Ceci est une œuvre de l’artiste Yéménite Bouchra Almutawakel, intitulée « Disparition ».
Burkini : ce sont les couches populaires qui ont imposé l’agenda.
L’institution absurde de primaires pour choisir les candidats, a lancé prématurément la campagne pour l’élection présidentielle de 2017. Mais peut-être pas comme stratèges et états-majors l’avait imaginé avant l’été. Au mois de juillet, que l’on peut qualifier de juillet noir, mois des tragédies et des massacres épouvantables, a succédé un mois d’août aux polémiques politiques furieuses qui ont provoqué une forme de panique au sein des élites. En ressort un paysage politique changé, que les plus intuitifs des candidats ont compris, les autres ressemblant à des poules ayant trouvé un couteau. Mais que s’est-il passé, et pourquoi le débat qualifié de ridicule et d’inutile par un mainstream apeuré, a-t-il été aussi vif ? Parce que des hommes politiques sans principe, dans le but de « manipuler » les électeurs, ont imposé cet agenda ? À des Français qui voulaient simplement profiter paisiblement de la plage ? Ces hommes politiques que sondage après sondage, on nous présente comme ayant perdu toute légitimité et toute influence, ce serait eux qui donnent le la à un peuple d’imbéciles ?
Non justement, l’élément nouveau, c’est précisément que nous sommes en présence du contraire, ce sont les couches populaires qui l’ont imposé l’agenda. Il n’est pas sûr du tout que Valérie Toranian ait raison quand elle y voit dans cet été terrible une défaite de ceux qui s’opposent à l’entreprise intégriste antirépublicaine. Et le débat, loin d’être inutile a montré ce qui travaille désormais la société française, fait émerger de vrais clivages, et permis d’évaluer les rapports de force.
Les couches populaires directement attaquées
Les vacances d’été, institution française conquise par des luttes sociales de belle mémoire populaire, sont un moment particulier. Celui, où même ceux, hélas trop nombreux, qui ne partent, soufflent, prennent le temps et profitent de la reconstitution temporaire d’un tissu social par ailleurs déchiré. Qui dans son camping des Landes, qui dans son VVF des Alpes, qui dans son mobil-home d’Auvergne, qui dans sa cité où il a dû rester ou dans sa campagne dont il peut enfin profiter. Et la France redevient ainsi pour un temps la société de voisins qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Et c’est ce moment qui a été choisi pour l’agresser en s’attaquant à des cibles tout à fait symboliques. En égorgeant un couple de policiers devant leur enfant de trois ans. En se livrant au plus atroce des massacres dans une foule populaire profitant de la douceur d’une soirée pour assister, vieille tradition, au feu d’artifice de la Fête Nationale. Et enfin, encore en égorgeant un prêtre de 86 ans, Don Camillo français en train de dire sa messe. Trois attaques meurtrières et barbares visant trois évidents symboles, la famille, la fête nationale, et la vieille religion chrétienne qu’on ne pratique plus, mais qui fait partie des meubles. Et sur le plan géographique, cette fois-ci c’est la province qui a été visée.
À Paris il y avait eu les morts de Charlie et de l’hyper kacher. Le pouvoir a organisé de gigantesques manifestations internationales rassemblant des millions de personnes. Emmanuel Todd l’avait justement constaté mais pour délivrer un diagnostic erroné. Les médias ont couvert et orchestré les événements. Des hommages personnalisés ont été rendus aux victimes dont beaucoup étaient connues, aimées et faisaient partie du patrimoine national. Il fallait être Charlie, mais si elles ont compati, les couches populaires ne se sont pas mobilisées.
