Hommes, femmes, face à l’immaturité, place à la virilité

Brillant article de Maryse Palante publié aujourd’hui. Qui mérite quelques instants de lecture.
Je le reproduis avec l’autorisation de l’auteur, que je remercie.

 

Enfant je t’ai donné ce que j’avais travaille » G. Apollinaire, « La Porte », Alcools, 1913.

Depuis plusieurs semaines, à l’occasion de la campagne de dénonciation #Balancetonporc, les réseaux sociaux sont le lieu de joutes verbales parfois violentes. Et si, au-delà des faits évoqués, parfois dramatiques, bien des messages et commentaires témoignaient plus de la persistance d’une immaturité sexuelle et sociale à l’œuvre chez les deux sexes ? Et si, par-là même, ils révélaient, non pas un trop plein de virilité, mais bien plutôt l’absence d’une virilité pleine et entière, de part et d’autre de l’échiquier sexuel ?
À l’appui de cette proposition de lecture, je commencerai par proposer une définition de ce que recouvre, à mes yeux, la notion de virilité chez un individu – et non nécessairement un homme, la virilité étant avant tout affaire de caractère qui trouve à s’enraciner tant chez un homme que chez une femme. La définition qui me semble la plus juste s’oppose à deux autres que je considère comme des avatars de la virilité, à savoir, d’une part, la vision « viriliste », d’autre part, la vision « dévirilisante », et s’appuie sur l’origine même de la notion de virilité, à savoir le phallus, dont les propriétés physiologiques ont vocation à s’incarner dans le caractère d’un individu, en la fermeté, la maîtrise et la constance. Partant, la virilité est affaire de verticalité et non d’horizontalité : elle est donc l’état de l’être qui se vit debout parmi les Hommes, qui se dresse face aux épreuves, qui s’érige face au monde. Cette définition suppose donc que la virilité est un caractère qui ne s’acquiert qu’au prix d’un long processus de formation au cours duquel l’ensemble des facultés physiques et morales d’un individu sont soumises à rude épreuve.
Rapportée à l’existence d’un être masculin, cela induit que, si la virilité physiologique (sauf malformation) lui est naturellement donnée, celle du caractère dépend, dans un premier temps, du consentement de cet individu à subir ces épreuves et, dans un deuxième temps, des succès que ce dernier remporte sur elles. En conséquence, la capacité érectile ne saurait être une condition suffisante pour juger du caractère viril ou non d’un homme. En revanche, parmi les nombreuses épreuves auxquelles un être masculin a à se confronter durant ce long processus de formation, celles relatives à la sexualité sont assurément de nature à requérir le plus sa force de caractère. Pour illustrer mon propos, je convoquerai trois auteurs qui, à mon sens, illustrent parfaitement, au travers de leur citation respective, la subtile ligne de crête sur laquelle un être masculin se doit de cheminer s’il veut devenir, dans notre société actuelle, cet être viril que l’on peut légitimement qualifier d’« homme ».

« La bandaison, Papa, ça n’se commande pas ! » (Brassens, Fernande)

Cette première citation nous rappelle, ou nous apprend, une vérité essentielle, à savoir combien l’érection virile est étrangère à la sphère de la volonté, tout impliquée qu’elle est dans celle du pulsionnel. Dès lors, l’individu masculin ne saurait être tenu pour responsable – et encore moins coupable – de la manifestation physiologique de son désir sexuel. Soutenir cette position ne signifie aucunement déresponsabiliser ce même individu de ce qu’il s’autorise à accomplir au nom de cette érection. A fortiori lorsque l’on a bien conscience de ce que nous enseigne la deuxième citation, à savoir :
« Il n’est point d’homme qui ne veuille être despote quand il bande. » (Sade, La Philosophie dans le boudoir)
En effet, que dit-elle, cette citation ? Qu’au fondement premier de toute érection se trouve une énergie vitale de nature dominatrice, dont la quête est la possession du corps désiré – au besoin en ayant recours à la force et à la maltraitance –, possession seule à même d’apaiser les pulsions tyranniques éprouvées par l’homme en érection. Dès lors, comment vivre en société auprès d’individus animés de telles pulsions potentiellement criminelles, tout en n’éteignant pas cette énergie, source de toute vie ? Tout simplement, oserai-je écrire, par le recours à l’éducation et aux valeurs promues, peu ou prou, par l’ensemble des civilisations, et par l’apprentissage de la sublimation. Ce qui nous amène enfin à la troisième citation :

