Nice: ce n’est pas à la justice de dire le vrai dans deux ans.
Consécutif au carnage de Nice, l’affrontement entre le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve et la policière municipale Sandra Bertin révèle l’exacerbation des contradictions politiques qui traversent la société française. Il y aurait, dit-on, deux vérités qui s’affrontent, chacun prenant parti pour celle qui l’arrange en fonction de ses choix politiques, de ses affinités personnelles, ou de ses appartenances de réseaux. L’alternative serait, paraît-il, entre Cazeneuve menteur ou Bertin menteuse.
Double défausse
La réalité est en fait plus prosaïque : face à la catastrophe, chacun essaie d’éviter d’être mis trop lourdement face à ses responsabilités. En se défaussant sur celui d’en face, d’autant que la question de la sécurité à Nice est institutionnellement partagée entre l’État et le maire qui exerce d’ailleurs cette compétence au nom de l’État. Pour faire encore plus simple, c’est patron de la police nationale contre patron de la police municipale, autrement dit parole contre parole. L’observateur de bonne foi a donc le plus grand mal à privilégier l’une ou l’autre. Surtout que chaque camp va convoquer ses témoins, qui François Molins le procureur du tribunal de grande instance de Paris, qui Sandra Bertin fonctionnaire territoriale secrétaire générale de son syndicat.
Il semble quand même qu’une commission d’enquête parlementaire pourrait être une bonne solution. Ce n’est pas pour l’instant l’option été choisie, mais, de part et d’autre, conscient du problème, on a annoncé triomphalement avoir « saisi la justice ». Vieille ficelle qui fonctionne toujours en ce qu’elle permet de dire : « laissons la justice suivre son cours ». Et parce que le public connaît mal les mécanismes mis en mouvement.
Des procédures à n’en plus finir
Alors de quoi s’agit-il ? Bernard Cazeneuve nous a dit vouloir déposer plainte en diffamation. La belle affaire ! Voilà une procédure qui relève de ce que l’on appelle le droit de la presse qui, dans notre pays, encadre la liberté d’expression. C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu des procédures particulièrement minutieuses, où il est très facile de se casser la figure. Il faut savoir que le juge du siège ne joue qu’un rôle d’arbitre et n’use pas de pouvoirs d’investigation sur la réalité de ce qui a été affirmé. Chacune des parties lui soumet ses arguments, à charge pour lui de dire si la diffamation est constituée. La décision n’implique pas une vérité factuelle disposant de l’autorité de la chose jugée. Par exemple, si Guy Bedos dit que Nadine Morano est une conne et ajoute en ricanant « qui mange les petits enfants » et que, poursuivi par sa cible, il est relaxé, cela ne voudra pas dire que Nadine Morano « est une conne qui mange les petits enfants ». Bernard Cazeneuve nous a indiqué« attendre avec sérénité », les suites de la procédure qu’il a engagée. Il peut effectivement être serein, puisque dans le meilleur des cas, si cette procédure ne se casse pas la figure en route, l’affaire sera examinée en première instance dans deux ans, en appel dans trois, et en cassation dans quatre. Il n’est peut être pas tout à fait exclu qu’il ne soit plus ministre de l’Intérieur à ce moment-là…. L’ironie de l’histoire serait que Nicolas Sarkozy soit alors président de la République et Eric Ciotti ministre de l’Intérieur…
Face à cette terrifiante attaque nucléaire à la visée strictement médiatique, Madame Bertin et ceux qui l’entourent ont préparé une contre-mesure tout aussi terrifiante. Elle a annoncé vouloir « faire un signalement au procureur pour faux en écriture publique ». Bigre, là c’est du lourd.
