas du tout !- est la vision omniprésente aujourd’hui dans les médias des horreurs de la « colonisation ».
Je tiens quand même à préciser que je ne suis pas un observateur béat voire séduit de ce que nombre de pays occidentaux ont entrepris en partant de leurs nations d’origine, La France, l’Espagne, le Portugal, L’Angleterre… pour m’en tenir aux plus emblématiques de ce phénomène. Mais je ne partagerai jamais cette vision réductrice et caricaturale des occidentaux qui a déteint, avec le même manque d’intelligence, sur ceux-là-même qui ont été « colonisés ». Ils ont tout pris et pour argent comptant, les vomissures qui noient dans l’amalgame des siècles où se sont mêlées des pages vraiment héroïques et des pages que l’histoire des nations voudrait oublier. Non décidément l’histoire est intraitable car elle est et même les volontés de l’effacer seront toujours inefficaces car les cicatrices sont ineffaçables.
Je reviens sur l’Indochine ! Je tiens à ce mot même si le vrai nom, bien antérieur à celui d’Indochine, est bien le Viêt Nam.
La France a terminé son histoire indochinoise comme on sait le 7 mai 1954 à Ðiện Biên Phủ dans la douleur et dans le sang. Mais il ne faut jamais oublier que dans des circonstances bien diverses toute l’histoire qui lie la France et l’Indochine s’écrit avec la couleur du sang qui n’est pas que celui de la guerre, car il y aussi une autre noblesse à verser son sang : celui des martyrs, celui de tous ceux qui ont choisi cette destination pour y écrire une page de la culture, de la médecine, …
Non l’histoire de ce pays n’est évidemment pas réductible à 30 ans de violence.
A mon retour du Vietnam, un ami, qui par ailleurs réalise des choses admirables dans le cadre d’une ONG, me disait avoir échangé avec un diplomate qui affirme toujours que les Américains avaient « gagné » sur « le terrain » la guerre du Viêt Nam mais l’avaient perdu pour des raisons diplomatiques. Je me suis toujours demandé ce que font les diplomates sur « le terrain ». … Il est vrai que généralement ils restent au loin et ils sont les premiers à partir quand la partie est perdue ! On sauve les meubles. Le 3 avril 1975 l’ambassadeur serrait très fort le drapeau américain !
Dont acte … les Américains « avaient gagné » ! Mais qu’auraient-ils gagné ? Un pays en ruines, dévasté, anéanti par les bombardements et « l’agent orange », une population brisée et divisée.
La France, par son armée, a été « enfermée » dans ce « plateau inexpugnable » de … Ðiện Biên Phủ où seuls pouvaient s’en sortir les Vietnamiens eux-mêmes. …
La France s’en est sortie, vaincue, mais avec la dignité des combattants.
Nous avons fait la guerre en Indochine pendant 8 ans mais la France n’a pas fait QUE la guerre en Indochine.
Les Américains sont venus en Indochine … pour faire la guerre et ils n’ont fait QUE la guerre. Ils ont abandonné le Viêt Nam avec ses plaies, ses ruines, ses divisions internes. Et si l’on avait fait autant pour le Viêt Nam que ce qu’on a fait pour que l’Allemagne se relève ?
Mais ce pays aujourd’hui, dont je ne partage en aucune façon l’idéologie qui reste la marque de fabrique de son « fondateur moderne », sort peu à peu et avec une énergie incroyable du chaos où l’avait plongé la guerre qui se termine le 30 avril 1975.
Au fil de ma lecture je me suis « égaré » sur d’autres articles connexes. Je ne comprends toujours pas pourquoi et comment on a pu « être communiste ».
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Je vous laisse méditer !
Cordialement
Voici un témoignage de 2005 :
Ce furent les dernières bottes américaines à quitter le sol ce jour-là, la dernière paire de pieds militaires à grimper à bord du dernier hélicoptère américain hors de Saigon le 30 avril 1975.
Et alors que l’oiseau mécanique quittait enfin le Vietnam ravagé par la guerre, John Valdez regarda l’endroit qu’il venait de quitter, l’ambassade américaine à Saigon. Certaines personnes pillaient le bâtiment. D’autres restaient assises à discuter. Quelques-unes levèrent la tête pour regarder l’armée américaine s’envoler.
Près de 58 000 Américains et des milliers d’autres Vietnamiens étaient morts là-bas, sur la terre que ses pieds avaient touchée pour la dernière fois. Le bilan de plus d’une décennie de combats s’était étendu des jungles du Vietnam aux salons et aux pompes funèbres d’Amérique, déclenchant un mouvement anti-guerre et divisant la nation.