« Un homme, ça s’empêche. » (Albert Camus, Le Premier Homme)

Cette citation, initialement évoquée par Camus dans le contexte de la guerre d’Algérie, souligne justement le résultat du processus civilisationnel à l’œuvre dans l’esprit d’un individu ayant l’ambition de se comporter en homme : loin d’être le jouet des pulsions despotiques décrites pas Sade, l’homme civilisé se définit justement par sa capacité à les maîtriser.
Ligne de crête, on le voit de suite, ténue, et qui suppose chez un homme un caractère suffisamment fort pour accepter, sous le feu de ses pulsions, d’être soumis à la tentation – et par-là, refuser de devenir un être asexué –, mais sans jamais y succomber tant que l’autre (homme ou femme, peu importe) ne lui a pas expressément signifié sa volonté pleine et entière d’y répondre favorablement.
À l’aune de ces trois citations, il ne peut donc être nié que tous les actes qui relèvent de ce que la loi reprend sous les vocables « harcèlement », « agression » et « viol » ne sont pas commis par des êtres virils, mais qu’ils sont, au contraire, le fait d’individus chez qui le long processus d’apprentissage décrit plus haut a failli, et qui sont restés au stade de l’immaturité quant à leur propre sexualité. Le législateur français, ayant bien conscience de la présence de ces individus dans la société, a d’ailleurs veillé à légiférer dans le sens d’une répression et d’une condamnation de ces actes délictueux ou criminels
Tout cela étant dit, il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt. En effet, il semblerait tout de même que l’objectif civilisationnel de l’individu mâle soit en passe d’être réussi, car, faut-il le rappeler, si la très grande majorité des harceleurs, des agresseurs et des violeurs sont des hommes, la très grande majorité des hommes ne sont ni des harceleurs, ni des agresseurs, ni des violeurs.
Qu’en est-il du caractère viril chez la femme ? S’il peut paraître plus naturel de penser qu’un être féminin puisse ne pas être doté d’un caractère viril, cela n’induit pas pour autant qu’il soit dépourvu de la faculté de le devenir, et ce, par un long et difficile processus d’acquisition, à l’instar de son homologue masculin. De façon générale, l’un des apprentissages les plus ardus qui revient à cet être féminin est bien de travailler à sortir de la position victimaire et passive dans laquelle trop d’acteurs socio-économiques ont tout intérêt à le réduire, et de se présenter à soi-même et aux autres, en être viril, érigé et responsable de ses actes, de ses pensées…et de ses désirs sexuels ! Chacun mesure bien ce que cette démarche suppose de capacité à sortir de sa propre représentation, de travail sur soi et de maturité, pour quitter, entre autres, le « stade du miroir », si présent chez la belle-mère de Blanche-Neige, et dans lequel tout un pan de la société œuvre à la confiner. En somme, de devenir une femme…
Rapporté au propos qui nous préoccupe, cela a des conséquences bien particulières pour une femme car, si c’est un truisme de convenir que chacun d’entre nous est seul à prendre soin de soi, il n’est pas exagérer d’affirmer que, en ce qui concerne la femme, il relève de sa protection, voire, dans certaines situations, de sa propre survie, de comprendre très jeune combien il lui revient en premier lieu de veiller sur elle-même, par elle-même ! Et pour cela, dans le domaine des interactions sexuelles, la femme ne saurait faire l’économie de travailler à bien appréhender les mécanismes à l’œuvre dans la sexualité masculine – dont elle ignore ou néglige trop souvent la nature et la spécificité –, afin de mieux les anticiper, d’en mesurer les enjeux et, partant, d’être à même d’en analyser les manifestations extérieures pour, le cas échéant, savoir y répondre de façon virile, en l’occurrence appropriée, tout particulièrement lorsque celles-ci se font à son encontre et/ou tombent sous le coup de la loi.
Car ne nous y trompons pas : dans l’ensemble des faits répréhensibles, c’est bien de sexualité qu’il s’agit, non de pouvoir, ce dernier n’étant que la position sociale ou hiérarchique à même de favoriser le passage à l’acte dans l’esprit de ces êtres masculins immatures, et criminels pour certains. Autrement dit, contrairement au discours qui tend à faire de la sexualité masculine un instrument de pouvoir à l’encontre des femmes, les faits mis en avant témoignent justement de l’inverse, à savoir du pouvoir comme vecteur d’assouvissement des pulsions sexuelles. J’en veux pour preuve les relations, certes minoritaires, d’hommes se disant victimes de harcèlements sexuels de la part de leur