Qu’est-ce que c’est qu’un « signalement au procureur » ? L’article 40 du code de procédure pénale fait obligation aux fonctionnaires de porter à la connaissance du procureur les faits dont ils ont eu connaissance et susceptibles de recevoir une qualification pénale. Fort bien, le procureur de Nice, dépendant hiérarchiquement de la place Vendôme, va donc recevoir un courrier dont il fera ce qu’il voudra. La gamme de ses possibilités va de l’ouverture d’une information judiciaire à un envoi direct à la corbeille. Et c’est cette solution qui risque d’être adoptée, car l’on ne voit pas très bien où résiderait le « faux en écriture publique ». Il faut d’abord qu’il y ait ce que l’on appelle un acte authentique, c’est-à-dire ayant valeur probante et dont celui qui s’en prévaut n’a pas à démontrer l’authenticité. Tous les actes créateurs de droit émanant des autorités publiques, ou des officiers ministériels, ont cette qualification. On ne voit pas très bien non plus, jusqu’à présent dans cette polémique, ce qui serait susceptible de la recevoir. Rappelons aussi que lorsque le faux ou l’usage de faux en écriture publique est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, on est en présence d’un crime justiciable de la cour d’assises ! Un marteau pilon pour écraser une mouche? Tout cela n’est pas très sérieux et la sortie de Madame Bertin sur ce point relève de la rodomontade.
La vérité, rien que la vérité
Ce nouvel épisode, non pas de l’instrumentalisation de la justice, mais de l’utilisation du droit en surfant sur l’ignorance juridique de l’opinion publique est désolant. Ce n’est pas un aspect secondaire de l’épisode qui est en train de se dérouler. Quoi qu’en dise le président de la République, le peuple français n’a pas besoin pour aujourd’hui d’une vérité judiciaire pour l’instant inatteignable. Et dont on sait qu’elle peut entretenir des rapports parfois lointains avec la réalité. Quel intérêt de savoir dans quatre ans si Madame Bertin a diffamé des fonctionnaires ? Ce qui n’établirait pas nécessairement qu’elle a menti. Ce dont nous avons besoin en urgence, c’est d’une vérité factuelle, et qui soit politique et opératoire. La tension a franchi un cap dans notre pays depuis le massacre de Nice. Le tir de barrage sur « l’unité nationale obligatoire » et l’interdiction de mettre en cause la responsabilité de l’État et de ceux qui le dirigent n’ont servi à rien. La confiance des Français envers leurs dirigeants est en cours d’effondrement et une clarification s’impose. Il est dramatique d’en laisser l’exigence au Front national.
vous êtes un sage! pour ma modeste part j’ai tendance à renvoyer dos à dos la police municipale et la nationale ; le maire a un pouvoir de police ,il pouvait interdire le feu d ‘artifice (en réunion le contrôle systématique des entrants sur la promenade avait été annulé par manque de personnels ) qui connait d’ailleurs le maire de Nice? Fort absent dans les médias , Estrosi adjoint à la sécurité publique, n’était pas présent à la réunion de l’organisation de cette même sécurité pour le 14 juillet entre le maire et l’etat….. ; 1000 caméras et un camion qui se balade trois jours ou se gare sur la promenade des anglais alors que c’est interdit par arrêté municipal !(à ce propos se vérifie la règle: ,trop d ‘informations tue l’information,il faut du personnel pour voir en même temps 1000 caméras ce qui est évidemment impossible !) aussi des plots de béton que possèdent la mairie , ayant servi pour l’euro mais pas là …une simple herse aurait arrêté le camion . quand au ministre, il a visiblement menti sur la présence de voitures de police qui barraient la route alors qu’en fait elle étaient garées en long ; si nous étions aux usa ce ministre aurait sans doute démissionné ;alors madame bertin est-elle une lanceuse d’alerte ? l’avenir le dira ; restons prudent ; après coup c’est facile et le risque zéro n’existe pas ; comme vous le dites cette querelle fait le jeu des extrèmes …
« quand au ministre, il a visiblement menti sur la présence de voitures de police qui barraient la route alors qu’en fait elle étaient garées en long »
Mentir suppose qu’on a conscience d’affirmer un fait faux et d’avoir l’intention de tromper.
Plus probablement, le ministre ignorait dans quel sens était garé le véhicule de police, ou même seulement s’il y en avait un, au moment précis des faits et à l’endroit précis où le camion est entré dans la zone réservée aux festivités du 14 juillet..
En fait, la polémique entre le ministre et la policière municipale semble porter sur un point de détail assez insignifiant, quand on connait la suite des événements: le camion a-t-il été obligé de monter sur un trottoir pour contourner des forces de police qui faisaient obstacle, ou non?
