Je ne connais pas personnellement Nicolas Sarkozy, figure assez classique du champ politique, comme beaucoup de ceux que l’époque produit, mais dont il faut constater l’aptitude à provoquer de part et d’autre de l’échiquier des passions déraisonnables. Je m’en suis déjà étonné en essayant de comprendre les raisons de cette déraison, mais je dois dire qu’encore aujourd’hui je reste interloqué. Par la haine qu’il provoque, nourrie d’un étonnant mélange de faits réels, de traits de caractère indiscutables, mais aussi d’inventions et de fantasmes. Haine qui provoque des réactions à base de pertes de sang-froid, d’abandons du sens commun, et cette envie compulsive de l’éliminer quels que soient les moyens utilisés.
C’est pourquoi j’ai eu plusieurs fois l’occasion de déplorer l’instrumentalisation de la justice pénale aux fins de se débarrasser d’un adversaire politique. Comme l’a relevé le bâtonnier de Paris, une « chasse au Sarkozy » s’est déroulée depuis quatre ans, émaillée de violations graves et répétées des libertés publiques et des principes qui doivent guider le procès pénal.
De non-lieux en nullités, jusqu’à présent les multiples procédures intentées ont été régulièrement scandées par des « caramba, encore raté ! ». Et elles ont convaincu l’opinion publique de la réalité d’un acharnement.
L’ancien président étant toujours debout et ayant manifesté sa volonté de solliciter à nouveau le suffrage des Français, ses opposants, adversaires et ennemis se demandent comment faire pour conjurer la catastrophe de sa réélection possible en mai 2017 ? L’instrumentalisation des procédures judiciaires, avait démontré l’absence criante de culture juridique des libertés publiques du mainstream, nous allons voir que dès lors qu’il s’agit de Nicolas Sarkozy, la culture démocratique peut également, et très facilement passer par-dessus bord.
Le combat politique n’étant devenu que l’affrontement des egos et par conséquent des écuries présidentielles, pour l’aggraver encore, on a inventé l’idée calamiteuse des « primaires à la française ». Ridicule importation du système américain qui ne correspond ni à nos traditions et ni à notre culture.
Donc, l’UMP rebaptisée Les Républicains, a décidé de s’y mettre et adopté une procédure « ouverte » où les électeurs devraient normalement être des militants et des sympathisants de cette famille politique. Qui choisiront au mois de novembre prochain le candidat qui sera soutenu par leur parti aux élections présidentielles de 2017. Pour voter à ces primaires, il faut verser deux euros (!) et « signer une déclaration sur l’honneur de partager les valeurs de la droite et du centre».
La campagne électorale est commencée, et comme il fallait s’y attendre, Nicolas Sarkozy tient le crachoir et le débat s’organise autour de lui. L’éventualité qu’il l’emporte et soit le candidat de la droite l’année prochaine devient hypothèse crédible. Ce qui plonge dans la panique tous les tenants du « Tout Sauf Sarkozy », bien représentés dans les médias et la classe politique, et parmi eux tous ceux, forts nombreux, qui l’ont trahi. Et c’est là que l’on voit, un peu sidéré, se dessiner une manipulation destinée à lui barrer la route. Tout d’abord on affirme haut et fort que le candidat de la droite républicaine, opposé en mai prochain au deuxième tour à Marine Le Pen est sûr de l’emporter, et que par conséquent les vraies élections présidentielles sont les primaires LR ! Ensuite, très tranquillement on annonce, que compte tenu du danger représenté par Nicolas Sarkozy, la gauche doit se mobiliser pour aller voter aux primaires du camp d’en face ! Et bien sûr pour Alain Juppé présenté comme le mieux placé pour le battre. Toute la presse, sans aucune réserve, fait état de ce calcul, et les réseaux relaient abondamment les électeurs de gauche disant : « on ne va pas se gêner ! Avec Sarkozy, la fin justifie les moyens, si on n’arrive pas à le mettre hors-jeu par les voies judiciaires, eh bien on va aller truquer la primaire de la droite, ce n’est pas une fausse déclaration sur l’honneur qui va nous arrêter. » Et les élus juppéistes ne sont pas les derniers à arborer des sourires entendus lorsqu’on leur pose la question.