supérieure hiérarchique. Ce qui s’exprime au travers de cette séquence de libération de la parole ne doit donc pas être pris à la légère, et la passion des débats qu’elle suscite prouve d’ailleurs, qu’instinctivement, chacun d’entre nous sent combien ce sujet résonne en lui. Il n’est pourtant guère aisé de démêler une pensée claire dans tout cet embrouillamini de commentaires, tant s’y mêlent les réflexions et les affects les plus immatures. L’incompréhension mutuelle qui ressort de bien des échanges témoigne d’une méfiance quasi-épidermique des uns envers les autres, chacun réclamant pour soi le statut de victime : les femmes, en tant qu’objet de délits ou de crimes, mais aussi de simples goujateries ; les hommes, en tant qu’êtres injustement, parce que collectivement, ravalés au rang de « porcs ».
À ce propos, le choix de ce vocable apparaît singulièrement mal adapté aux faits qu’il entend dénoncer. En effet, lancé par une journaliste française dans la foulée de la plainte pour viol déposée par une actrice italienne à l’encontre d’un producteur américain, le hashtag #Balancetonporc appelle à la dénonciation, en les nommant, de tous les harceleurs, agresseurs et violeurs, par les femmes qui disent en avoir été les victimes. Dans les faits, que se passe-t-il ? Des milliers de messages sont ainsi lâchés, contenant, certes, peu de noms, mais égrenant toute la liste des délits ou crimes dont leurs rédactrices se plaignent d’être les victimes, pour certaines de façon quotidienne, et cela va de la simple remarque déplacée au viol, en passant par le pelotage ou le baiser de force. Face à cette disparité dans les actes, le terme de « porc » montre toutes ses limites, car, s’il sied à désigner celui qui tient des propos salaces, il ne saurait suffire à qualifier l’auteur d’un harcèlement, d’une agression, a fortiori d’un crime. Dès lors, sa faiblesse sémantique, utilisée dans un contexte largement dénonciateur, résonne comme une mise en cause implicite dans l’esprit de bien des hommes, pourtant non suspects de délits ou de crimes, mais auteurs, parfois, il est vrai, de blagues ou de mots qui ne brillent pas toujours par une grande finesse. La posture de la repentance est également à l’œuvre dans des publications signées d’hommes qui s’excusent, non d’être les auteurs d’actes délictueux ou criminels, mais, dans le meilleur des cas, de ne pas avoir pris conscience de l’ampleur de la souffrance des femmes, et aussi, tout simplement d’avoir eu des paroles ou des regards déplacés à leur encontre. Ce n’est donc pas faire injure à la plupart des contributeurs que de constater que la plus grande confusion et, partant, la plus grande incompréhension règnent dans bien des échanges.
Or, sur un sujet aussi grave, il est dans l’intérêt de tous de raison garder et, d’une part, que ne soient pas confondus avec les actes délictueux ou criminels ce qui relève, au mieux, de la pure maladresse, au pire, de la goujaterie, et, d’autre part, que les susceptibilités des uns et des autres ne parasitent pas le nécessaire dialogue entre les deux sexes. Cette confusion dans l’échelle des actes commis est symptomatique de l’immaturité présente dans bien des rapports hommes/femmes, et ce qu’elle révèle des failles profondes à l’œuvre dans notre société est inquiétant. Déjà minée par la lutte des classes, les antagonismes communautaires et l’individualisme, notre société n’a guère besoin qu’éclate une guerre des sexes que certains, pourtant, s’ingénient à vouloir déclencher. Hommes et femmes ne pouvons nous passer les uns des autres et nous n’existons réellement que dans les interactions qui se nouent au regard de chacune des situations de la vie quotidienne qui nous mettent en rapport. Dès lors, il serait réellement destructeur à terme que la pulsion du désir qui nous pousse les uns vers les autres, pulsion que le capitalisme n’a déjà trop de cesse de pervertir en le déviant vers le miroir aux alouettes de la consommation, en arrive à s’éteindre, faute d’être reconnu et pleinement assumé par des êtres responsables.
Dans ce face-à-face actuel, c’est donc bien de maturité et de virilité dont nous avons collectivement le plus besoin, leur absence, par trop répandue, nous faisant tous cruellement souffrir. Si cette séquence, à bien des égards éprouvante, au-delà de l’effet cathartique collectif et des conséquences judiciaires individuelles éventuelles, pouvait être l’occasion d’une prise de conscience en ce sens, elle pourrait être le signe que le corps politique que nous formons tous ensemble n’est peut-être pas aussi malade que d’aucuns le diagnostiquent.

