Après avoir ostensiblement pris position en faveur de la campagne #Balancetonporc et salué « la libération de la parole », Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, adopte à présent, au sujet de la dénonciation visant Nicolas Hulot, les accents d’une vertueuse indignation. Il était grand temps…
Paul Bensussan
Twitter ne remplace pas les tribunaux », concédait la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa dans un entretien accordé en octobre 2017 au Parisien. Avant de nuancer dans la même interview : «… mais il faut encourager toutes les initiatives qui aident à prendre la parole sur ces sujets. […] On a sifflé la fin d’une forme de tolérance. […] Cette caisse de résonance que sont les réseaux sociaux devient une arme. D’ailleurs, je m’en sers aussi».
Dans ce même élan, et avant que les outrances et les plaintes les plus improbables infligent les premiers retours de manivelle et imposent un dur retour à la réalité, le « manifeste contre l’impunité des crimes sexuels », remis à Marlène Schiappa par la psychiatre Muriel Salmona, faisait état de chiffres alarmants – du moins, s’ils avaient été vérifiables : 10% des victimes de viols et de tentatives de viols arrivent à porter plainte, 1% de l’ensemble des viols et tentatives de viols sont condamnés en cour d’assises. Complaisance de la justice ? Laxisme ? Loi du silence ? Un peu tout cela à la fois, semble-t-il, puisque Marlène Schiappa s’indignait, de studios en plateaux, de « l’impunité des crimes sexuels en France ». Sans que nul ne s’en émeuve, les propos les plus débridés, les assertions les plus irrationnelles se multipliaient. Qu’importait la vérité ou la rigueur des chiffres, la cause était noble, le propos dans l’air du temps et, comme le chantait Dylan, « God on our side ».
Marlène Schiappa: « Je trouve cela abject »
Avec les plaintes visant Gérald Darmanin et Nicolas Hulot, tous deux ministres, l’heure est à présent à plus de rigueur et à la solidarité affichée. La « totale confiance » du gouvernement est ainsi exprimée par tous, y compris Marlène Schiappa, affichant, le dimanche 11 février dans les colonnes du JDD, une mesure et une indignation qui montrent, à tout le moins, la plasticité de sa pensée. Alors que « toutes les initiatives »aidant à prendre la parole sur ces sujets étaient hier encore louées, pour ne pas dire célébrées, la secrétaire d’État accuse les auteurs de l’article de l’Ebdo, qui a relayé la plainte pour viol contre Nicolas Hulot, d’avoir agi « de manière irresponsable ». « Quand j’entends sur un plateau de télévision l’une de ses auteurs dire solennellement qu’elle appelle les femmes victimes de viol, ‘par lui ou un autre’, à contacter la presse, je trouve cela abject », a même balancé Marlène Schiappa.
Volant avec tout le gouvernement au secours des ministres mis en cause, pourtant de taille à se défendre, elle privilégie ainsi, au nom d’une rigueur qui lui a parfois fait défaut, la solidarité gouvernementale plutôt que la « libération de la parole ». Avec cette merveilleuse dénégation spontanée : « contrairement à ce qui a été sous-entendu, je ne m’exprime pas publiquement sur tous les sujets ». Ce qui n’est pas tout à fait exact.
Monsieur Hulot au pays du Oui-Non
Que l’on nous comprenne bien : il ne s’agit pas, ici, de hurler avec la meute et d’accabler Nicolas Hulot. On ne sait ce qui est le plus choquant, de la plainte qui le vise ou du fait qu’elle soit relayée, dix ans après avoir été classée sans suite, par un média naissant en mal de notoriété. Le classement sans suite pour raison de prescription des faits apparaissant alors comme une impasse psycho-juridique, imposant au mis en cause une situation kafkaïenne : si les faits sont prescrits, peuvent se demander « certain·e·s », cela ne signifie pas pour autant qu’ils n’étaient pas avérés ? Soit. Attendrait-on de Nicolas Hulot qu’il démontre son innocence, plus de vingt ans après la relation en cause ? Ce que les juristes appellent le renversement de la charge de la preuve (celle-ci incombant en droit pénal à l’accusation) est hélas banal en matière d’infraction sexuelle : l’exception sexuelle du droit, selon la belle expression de Marcela Iacub. Il faut pourtant, dans ce cas, se réjouir de la prescription. Les plus fervents voudraient l’allonger à l’infini et abandonner la recherche de la manifestation de la vérité pour un tout autre but : le procès devenant la première étape de la réparation psychologique, à la condition, cela va sans dire, qu’il se solde par la condamnation du mis en cause.
Il est pourtant impossible de démontrer qu’un événement n’a pas eu lieu, a fortiori dans ce type d’accusation, où nul ne conteste la réalité de la relation sexuelle. Les divergences ne portent en effet que sur l’appréciation du consentement, infiniment subjective : alors que Nicolas Hulot évoquait aux gendarmes, lors de son audition de 2008, une liaison fugitive dénuée de toute pression, la plaignante dénonçait « une relation sans violence, mais passive et non désirée ». Nicolas Hulot aurait pu (ou dû ?) se rendre compte que cette passivité ne signifiait pas consentement. Si les faits n’avaient pas été prescrits, la qualification juridique de « oui qui voulait dire non », simulacre de consentement, aurait donc dû se fonder sur le seul éprouvé psychologique de la plaignante, pendant ou après les « faits ». Ce « oui » qui n’est pas vraiment un oui, sans être franchement un non, cette façon de céder sans enthousiasme à des sollicitations pressante peut être revisité à la faveur de la colère, de la rancœur ou du dégoût, et qualifié de viol. C’est à ce « non »-là, à ce refus muet, que les féministes les plus ardentes voudraient sensibiliser les magistrats, craignant qu’ils ne prennent en considération que les cas dans lesquels le refus a été́ clairement exprimé. Et outrepassé. Céder, nous disent-elles, ne signifie pas consentir.
