Éloge des têtes de Turc.

Quelques réflexions sur trois personnages qui viennent d’avoir droit à leur petite fête médiatique. Ils font partie de ces punchingballs sur lesquels, comme dans les foires, il faut taper le plus fort possible. Parfois, on n’a pas envie de taper.

Boutin descendue du train.

À tout seigneur tout honneur, la rombière emblématique Christine Boutin qui vient d’annoncer la fin de sa vie politique. Retraite saluée par un festival de ricanements, insultes, blagues salaces et contrepèteries. Alors il est vrai, qu’elle a tout pour qu’on la déteste. Catho ardente, elle est contre le mariage gay et considère que l’homosexualité est une « abomination », parce que c’est un péché, qui mérite d’ailleurs miséricorde. Que des bêtises évidemment, elle a un train de retard. Mais pour ça elle a pris cher. Condamnée en correctionnelle, elle fut aussi traitée de dégénérée pour avoir épousé son cousin germain. Ceux qui l’ont insultée oubliant au passage que c’est le cas de près de 35 % de la population en terre d’Islam, où d’ailleurs l’homosexualité est punie de mort. Christine Boutin n’a jamais appelé à jeter les homos du haut des immeubles. En revanche, sans jamais masquer ce qu’elle était, et sans sectarisme dans l’action, elle a mené une belle carrière politique d’élue locale, femme combattante et émancipée. Elle a fait aussi un très convenable ministre du logement. Et pour ma part, ce que je retiens particulièrement, c’est qu’elle fut une des premières dans la sphère politique à dénoncer le scandale de l’état indigne des prisons françaises. Si on est encore loin du compte, ce travail a quand même porté ses fruits, qu’elle en soit donc remerciée.

Tout cela éclaire aussi la nature de ses engagements, et mérite autre chose que les seuls quolibets.

Au revoir Madame.

 

Nanard l’improbable ruffian.

Et puis, il y a Nanard, Bernard Tapie himself, improbable ruffian sorti de nulle part pendant les « années-fric » à qui courage, talent, absence de scrupules et d’illusions sur les hommes ont permis de faire tout et n’importe quoi. Courage, parce que comme le décrivaient « les Guignols » du siècle dernier quand ils étaient encore drôles, «Nanard était sévèrement burné ». Talent, il suffisait de voir comment il écrabouillait systématiquement ses interlocuteurs dans les débats télévisés pour en être convaincu. Pour l’absence de scrupules, la lecture des quelques livres qui lui ont été consacrés est suffisamment édifiante. Bernard Tapie a même réussi à faire mentir l’écrivain Jean Ray qui disait « qu’il n’y a que la fortune pour faire d’un ruffian un honnête homme, soumis aux lois humaines. » Doublement, parce que tout d’abord le saltimbanque, même richissime a continué à prendre des libertés avec le droit et la morale. Mais aussi, parce que l’entreprise de spoliation dont il est la victime aujourd’hui, n’a pu se mener que par la violation par l’État de sa propre légalité. Et ça, il n’y a pas de quoi trouver ça formidable. Bernard Tapie a été victime il y a plus de 20 ans, de la part du Crédit Lyonnais d’une incontestable escroquerie à l’occasion de la vente de la société Adidas. Il s’en est remis à la Justice pour être rempli de ses droits, mais malgré l’évidence, il s’est heurté à la durée interminable des procédures. Il a donc préféré passer par un arbitrage qui lui a rapporté, des sommes certes très importantes, mais sans commune mesure avec ce qu’il aurait pu obtenir au bout de la procédure. C’est-à-dire quelques années après son décès… Après l’arrivée au pouvoir de François Hollande, la décision a été prise de lui faire rendre gorge, et acrobaties judiciaires après acrobaties judiciaires, ses ennemis ont réussi à le mettre à poil. À l’occasion d’une audience adjacente devant une juridiction belge, Bernard Tapie atteint d’un cancer de l’estomac, et méconnaissable, s’est rendu au tribunal. Le mal qui le ronge ne l’a pas empêché de retourner au combat.

Cela mérite autre chose que des injures, même si on ne va pas plaindre une victime qu’il n’est pas. Simplement peut-être exprimer un peu d’admiration pour celui qui doit bien savoir ce qui l’attend, et qui continue à se battre.

Chapeau quand même Monsieur.

 

Jul l’enfant de Saint-Jean-du-Désert

Je n’avais jamais entendu parler de Jul « rappeur marseillais » avant qu’il ne défraie la chronique, moins pour une assez grosse bêtise qu’il avait commise, que pour avoir publié un tweet d’excuses à l’orthographe hasardeuse. Comme il le recommandait lui-même, je suis allé jeter un coup d’œil sur sa notice Wikipédia. Si je n’ai pas tout compris, j’ai mesuré qu’il n’était pas né avec une cuiller d’argent dans la bouche et que ses débuts dans la vie n’avaient pas dû être très faciles. Quelle est donc cette histoire qui a ameuté médias et réseaux ?