Le camion ayant de toute façon pu passer, chacun a pu prendre conscience que le risque d’attentat que représentait un camion aux mains d’un terroriste n’avait tout simplement pas été pris en compte avec sérieux lorsque le dispositif de sécurité a été élaboré. Le problème est bien en amont de l’événement.
C’est un peu comme si, après un crash aérien où tout les passagers ont péri, on s’interrogeait sur la question de savoir si les repas qui leur ont été servis n’étaient pas contaminés par de la salmonelle, et pas sur les causes du crash. On verrait donc les experts du BEA analyser les plateaux repas et pas les débris de l’appareil et ses boites noires.
On a atteint un niveau de délire assez étonnant; Comme on est totalement dans l’irrationnel, je me demande si la judiciarisation du différend qui oppose le ministre à Mme Bertin n’est finalement pas la meilleure des choses à faire, ou disons la moins pire.
Vos articles sont d’un soin qu’on ne trouve plus beaucoup. C’est un vrai plaisir à lire. Quelques détails de cette affaire viennent après le 25 juillet 2016 et les infos ne sont sans doute pas encore suffisantes, pour écrire la suite avec le recul qu’il faudrait. Mais ce silence soudain quelques jours seulement après que l’affaire n’ait été révélée à la presse semble être un silence éloquent.
Tandis qu’on oppose Christian Estrosy et Bernard Cazeneuve, en les renvoyant dos à dos, en assimilant peut être grossièrement Sandra Bertin à Christian Estrosy, tandis que nous essayons de comprendre ce qu’ils défendent précisément, nous oublions là tout à fait l’essentiel et le fond de cette histoire.
Comme le mentionne Nico Las dans ce très bon billet : http://www.cercledesvolontaires.fr/2016/07/26/drame-de-nice-affaire-d-etat-ou-pas/, la citation de Charles Pasqua s’applique ici à merveille : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien. »
En effet, le problème grave qui se pose pour Bernard Cazeneuve si ce que dit Sandra Bertin est vrai, n’est pas tant celui des failles de sécurité qu’il aurait voulu dissimuler, mais celui de la tentative de corruption d’un fonctionnaire de police par un membre de son cabinet ministériel, à un moment bien particulier et dans un but bien précis, peu importe sur ce point et uniquement ici que la sécurité ait été ou non défaillante.
Estrosy profite ensuite « de l’aubaine » à ce moment là pour déposer sa plainte et cela est sans doute destiné uniquement à atténuer sa propre responsabilité. Ce dernier fournit alors à la justice la preuve (videosurveillance) que Cazeneuve aurait voulu dissimuler. Au final, ni Estrosy ni Cazeneuve n’ont réellement assuré quoique ce soit, excepté se rejeter la faute l’un sur l’autre, mais passons.
Maintenant la question qu’on se pose c’est pourquoi un tel silence ? On apprend qu’il y a des témoins qui corroborent les accusations de la policière, qu’une enquête préliminaire a été ouverte, avec tous les noms des personnes visées, etc. Le dossier a l’air solide, mais non pas un mot. On se demande presque si Estrosy et Cazeneuve ne sont pas en train de réecrire l’histoire, à l’amiable, avec des conditions et bien entendu, en oubliant totalement ou partiellement les pratiques frauduleuses exercées envers la policière, puisque ce dernier point pourrait justement être une des conditions de leurs négociations.
Après je veux bien qu’il y ait les secrets de l’instruction, mais une presse qui n’a plus aucune déontologie et qui se met soudainement à faire du zèle, jamais on a vu ça à ce point là, et je crois pas que les Français l’oublieront de sitôt, un tel soupçon restera bien longtemps dans les têtes et particulièrement en travers de la gorge. Bernard Cazeneuve ne devrait pas pouvoir continuer à exercer ses fonctions de ministre devant un tel soupçon et dans le contexte de menaces que nous connaissons. Le silence des médias et des responsables politiques seront forcément perçues comme une complicité de mensonge dès lors que les gens pourront s’exprimer. On va avoir une rentrée chargée, ce n’est rien de le dire.