Il n’y a malheureusement pas lieu d’être surpris de la part de tous ceux qui scrutins après scrutins, vilipendent le suffrage universel direct qui aboutit à donner la parole à ce petit peuple qui ne cesse de mal voter. Comme on a pu le voir avec les réactions au vote britannique sur le brexit. Cette absence de culture démocratique et ce totalitarisme soft, qui visent à exclure politiquement une partie de la population déjà géographiquement, matériellement et culturellement écartée, sont assez consternants.
Car dans ce cas précis de quoi s’agit-il ? De mobiliser un camp politique pour aller fausser le fonctionnement du camp adverse, et en se parjurant de se livrer à l’aide d’une fraude à un parfait bourrage d’urnes. En se parjurant, car ce n’est pas rien que de mentir en signant un engagement sur l’honneur de partager les valeurs de la droite du centre, pour ensuite priver les gens sincères et engagés, de leur choix. Le pire étant de constater la totale bonne conscience de ceux qui s’apprêtent à commettre cette forfaiture et appellent les autres à le faire. On me dira que c’est l’adoption de ce système idiot de la primaire qui permet cette fraude destinée à truquer in fine le résultat de l’élection présidentielle. Certainement, mais ce n’est quand même pas une excuse. On ajoutera pour faire bon poids la dimension juridique de ces agissements. L’article 441-1 du Code Pénal dit précisément qu’un faux en écriture est : « une altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques». (3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende). Prétendre mensongèrement dans une déclaration écrite que l’on partage les valeurs de la droite et du centre pour obtenir un droit de vote aux primaires pour les fausser, semble bien répondre à cette définition.
Il y a également les manœuvres dolosives servant de support à une escroquerie, et enfin puisqu’il s’agirait de fausser aussi le résultat de l’élection présidentielle en empêchant la droite d’y présenter le candidat qu’elle souhaite, la fraude électorale classique ne serait peut-être pas non plus très loin.
Ce qui est grave, dans tout cela, c’est la désinvolture avec laquelle, sous le regard rigolard des médias on prend des libertés avec des principes démocratiques qu’il n’a pas été si facile de conquérir. Et imaginons simplement les réactions si quelqu’un de l’entourage de Nicolas Sarkozy disait : « je demande aux militants et aux électeurs de droite d’aller massivement voter à la primaire de la gauche pour choisir François Hollande, candidat calamiteux, qui assurera la défaite de la gauche ».
J’ajoute pour que les choses soient claires, que je n’ai personnellement jamais voté pour cette droite-là, sauf en 2002 pour Jacques Chirac au deuxième tour, et ce n’est pas encore cette fois-ci que je vais le faire. Mais si j’ai eu plusieurs fois l’occasion de critiquer l’instrumentalisation de la justice pénale à l’encontre de Nicolas Sarkozy, parce que je considérais ces atteintes aux libertés et aux principes préjudiciables à l’autorité de la justice, de la même façon, je considère que la fraude qu’on nous prépare est une mauvaise action, et pas seulement au plan de la morale. Il n’est pas sûr que ceux dont on bafouerait ainsi les choix, quels qu’ils soient, apprécient la manœuvre et restent tranquilles bien longtemps.
Si les militants et sympathisants LR préfèrent Alain Juppé, à Nicolas Sarkozy, ou le contraire, Bruno Lemaire ou encore NKM, pour les représenter à l’élection présidentielle, c’est leur affaire. Mais ils doivent pouvoir faire ce choix régulièrement et à l’abri des manipulations. Et il appartiendra ensuite, aux Français de décider.
En effet, le jeu dont vous vous faites l’écho au sujet des primaires, et que certains estiment apparemment comme étant « de bonne guerre », témoigne d’une perception « lègère » des convictions politiques et du mode constitutionnel de dévolution des pouvoirs publics. Pour autant, je trouve que le plébiscite à l’image du Brexit, certes démocratique, public, est un mode de décision qui tend à donner l’ascendant à la démagogie. Il reste qu’on peut voir, à mon avis, le cas du Brexit comme symptomatique du manque de proximité entre une idée non seulement belle, mais essentielle, vitale, comme la communauté européenne (j’emploie ici les mots sans majuscule, pour évoquer une notion commune, abstraction faite un instant de son existence institutionnelle) et une grande partie des populations, des peuples, qu’elle est destinée à servir.