Jul s’est fait arrêter pour excès de vitesse sur l’autoroute, sous emprise de cannabis et avec un passager armé d’un 9 mm. Sûr, que cela a fait un peu de bruit et que c’est moyen pour l’image. Alors il a fallu s’y coller et publier spontanément un message d’excuses sur Facebook : « Desolé ma team pour ce qu’il cest passé. Je sait qui a des enfant et des parent qui me suive cest pas une bonne image pour tt le monde donc voila je tenez a mescusez».  Instantanément, l’excès de vitesse, le cannabis, le 9 mm ont été oubliés, Jul illettré, la meute tenait sa revanche. C’est qu’il a pris cher l’enfant de Saint-Jean-du-Désert, l’homme aux disques de platine, récompensé aux victoires de la musique, et qui remplit les salles de concert. Un torrent d’insultes et de ricanements, chacun, cuistres et gommeux en tête, y est allé de son commentaire qui n’exprimait que mépris social et frustration. Voilà un gamin en échec scolaire, fils de maçon, dont l’enfance n’a peut-être pas été rose tous les jours, «Franchement, un illettré qui réussit, cela montre bien que cette société marche sur la tête. Nos enfants à nous, qui vont dans les écoles privées et au conservatoire, ils ne sont pas capables d’aligner trois notes, et sont toujours chômeurs à 28 ans. Eh bien, malgré sa réussite musicale, on va pouvoir le renvoyer symboliquement à la condition indigne dont il n’aurait jamais dû sortir.  ». Parce qu’on sait bien, que dans les couches populaires ne pas savoir écrire convenablement est vécu comme une indignité. Le pire a été la publication de cette photo d’un tableau ou une enseignante avait marqué en titre : « la dictée de Jul », et reproduit le texte, barré de feutre rouge sous les fautes. Et de rire ? Il n’y a pas de quoi Madame, Jul illettré, c’est aussi votre échec et celui de vos collègues. Pas seulement le vôtre certes, mais il n’y a pas de quoi pavoiser.

Jul devait savoir ce qui l’attendait, et il a fait preuve d’un certain courage en affichant cet illettrisme. Ce qui le démontre aussi, c’est que face à la clameur, remettant le couvert, il a répondu qu’il assumait et qu’il était fier de sa réussite : « Ils peuvent parlez jusqu’a demain sur moi ou mon orthographe… sa ne matteint pas lol tant kia ma team derriere moi pff j’accepte tte leur moquerie !  »

Bien joué cousin !

 

Régis de Castelnau

9 Commentaires

  1. En effet, cher Maître, ni la vraie défense d’une authentique liberté de moeurs, gage de réalisation humaine, ni la cause de la culture qui à mes yeux ne doit pas faire l’impasse sur l’orthographe, ni même celle du droit et de l’équité ne sont défendues par les quolibets faciles, encore moins par les mises au pilori expéditives qui se réclament parfois de la vertueuse intransigeance, de l’intraitable indignation et qui n’ont guère plus de consistance que poudre aux yeux et complaisance.

  2. Merci pour votre billet, Monsieur,. A cet effet je rejoins le post de Pierre Henry D, ci-dessus.
    C’est beau les gens qui savent s’exprimer à l’oral comme à l’écrit.
    Par moment; vous etes le porte parole des sans grade et des petits  » ( voir un dialogue pris dans l’Aiglon de Rostand)
    Vos billets ne changent pas la face du monde car on va droit dans des événements graves en Europe mais avec vous on se sent moins seul .

  3. Au revoir Madame. Chapeau quand même Monsieur. Bien joué cousin ! Merci, infiniment, Maître, pour la Justesse de votre propos. La vindicte envers eux est pitoyable, injuste. « Dieu merci, la guillotine n’existe plus. »

  4. A propos de Mme Boutin et de la Bible, soi-disant brandie en plein hémicycle lors du débat sur le Pacs en 1999.

    Les députés socialistes avaient déserté l’hémicycle. Une exception d’irrecevabilité allait être votée par l’opposition. Mme Guigou, Garde des Sceaux, affolée, entreprit alors de relire le discours qu’elle venait de prononcer, espérant par là donner aux députés socialistes déserteurs le temps de revenir pour voter et repousser l’exception d’irrecevabilité. Les députés de l’opposition se moquèrent à grand bruit de cette initiative qui rabaissait la parole gouvernementale à un ridicule expédient. L’un d’eux lui tendit le numéro du Monde du jour, signifiant par ce geste que, quitte à leur faire la lecture, autant leur lire quelque chose dont le contenu leur était encore inconnu. Et Madame Boutin fit de même avec une Bible.

    Le stratagème échoua lamentablement, Mme Guigou s’était ridiculisée pour rien, les députés socialistes avaient fui hors de portée, l’exception d’irrecevabilité fut votée

    Celle qui mérite d’être moquée en l’affaire, ce n’est pas Mme Boutin, c’est Mme Guigou. Mme Boutin a eu bien raison de se moquer d’elle. A la tribune de la Chambre des députés, devant les représentants du peuple, Mme Guigou, ministre de la République, parla pour ne rien dire, délibérément, par intérêt partisan. Elle parla, au sens propre, pour ne rien dire !… C’est cette réalité choquante qui devrait rester dans les mémoires et pas le geste, complaisamment déformé, de celle qui en fut à juste titre choquée et exprima avec humour sa désapprobation.

    A chaque occasion et, ça n’a pas raté, à l’occasion de l’annonce de la retraite de Mme Boutin, cette légende, fausse, absurde, est rappelée. C’est automatique, réflexe, pavlovien : Mme Boutin a «
    brandi la Bible ». Justice lui sera-t-elle rendue un jour ? Espérons-le

    Pour les croyants, la bible est un livre contenant des textes dignes d’intérêt. Pour les non-croyants, elle est un objet sacré, tabou, Comme c’est étrange !…

  5. Mal compris votre sollicitude pour Tapie et pour Jul. C’ est de la musique, le rapp ? J’ avais plutôt l’ impression d’ une agitation grossière de jeunes décérébrés (il est vrai que je n’ ai guère multiplié les contacts avec cette forme d’ art et que de jeunes Mozart ont pu échapper à mon attention ).

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