J’avais dit ici mon souhait, et non ma prévision, de voir Nicolas Sarkozy candidat à la présidence de la république soutenu par le parti qu’il avait redressé après le calamiteux épisode de la guerre Fillon Copé. J’avais dit aussi mon aversion pour le système des primaires « ouvertes », rétablissement d’un suffrage censitaire manipulatoire, complètement étranger au mécanisme voulu par Charles de Gaulle. Le résultat de la parodie démocratique de dimanche a validé toutes mes craintes. L’entre-deux tours les aggrave. L’institut Harris interactiv a réalisé une étude passionnante qui nous raconte l’histoire politique de cet épisode, nous explique pourquoi Nicolas Sarkozy a été congédié par la bourgeoisie française et comment la droite s’est choisi un champion propre sur lui dont la solidité politique provoque quelques appréhensions. Je faisais le pari que Nicolas Sarkozy au regard de sa victoire de 2007 à base d’affaiblissement du Front National, et par conséquent de cette capacité de parler aux couches populaires, pouvait refaire le coup en 2017. Je me remémorais la campagne de 2012 où les sondages de février nous annonçaient un écart de près de 20 points avec son challenger devenu favori, et qu’il sut diviser par 10 à l’arrivée, avec une victoire de hollande finalement de justesse. Nicolas Sarkozy pu accomplir cette remontée grâce à sa capacité à mobiliser une partie des couches populaires qui avaient pourtant commencé à repartir vers le Front National.
Une des dimensions essentielles du rejet de Sarkozy : la haine de classe.
Je souhaitais sa candidature en 2017 car je le pensais capable de réaliser encore une fois cet effort, et qu’à mes yeux, face à l’insurrection qui vient, l’existence d’un FN à ces niveaux est un danger pour notre pays. J’ai commis deux erreurs, d’abord j’ai surestimé sa capacité à vouloir véritablement affronter le mainstream libéral libertaire expression de cette partie minoritaire du peuple français qui profitant de la globalisation, a fait sécession et ne veut plus entendre parler de ces sans dents, invisibles et autres petits blancs qui en sont les victimes. Ensuite pour avoir sous-estimé une des dimensions essentielles du rejet de Sarkozy : la haine de classe. Je ne suis pas le seul, l’ancien président lui-même a commis cette erreur. Alors qu’il a subi un considérable bombardement médiatico-politico-judiciaire depuis sa défaite de 2012, il n’a pas vu le piège mortel que constituaient ces primaires ouvertes. Lorsqu’il a repris le parti avec 60 % des voix des militants et qu’il l’a restructuré à sa main, il aurait pu se débarrasser de cet encombrant héritage mis en place par Jean-François Copé sur la base d’un modèle proposé par le think tank Terra Nova. Il a cependant reculé, conscient qu’il aurait dû pourtant être, du risque du référendum anti-Sarkozy que la bourgeoisie et le mainstream son allié lui préparaient. Il comptait sur ses capacités « d’appel au peuple » mais contradictoirement ne se résignait pas à accepter et affronter cette haine de la bien-pensance. C’est dans cette dialectique et cette contradiction, que s’enracine sa défaite du 20 novembre. Après une entrée en campagne où il a de nouveau manifesté cette capacité à se mettre au centre du débat, il a semblé ne pas assumer la transgression, et on l’a vu louvoyer et venir à la stupéfaction de ses partisans donner des gages à ceux qui ne pensaient qu’à le détruire. Parmi beaucoup d’autres, le plus significatif, le plus calamiteux est celui où il a dit qu’il voterait Hollande ou Bayrou s’ils étaient opposés à Marine Le Pen ! Or, le principal handicap de Nicolas Sarkozy était celui de n’avoir pas fait ce qu’il avait promis en 2007, le Karcher au lieu du Kouchner.