Valdez, alors sergent-chef de 37 ans dans les Marines et garde à l’ambassade de Saigon, a perdu un certain nombre d’amis sur ce terrain, dont les deux derniers Américains tués pendant la guerre.
Et il y a 30 ans aujourd’hui, alors que les chars nord-vietnamiens se dirigeaient vers ce qui était alors Saigon, Valdez savait que tout était fini.
Aujourd’hui, Valdez, 67 ans, vit à Vista, dans la même maison qu’il a achetée trois ans après avoir quitté Saigon, aujourd’hui Ho Chi Minh-Ville.
Il est aujourd’hui à la retraite, après 30 ans de carrière dans les Marines. Il suit des cours dans les universités MiraCosta et Palomar. En le croisant dans la rue ou à l’épicerie, nombreux sont ceux qui ne connaissent pas son rôle ce jour fatidique, il y a 30 ans.
Une semaine avant que la ville ne tombe aux mains des Nord-Vietnamiens, Valdez ordonna aux 52 Marines sous son commandement de quitter leurs quartiers dans la ville et de s’installer dans l’ambassade du centre-ville de Saigon. Ils dormaient sur des lits de camp.
En quelques jours, a déclaré Valdez, les Sud-Vietnamiens, désespérés de recevoir de l’aide, désireux de quitter le pays avant d’être envahis par l’armée venue du Nord, ont afflué aux portes de l’ambassade américaine.
« Il y avait foule et confusion », se souvient Valdez. Les gens qui se trouvaient aux portes n’étaient pas dangereux. Mais ils étaient désespérés.
Bientôt, la foule se pressait devant les portes de l’ambassade fortifiée. Des Marines d’infanterie, appelés en renfort, montèrent au sommet du mur pour les retenir. Des enfants furent hissés au sommet de la foule tandis que les parents suppliaient les soldats de prendre les plus petits et de les faire prendre un vol pour partir.
« Les enfants étaient dévastés », se souvient Valdez. « Ils vous confiaient des enfants et vous saviez que vous ne pouviez pas les prendre. C’était vraiment émouvant. »
Seuls les Vietnamiens « à risque », ceux qui avaient aidé les Américains, purent franchir le mur. Valdez a déclaré qu’il en avait aidé huit ou dix.
Pendant ce temps, à la base aérienne de Tan Son Nhut, à dix kilomètres de là, des Américains et des Sud-Vietnamiens sélectionnés quittaient le pays.
Valdez envoya une vingtaine de Marines pour aider. Aux premières heures du 29 avril 1975, dans l’obscurité, deux d’entre eux moururent.
Le caporal Charles McMahon Jr. et le caporal suppléant Darwin Judge furent les deux derniers militaires américains tués au Vietnam par des tirs ennemis.
Judge était arrivé à l’ambassade environ six semaines plus tôt ; McMahon n’était là que depuis une semaine.
Valdez les envoya à la base aérienne, pensant que c’était l’endroit le plus sûr pour les débutants.
Des tirs de roquettes aléatoires effectués par les Nord-Vietnamiens tuèrent les deux Marines, touchant le poste de Marines le plus proche de la porte principale de Tan Son Nhut. Un coup direct.
Les bombardements sur la base aérienne rendirent les évacuations par avion impossibles. L’opération se déplaça vers le vaste complexe de l’ambassade.
Des hélicoptères américains atterrissaient à l’ambassade, les plus petits sur le toit, les plus grands dans la cour. Des vagues d’hélicoptères. En vol stationnaire, en train de charger. Des milliers de personnes embarquèrent et s’envolèrent vers les navires américains qui les attendaient.
« Je ne pense pas que nous ayons eu peur », a déclaré Valdez. « Votre sang bat à tout rompre, vous êtes excité. »
C’était juste avant l’aube du 30 avril 1975, lorsque Valdez reçut l’ordre de son supérieur : « C’est fini. Plus personne. Partez. »
Les Marines postés aux portes et aux murs formèrent trois groupes en demi-cercle, firent face à la foule et reculèrent petit à petit vers l’ambassade. Le but : boucler le bâtiment, atteindre le toit, sauter dans un hélicoptère.
Ils reculèrent de 400 mètres. La première ligne de Marines se glissa à l’intérieur des portes de l’ambassade. La deuxième entra. Au moment où le troisième groupe de Marines reculait, la foule commença à comprendre.