Il ne tient qu’à nous, collectivement, qu’il en soit ainsi…

 

Maryse Palante

7 Commentaires

  1. Enfin ! Je me craignais bien seule à avoir ce point de vue. Il reste des raisons de ne pas désespérer de la France. Virilité pour toutes et pour tous !

  2. La réflexion est juste et l’argumentation s’enchaîne bien, jusqu’à l’avant dernier paragraphe où l’on ne comprend pas ce que le « capitalisme » vient faire dans l’histoire ? Je n’ose penser qu’avec une telle solidité de raisonnement, l’auteur tombe dans le même piège qu’elle entend dénoncer autour de la notion de virilité.

  3. Ai pris un grand plaisir à la lecture de ce texte avec lequel je suis en désaccord complet : ayant horreur des responsabilités que la société collait libéralement sur le dos des hommes de mon jeune temps (je suis de 1951), ayant réussi pour l’ essentiel à les esquiver jusqu’ au havre, récemment atteint, de la retraite, je ne peux partager les vues de l’ auteur (« auteur » sans le « e » final : bisque, bisque rage !) mais suis content que des gens pensent comme elle et le disent avec talent. On ne pourra évidemment refaire une société avec le groupe des démissionnaires systématiques, auquel je me flatte d’ appartenir.

    Bravo Madame

    • Bien d’accord, quand c’est long, c’est trop long ; j’ajouterai qu’une écrite  » simple  » faciliterait la compréhension.

  4. 3 objections/commentaires, madame :
    – Il aurait été utile de donner d’entrée une définition à maturité sexuelle également.
    – Le résultat piteux de la civilisation n’est-il pas de bander mou ? ce que souhaite personne a priori.
    – Un être asexué peut-il être viril ?
    Je n’ai pas terminé votre étude car comme on dit : « quand c’est long, c’est long ».

  5. Bravo Madame, vous remettez les êtres à leur bonne place, et vous illustrez à merveille le troisième terme de la trilogie républicaine, la fraternité, on pourrait ajouter aujourd’hui sororité, mais ne le reprochons pas aux révolutionnaires, deux siècles se sont écoulés…

    La Fraternité, c’est l’affirmation que toutes les femmes et tous les hommes font partie du même groupe, de la même ethnie, et qu’à ce titre, et seulement à ce titre, ils sont «libres et égaux en droit », et qu’ils ont donc la capacité, comme vous le décrivez, en bravant bien des épreuves, à devenir matures et respectueux les uns.es. des autres. Ce qui également exclut tout racisme, antisémitisme, et discrimination à l’endroit d’un ou une de ses semblables, quelques soient sa couleur de peau, sa religion, son orientation sexuelle, sa philosophie.

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