Il y eut ensuite les attaques des terrasses et du Bataclan, les cibles étant cette fois-là, le Paris gentryfié et son mode de vie. Énorme traumatisme pour ces couches sociales des centres urbains mondialisés que cette attaque qui les a touchés au cœur. La réponse fut à la hauteur, à base de cérémonies nombreuses, de constitution de mémoriels photos dans toute la presse, toutes les victimes étant nommées, leurs histoires racontées et leurs obsèques souvent montrées. Ce fut très beau, appartenant à ces couches sociales et ayant été touché indirectement par la tragédie, j’ai trouvé tout cela indispensable. L’ennemi a été désigné, hydre à deux têtes Daesh, l’État islamique et le terrorisme, qu’il fallait combattre pour les uns, à qui il fallait faire la guerre pour les autres. Encore une fois, les couches populaires qui étaient évidemment solidaires mais pas directement concernées, ont été absentes. Organiser un concert commémoratif, avec pourtant Johnny Hallyday chanteur populaire s’il en est, n’a pas suffi à les faire venir. La place de la République est restée vide.
Juillet 2016 a tout changé. Regardons les réactions, non pour les critiquer, non pour dire que la mobilisation nationale ne fut pas à la hauteur, non pour relever une indifférence, mais pour constater une différence. A-t-on vu les victimes ? Très peu, au travers de reportages vidéos, très vite, et pour certain à juste titre, taxés de voyeurisme. Y a-t-il eu dans les journaux un mémorial de photos, des listes de noms, des histoires racontées, des obsèques filmées ? Très peu à part la PQR locale. Le ministère de l’intérieur a fermement demandé la discrétion concernant la diffusion de films ou de photos. La « marche blanche » en hommage aux victimes a été interdite pour des raisons de sécurité, et pour les virtualiser un peu plus les belles âmes ont demandé qu’on floute le visage des tueurs. Et l’union nationale tant vantée tant célébrée, après Charlie et le Bataclan n’a pas existé ne serait-ce qu’une seconde.
Et pourtant quelque chose a bougé
Et pourtant quelque chose a bougé, ainsi agressés les Français ont pris conscience, tout d’abord qu’il est idiot de parler « de guerre au terrorisme », cette expression ne voulant rien dire puisque le terrorisme n’est qu’une des armes, entre les mains de ceux qui ont décidé de s’attaquer à leur pays. Depuis deux ans, on leur propose Daesh, adversaire lointain et incompréhensible, et qui en dehors d’une capacité de nuisance terriblement mortifère, ne représente pas un réel danger pour le territoire national. Et dont ils pressentent aussi qu’il est l’enfant de manœuvres géostratégiques obscures dont le gouvernement de la France est loin d’être innocent. La cohorte de ceux qui affirment haut et fort que la France est coupable parce que raciste et trop laïque, a eu table et micros ouverts, dans tous les grands médias, après les massacres. Pour marteler qu’ils n’étaient pas le fait de djihadistes mandaté par Daesh, mais de « déséquilibrés ». Dénis absolument ridicules dans leur systématique compulsivité, puisque pour ces couches populaires c’est l’évidence ! Ils ont été commis par des Français, leurs voisins, ceux qu’ils croisent ou qu’ils ont connus dans les cités abandonnées aux barbus, qu’ils ont eux aussi fini par quitter. Parce que depuis 20 ans ils ont assisté à cette montée du salafisme, de l’intégrisme, à cette sécession physique qui s’impose et ont pris conscience de l’entreprise séparatiste. C’est leur vie, et c’est leur quotidien. Les « Arabes », ils les connaissent, parlent avec eux, travaillent avec eux, se marient avec eux, mais désormais, de plus en plus souvent, les barbus les en séparent. Et parce que ces couches populaires, ces ouvriers, ces employés d’exécution des services qui représentent 50 % de la population française ne sont pas les brutes primitives que l’on nous présente à longueur de colonnes. Si souvent il y en a qui votent pour le Front National, histoire de donner un bulletin au loup pour faire réfléchir le berger, lorsque les choses deviennent sérieuses, ils savent ce qu’ils ont à faire comme l’a montré le deuxième tour des élections régionales. Eh bien ces gens-là ont compris que l’entreprise de l’islam politique intégriste est dirigée contre leur République.
