« Guerre froide de l’information » entre Moscou et Bruxelles

Russie Ue

 Maxime Audinet, doctorant et chercheur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Par 304 votes contre 179 (208 abstentionnistes et 60 non-votants), le Parlement européen a adopté le 23 novembre dernier une résolution intitulée « Communication stratégique de l’Union visant à contrer la propagande dirigée contre elle par des tiers ». Le texte vise en particulier, à côté de la dénonciation de la propagande et des méthodes de radicalisation menée par l’organisation État islamique en Europe, à reconnaître « la guerre de désinformation et de propagande russe » et sa capacité d’affaiblir la souveraineté et l’indépendance de l’Union européenne et de ses Etats membres.

            Plus précisément, la résolution réunit de manière indifférenciée, au sein de la « guerre de propagande russe », des instruments de natures diverses, généralement associés au dispositif de « soft power » mis en place par le gouvernement russe depuis le milieu des années 2000, à la suite des révolutions de couleur survenues dans l’espace post-soviétique. Il s’agit, d’une part, des deux principales organisations de la diplomatie culturelle russe, l’agence fédérale Rossotroudnitchestvo et la fondation Russkiy Mir, respectivement en charge de la coordination des centres culturels russes implantés dans plus de 70 pays et de la consolidation de la langue russe à l’étranger. On trouve, d’autre part, RT (anciennement appelé Russia Today) et Sputnik, les deux grands réseaux d’information et de propagande particulièrement offensifs de la diplomatie publique médiatique russe. Ces deux médias publics internationaux se revendiquent comme des sources alternatives. Ils visent prioritairement les audiences occidentales, via des canaux traditionnels (TV, radio) et numériques (sites internet, médias sociaux), afin de remettre en cause les positions « mainstream » en s’appuyant sur un corpus de valeurs souverainistes et conservatrices vraisemblablement compatible avec la vision défendue par Moscou. Les rapporteurs du texte y ajoutent un certain nombre d’acteurs non-étatiques, tels que les groupes religieux ou les trolls internet, qui complètent un dispositif de communication stratégique russe cherchant à « s’attaquer aux valeurs démocratiques, [à] diviser l’Europe, [à] s’assurer du soutien interne et [à] donner l’impression que les États du voisinage oriental de l’Union européenne sont défaillants ».

            Anciennes républiques du bloc socialiste pendant la Guerre froide, les États membres à l’Est de l’Union se caractérisent depuis le début de la crise ukrainienne par une très nette défiance vis-à-vis de la « menace russe » et par un activisme intense en faveur d’un renforcement des structures de défense de l’alliance atlantique dans la région. Leurs représentants au PE se sont d’ailleurs particulièrement mobilisés pour l’adoption de la résolution : les sept premiers pays rassemblant la plus grande proportion de votes favorables appartiennent à la « Nouvelle Europe », Estonie et Pologne en tête. La France, l’Italie et la Grèce (0 vote « pour ») se placent en queue de peloton (voir graphique). La motion à l’origine de la résolution a d’ailleurs été proposée par la députée conservatrice polonaise Anna Fotyga, ancienne Ministre des affaires étrangères (MAE) sous la présidence de Lech Kaczyński.

Graphique

Graphique. Vote par pays pour la résolution du Parlement européen du 23 novembre 2016 sur la communication stratégique de l’Union visant à contrer la propagande dirigée contre elle par des tiers (2016/2030(INI)).

Sources : http://www.votewatch.eu

La résolution, par nature déclarative et non-contraignante, est un moyen de mettre en avant la position très réactive du PE sur le phénomène, afin d’inciter dans un deuxième temps les institutions exécutives de l’Union et les Etats membres à prendre des initiatives pour contrer « la propagande hostile » de la Russie. Le renforcement des ressources humaines et budgétaires de l’East StratCom Task Force en est le principal ressort. Créée en mars 2015 à l’initiative du président du Conseil Donald Tusk, cette petite structure d’une dizaine de personnes a vocation à devenir une entité à part entière du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) dirigé par Federica Mogherini. En outre, les rapporteurs la présentent comme le versant européen complémentaire du Centre d’excellence de l’OTAN pour la communication stratégique (STRATCOM), inauguré à Riga en août 2015 en présence du sénateur américain John McCain, et dont la mission est strictement identique.

            Loin de représenter un véritable organisme de diplomatie publique de l’UE capable de diffuser ses valeurs à l’international, l’East StratCom Task Force apparaît pour le moment comme un simple outil de contre-propagande. Focalisée sur la mise en lumière des procédés de désinformation à l’œuvre dans les médias russes, sa plateforme internet anglophone et russophone, intitulée Desinformation Review, a adopté pour mot d’ordre « Don’t be deceived : Question even more » (« Ne vous y trompez pas : Remettez encore plus en question »), manifestement en réponse à la devise de RT, Question More. Côté russe, le ton monte : si, l’an dernier, le journal en ligne Vzgliad qualifiait avec sarcasme la structure de « Spetsnaz européen de l’information », la porte-parole du MAE russe, Maria Zakharova, parlait au lendemain du vote d’un « crime informationnel ». Vladimir Poutine, de son côté, s’est empressé de féliciter RT et Sputnik, voyant dans la décision du PE le signe de leur « talent » et de « la dégradation (…) de la démocratie » en Europe.

 

 

 

Laure Bardiès

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