Les Loden et Barbour en rangs serrés
L’étude sociologique de l’institut Harris démontre bien que c’est l’insuffisance de la mobilisation de son camp, des jeunes et des couches populaires qui a provoqué sa défaite. En face, riches, vieux et inactifs, la partie privilégiée des baby-boomers de droite était décidée à lui faire la peau, à ce parvenu, ce métèque bling-bling incontrôlable qui voulait tant se faire reconnaître par les riches. Alors, ils se sont mobilisés en masse, ont enfilé après la messe, les lodens et barbours, chaussés mocassins et docksides pour se déplacer en rangs serrés lui signifier son congé. Ils l’ont fait d’autant plus facilement que le parti des médias divisé pour cette fois, leur a fourni dans l’urgence un remplaçant à Alain Juppé, vieux rafiot mal radoubé qui multipliait les voies d’eau. Propre sur lui, convenable, allure imparable de notaire de province, François Fillon a eu en plus l’intelligence de s’adresser à eux et rien qu’à eux. Se gardant de toute concession au camp du sociétalisme, pour avoir compris que celui-là, aveuglé par sa haine de Sarkozy ne se déplacerait que pour voter Alain Juppé. Ce que celui-ci a fait sans vergogne avec ses 600 000 électeurs soit 15 % des participants sont venus sans état d’äme essayer de fausser le résultat du camp d’en face.
On a pu lire le lendemain, que « la France avait choisi » ! Proposition effarante lorsque l’on détaille les segmentations du vote Fillon, choisi par cette bourgeoisie provinciale et inactive. Résultat, la droite va probablement se retrouver avec le candidat voulu par ces gens-là fermement décidés à ce qu’il défende leurs intérêts. Matériels en veillant à ce que les retraites déjà prises soient préservées, quitte à ce que ce que la durée du travail des pauvres qui ont la chance d’en avoir soit rallongée, à ce que baisse des impôts dans les tranches supérieures, et suppression de l’ISF. Intérêts culturels aussi avec quelques apaisements à la marge donnés au Cathos. En espérant que les couches populaires s’en contenteront.
Jean-Luc Mélenchon a un rôle très important à jouer.
La « gauche », enfin celle qui n’est en fait que la bourgeoisie des grandes métropoles connectées, s’est alors retrouvée confrontée à un problème. L’accord s’était fait avec la partie droitière des gens d’en haut pour congédier Sarkozy en choisissant Alain Juppé. Mauvaise surprise que le changement de cheval au milieu du gué et l’irruption de l’homme gris. Elle a alors immédiatement essayé de le diaboliser histoire de la jouer « rassemblement à gauche contre l’infâme ». Non par peur du programme économique mais pour conserver les places et surtout l’hégémonie idéologique de son rouleau compresseur culturel. Elle espère renouveler de façon encore plus large au deuxième tour le coup du premier, où les 600 000 voix apportées à Alain Juppé ont empêché Nicolas Sarkozy d’être second. Le dit Alain Juppé a immédiatement adopté ce discours caricatural, confirmant s’il en était besoin que loser politique, enfermé dans sa morgue, il était aussi un homme sans principe. Il est d’ailleurs assez savoureux de voir tous ces fillonistes, douloureusement surpris devant ces attaques pourtant infiniment moins violentes que celles que Nicolas Sarkozy a subies depuis 10 ans et auxquelles ils ont d’ailleurs souvent participé au premier rang. Cela peut donner quelques inquiétudes sur leur solidité à mener le vrai combat, celui du printemps prochain.
Parce que justement. Le problème, est que tous ces calculs, tous ces commentaires font l’impasse sur le fait que si François Fillon sera probablement adoubé ce sera par environ 2 millions de voix, qui au-delà de leur sociologie si particulière représentent environ 5 % du corps électoral français. Et qu’au sein de celui-ci 60 % soient 24 millions de voix appartiennent aux couches populaires abandonnées. La moitié a décroché et désormais s’abstient, l’autre vote Front National. Ce peuple, jusqu’à présent a fait preuve d’une étonnante maîtrise face au terrorisme, au pitoyable effondrement de l’État incarné par François Hollande, à l’austérité brutale qui déclasse des pans entiers de territoires avec ceux qui les habitent, et au rouleau compresseur culturel communautariste qui désormais le met en rage.
Une des raisons de cette maîtrise est que se présente l’échéance de mai 2017, cette élection présidentielle mère de toutes les batailles électorales. L’enjeu est bien celui-là, les couches populaires veulent qu’on les entende et qu’on leur parle. Autrement qu’en leur martelant qu’il n’y a pas d’alternative et en leur donnant en permanence des cours de morale. François Fillon candidat de la bourgeoisie traditionnelle, sera-t-il en mesure de s’y atteler, de leur donner à voir une France dans laquelle ils se reconnaîtraient et de démontrer qu’il serait capable de l’incarner ? Je ne le crois pas, son programme et sa culture l’en empêchent. J’ai dit ma conviction que le Front National qui lui, les entend et leur parle ne peut être la réponse politique opératoire. Je souhaitais Nicolas Sarkozy capable de le faire, je me suis trompé. Je pense toujours, et le soutiens pour cela, que Jean-Luc Mélenchon a un rôle essentiel à jouer. Mais il est probable que le printemps prochain nous réserve, bonnes ou mauvaises, quelques surprises.