Et à cet islam-là, ils reprochent deux choses, d’abord d’être une antichambre du djihadisme meurtrier où basculent les plus fragiles et ensuite, une entreprise séparatiste et communautariste dont ils ne veulent pas. Il ne faut pas se tromper, depuis la Révolution il est une évidence, que le peuple français tient très fermement à l’unité de sa République. Hétérogène, il est moins sûr de lui qu’on le dit, il la pense fragile et il compte sur un État fort pour la maintenir. Et la prise en compte de la nécessité politique de s’opposer fermement à l’entreprise intégriste hostile et séparatiste vient probablement de s’opérer. André Gérin ancien député-maire communiste de Vénissieux dit que « le problème c’est l’islam », non je crois que pour les couches populaires désormais, le problème c’est l’islam intégriste comme entreprise antirépublicaine. Et, quoi qu’on nous dise, le burkini du mois d’août était, pour elles, l’emblème du combat obscurantiste et régressif mené contre l’unité de la République. Et c’est la raison pour laquelle elles se sont cabrées face à la stratégie des intégristes emmenés par l’officine CCIF, multipliant les provocations visant à les présenter comme des victimes. Et c’est ce retour dans la sphère politique des invisibles, de ces ouvriers et employés abandonnés par la gauche, qui constitue ce changement qui fait si peur aux belles âmes. Jusqu’à présent assurées d’une forme relative d’hégémonie culturelle imposée comme le dit Christophe Guyli : « au rouleau compresseur », elles se pensaient tranquilles. Une partie de ces couches populaires votant FN, cela permettait de les insulter et de prendre confortablement la pose antifasciste. Bien sûr au nom des libertés publiques que tous ces gens-là n’ont vu absolument aucun inconvénient à les voir fouler aux pieds depuis quatre ans, que ce soit dans la chasse au Sarkozy, les atteintes à la liberté de manifestation et d’expression, ou avec les poursuites contre les travailleurs de Goodyear et d’Air France.
Le retour des invisibles
Le retour des couches populaires vient de mettre la question de l’islam intégriste au centre du débat politique. Et chacun sait que la politique est une question de rapport de forces. Le peuple français a été patient, il ne veut en aucun cas d’une guerre civile, contrairement à ceux qui l’agressent. Prétendre que le débat autour du burkini est la conséquence de l’agenda politique de tel ou tel courant politique intéressé par les présidentielles est un contresens. C’est le contraire, ce sont bien les politiques qui suivent l’agenda décidé par les couches populaires.
Plusieurs symptômes en témoignent : les sondages qui le démontrent, l’embarras de ces élus clientélistes que l’on trouve dans tous les partis, les difficultés du FN qui sait bien que la colère ou la rage n’est intéressante que si elle est silencieuse et fait voter pour lui, et bien sûr, le choix de ces thèmes par ces hommes politiques sans vraies convictions, mais à grande capacité de sentir d’où vient le vent. L’intervention des juridictions administratives, notamment par les contradictions entre les tribunaux de premier degré et le Conseil d’État suivies par leur mise au pas, est déjà très coûteuse sur le plan de la légitimité de l’institution.
Et puis il y a ce qui ne peut que faire plaisir, cette prise de parole ferme de ces Français et surtout de ces françaises musulmanes accompagnées des intellectuels du Maghreb qui nous demandent de les aider et de ne pas céder. Et qui expriment de façon émouvante, ce qu’ils voudraient que soit l’islam de France, c’est-à-dire républicain.
Alors, ce ne sera pas facile, il faudra être vigilant et garder la plus grande fermeté vis-à-vis des infréquentables, ne pas céder aux provocations de ceux qui aujourd’hui adversaires, rêvent de devenir des ennemis. Mais j’aurais du mal à considérer que le retour sur le terrain du débat politique des couches populaires, des abandonnées et des invisibles, soit une mauvaise nouvelle. Pour les intégristes et leurs soutiens, il est clair que c’en est une.