« Ils ont commencé à envahir les portes », se souvient Valdez. « Nous avons dû les bousculer pour pouvoir fermer les portes (de l’ambassade). »
Les Marines qui formaient le troisième demi-cercle, y compris Valdez, repoussèrent les mains griffantes des personnes qui avaient sauté les murs de l’ambassade et se précipitèrent vers les portes.
Pousser. Bousculer. Claquer. Ils fermèrent la porte. Cogner. Les soldats frappèrent la barre de bois destinée à barricader les portes. Bruit métallique. Ils laissèrent tomber la grille métallique à l’intérieur.
Certains Marines se précipitèrent alors vers les ascenseurs pour monter au sixième étage. D’autres Marines grimpèrent les escaliers jusqu’au sommet du bâtiment de six étages. Valdez prit les marches, lui et ses copains s’arrêtant pour claquer et verrouiller les grilles métalliques qui se trouvaient à chaque étage dans les cages d’escalier.
Ils étaient là. Sur le toit, environ 150 Marines.
Bientôt, Valdez entendit un bruit sourd en contrebas et jeta un œil par-dessus le bord. Des Sud-Vietnamiens désespérés avaient propulsé un camion de pompiers dans les portes du hall de l’ambassade.
D’une manière ou d’une autre, la foule paniquée avait réussi à grimper l’escalier et à pénétrer dans la salle de l’incinérateur au dernier étage. La dernière pièce jusqu’au toit.
Valdez a déclaré qu’on pouvait voir 30, peut-être 40 Vietnamiens à travers la petite fenêtre de la porte. Il posta un garde armé à la porte du toit. Personne n’essaya d’entrer.
Par vagues d’une vingtaine de soldats, les Marines montèrent dans les hélicoptères au fur et à mesure de leur arrivée. Les Sud-Vietnamiens présents dans la salle de l’incinérateur ont dû les entendre, a déclaré Valdez.
Finalement, il ne resta que 11 hommes sur le toit.
Et puis, plus rien.
De longues minutes d’anxiété suivirent, les 11 hommes scrutant le ciel à la recherche de bouffées, de fumée révélatrice d’un hélicoptère venant les chercher.
Jusqu’alors, les hélicoptères faisaient des allers-retours depuis les navires américains de façon assez constante, toutes les demi-heures environ, planant, atterrissant dans la cour de l’ambassade ou sur le toit, se remplissant de personnes évacuées.
Mais maintenant, presque le silence régnait. Une demi-heure passa. Puis une autre. Et encore une autre.
« On commençait à avoir des démangeaisons », a déclaré Valdez. « On s’est plongé dans nos pensées. C’était calme, à part les coups de feu des cow-boys. »
Les tirs de cow-boys étaient des coups de feu tirés au hasard en l’air par des Sud-Vietnamiens au sol.
Valdez n’a jamais douté de l’arrivée de l’hélicoptère. Mais que lui est-il passé par la tête, quelles pensées lui sont venues en attendant les secours ?
Il pensa aux horreurs d’une capture par l’ennemi. Il pensa à McMahon, à Judge. Il revoyait les bombardements sur la piste d’atterrissage et craignait que les roquettes ne soient dirigées vers l’ambassade.
« Nous étions des cibles faciles là-haut », a déclaré Valdez.
Puis ils le virent. Des bouffées au loin, qui se rapprochaient. L’hélicoptère de secours.
Valdez dit au Marine qui gardait la porte du toit de faire trois ou quatre passages devant la porte pendant que tout le monde montait à bord.
Puis il dit au Marine de monter aussi.
Valdez s’assura que tout le monde était à bord, puis il monta à bord.
La rampe d’accès à l’hélicoptère était toujours ouverte au moment du décollage. Quelqu’un dit aux Marines de se débarrasser de leurs grenades fumigènes avant de partir. Mais l’un des Marines avait retiré la goupille avant de lancer sa grenade, ce qui était une mauvaise manœuvre. Les pales tourbillonnantes aspirèrent la fumée dans l’hélicoptère, aveuglant le pilote.
L’hélicoptère dut atterrir sur le toit. En quelques secondes, la fumée se dissipa et l’oiseau décolla. Il était 7h53.
En route vers le navire, l’USS Okinawa, le voyant de carburant s’alluma. Mais bientôt, l’équipage fit atterrir l’hélicoptère sur le navire.
Après 70 heures, Valdez s’endormit enfin.