Si cette élection, dans sa campagne, et dans son résultat ne répond pas, ne serait-ce qu’en partie à l’inquiétude, à la souffrance mais aussi à cette colère qui monte, nous saurons que nous avons pris le chemin de l’aventure.
Bilan de la présidence Sarkozy:
Revenus des ménages les plus aisés (1er décile): +12 000 euro sur la période
Revenus des ménages les plus pauvres (1er décile): -500 euro sur la période
Plus que le complot médiatique, ceci explique cela.
Faire de Sarkozy le défenseur des plus pauvres et des « invisibles »; elle est bien bonne celle-là.
Je reste dubitatif, notamment sur l’analyse de la perte de Sarkozy.
Vous résumez dans un autre article, l’historique judiciaire de Juppé et expliquez que cela lui nuisait (surtout son taux hautain vis à vis de cela). Même si Sarkozy n’est point condamné actuellement, le même comportement se répète avec lui, notamment sur des affaires à grand bruit comme l’affaire Bygmalion. Le CC faisait déjà un écart conséquent, mais en plus les révélations et preuves rendues publiques en font pas un petit dépassement sur un « oubli » représentant un pourcentage ridicule, ça chiffre vers 100% de dépassement actuellement. Même s’il n’en est pas le responsable pénal, en tant que responsable qui signa et qui devrait faire attention, il en demeure pas moins responsable en civil (bien des patrons ou des directeurs d’association furent condamnés sur cette base, pourquoi il y échapperait ?), tout du moins du point de vu moral : il apparait peu capable de gérer une campagne du point de vu financier, comment pourrait-il gérer une France ? Surtout en sachant que lors de sa précédente prise de fonction il est l’Homme qui créa le plus de déficit de l’Histoire de la V ième (dont une large majorité imputable à sa politique d’après la Cours des comptes) ?
Je suis, par ailleurs, en désaccord avec votre analyse du vote de « gauche », surtout le qualificatif de « frauduleux ». Nulle fraude, ce fut les termes de la primaire qui le permis ce vote. Cela s’approche plus tu termes « hacker », où il y a détournement du but premier d’une chose pour lui permettre un but autre, ou encore utiliser les failles du système pour en tirer avantage.
Frauder renvoie à l’illégalité de la chose, à la malhonnêteté, du moins de bafouer les règles, ce qui ne fut pas le cas de cette primaire.
De plus, c’était connu d’avance que ce genre de phénomène arrive avec ce genre de primaire, c’est exactement ce qui arriva lors de la primaire de la gauche, ce qui mena donc au choix Hollande, alors que le vote purement PS aurait donné un autre candidat.
Rajoutons à l’analyse que je trouve peu profonde de son vote. Replongeons nous dans le détail d’avant primaire : Juppé largement en tête, Sarkozy a peu de chance de raté la finale, le 3ième homme est loin derrière. L’électorat de gauche n’a donc aucun intérêt à aller voter à ce premier tour, Sarkozy ne pouvant être éliminé ce tour ci.
Approche l’échéance et voilà que le 3ième homme -Fillon- gagne du terrain et vient talonner Sarkozy dans les sondages. Au détriment majoritairement d’Alain Juppé par ailleurs (bien que ce dernier reste en tête). Les gens de gauche peuvent y voir donc un moyen d’éliminer Sarkozy : en votant Fillon, ils lui font gagné des voix, Juppé étant assuré de passer.
Voilà le grand jour, Juppé toujours premier mais d’une courte tête, les deux autres se talonnent, l’élimination de Sarkozy est donc possible.
D’ailleurs, à en lire les témoignages sur le Monde des gens de gauche qui ont voté, un certain nombre semble ne pas avoir voté Juppé, comme vous l’affirmez, mais bel et bien Fillon pour être sur d’un duel Fillon-Juppé évinçant du coup Sarkozy.
Au second tour, je ne saurais dire pour qui ils ont voté les deux choix se justifient : Juppé qui leur paraissait le plus centriste (bien que le programme soit très proche de celui de Fillon mais en moins « sec ») ou Fillon pour avoir un candidat des plus clivants notamment avec le centre augmentant alors les chances de la gauche de passer en 2017 ou le centre (un Macron ou un Mélanchon si vous préférez).