Bravo Marlène Schiappa !
Mais en introduisant une différence juridique entre « céder » et « consentir », on fait de l’éprouvé́ psychologique de la victime le principal (le seul ?) constituant de l’infraction. Sans que l’on s’interroge suffisamment sur l’intentionnalité́ du mis en cause. Ou encore sur son manque de discernement (aurait-il pu ou dû percevoir que ce consentement n’en était pas un ?). On attend du procès pénal la manifestation de la vérité, à travers la confrontation impitoyable de deux subjectivités haineuses.
Dans son discours du 25 novembre 2017, journée internationale d’élimination des violences faites aux femmes, Emmanuel Macron, tout en affirmant qu’il ne voulait pas d’une société de la délation, se félicitait « en même temps » de la libération de la parole des femmes, ne voulant plus que la France soit « un de ces pays où les femmes ont peur ».
Cet objectif semble aujourd’hui atteint. Mais il ne faudrait pas que la correction dépasse son but et que la démesure s’empare de la protection des femmes victimes de violence, les pasionarias pouvant, précisément en raison de la noblesse de la cause, faire preuve d’une ardeur qui n’est pas sans évoquer les faux-dévots de Molière :
D’autant plus dangereux en leur âpre colère,
Qu’ils prennent contre nous des armes qu’on révère
Et que leur passion, dont on leur sait bon gré,
Veut nous assassiner, avec un fer sacré…
Les journalistes, justement rappelés à l’ordre par Marlène Schiappa, doivent faire preuve d’éthique et de prudence, en cessant de relayer d’improbables accusations. Mais ce conseil pourrait aussi s’appliquer à certains milieux associatifs, ou aux politiques qui leur prêtent une oreille complaisante et relaient sans discernement des chiffres aussi alarmants qu’invérifiables.
« Céder n’est pas consentir » nous disent les féministes, et sans doute ont elles raison d’un point de vue psychologique. Mais le juge n’a aucune vocation, ni légitimité, à dire le bien et le mal, juste le droit. On peut prouver un viol (surtout si la plainte est déposée rapidement), on peut – déjà plus difficilement – prouver que des faveurs ont été obtenues par l’exercice d’un chantage ou de pressions quand il est évident que « l’agresseur » savait que sa victime n’avait aucune envie de batifoler avec lui, mais on ne peut pas, et on ne pourra jamais, prouver que le consentement était parfaitement libre et éclairé. Une femme (ou un homme d’ailleurs) qui scelle une réconciliation sur l’oreiller après une dispute avait elle vraiment envie de faire l’amour ? Un partenaire se livrant à certains jeux osés le fait il se son plein gré ou parce qu’il a l’impression – justifiée ou non – que son refus signerait la fin de sa relation alors qu’il est en situation de « dépendance affective » (être bêtement amoureux n’existe plus semble t’il). Même les « contrats écrits avant rencontre » imaginés par nos amis d’outre-atlantique ne garantissent pas la sérénité de la soirée puisque les poursuites continuent à fleurir : la demoiselle avait pris une bière avant de signer, et son chevalier servant avait oublié de vérifier qu’elle était totalement sobre, il y avait donc dol dans le consentement; elle était d’accord a priori mais une pratique l’a finalement choquée et son partenaire a continué en dépit de ses « signaux non verbaux » etc. Les avocats vont avoir du boulot au cours des prochaines années….
@ Martin
Tout dépend du CV du mis en cause. La justice est particulièrement conciliante avec les puissants, peu importe les éléments de langage de leurs avocats.
Ce n’est pas une Ministre, mais qu’une blogueuse. Elle passe sont temps à tweeter sur des sujets qu’elle ne maîtrise même pas. De plus, elle est bien ambivalente la madame. Quelle honte !
10% des victimes de viol qui portent plainte (ou 90% qui ne le font pas) est une estimation qui circule depuis des années sans que nul ne soit en mesure de dire quel organisme en est à l’origine, ni par quelle méthode elle a été obtenue.
Elle donne à penser que 90% des victimes se confient à un proche, une association, un avocat… qui transmet à un « organisme centralisateur », lequel fait le calcul, et que cela ne va pas plus loin. Pas de dénonciation auprès de la Justice par la personne ayant reçu la confidence.
Ceci dit, bien évidemment, sans contester le fait que toutes les victimes ne portent pas plainte.
En fait, cela provient beaucoup des enquêtes de « victimation » (je n’aime pas trop le terme mais c’est un autre sujet), donc de sondages:
http://www2.cnrs.fr/sites/communique/fichier/15r_zaubermanbp.pdf
https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/s1278
On parle essentiellement de ressenti et le problème, c’est que les gens interrogés n’ont pas forcément les connaissances juridiques pour répondre. Il se créé un décalage entre les réponses des sondés et la réponse juridique.