Bijoutier de Nice : Les enjeux d’un procès

Aujourd’hui commence le procès du « bijoutier de Nice », accusé d’homicide volontaire pour avoir abattu un braqueur armé d’un fusil à pompe. Qui commettait un casse violent dans sa bijouterie. Cette affaire, qui s’est déroulée il y a plus de quatre ans et demi avait provoqué une grande émotion sur les réseaux. Ceux-ci s’étaient enflammés au soutien du commerçant mis en cause à la fois par les médias et la Justice.

Les médias emmenés par Libération n’avaient été que compassion pour le délinquant et sa famille, appelant à la répression de la victime de l’agression.

On avait assisté à un nouvel épisode du jeu de rôle désormais systématique dès lors qu’intervient un fait de société qui projette à la face des élites un réel auquel elles ne s’attendaient pas. Surdité, mépris et grands mots. Après « la France homophobe », « no pasaran », cette fois c’était « non à la loi du Far-West », « non aux réseaux de la haine » et autres âneries. Le Front National s’était même payé le luxe de rester discret, jubilant probablement en pensant à ce que cela lui rapporterait dans les urnes au printemps prochain. Pourquoi s’agiter, quand le camp d’en face fait le boulot à votre place.

Rappelons des faits simples : deux jeunes braqueurs, dont l’un multirécidiviste, armés d’un fusil à pompe braquent une bijouterie, brutalisent le bijoutier et s’emparent d’un butin. Le bijoutier, lui-même armé, réagit et abat un des criminels. Je dis criminel, parce que l’infraction commise par les deux braqueurs est qualifiée crime par le Code Pénal. Après 48 heures de garde à vue, le bijoutier sera mis en examen pour « homicide volontaire », placé sous contrôle judiciaire, et assigné à résidence muni d’un bracelet électronique. Il est aujourd’hui sur le banc des accusés et risque gros.

 

Médias et belles âmes irresponsables

 La question de l’autodéfense est ancienne mais cette fois-ci le fait divers était intervenu dans un contexte particulier. Au vécu d’un très grand nombre de Français, confrontés à cette violence quotidienne, s’ajoute une série de drames spectaculaires, et en particulier celui, étonnamment symétrique, de ce retraité exécuté pour s’être opposé à la fuite de deux jeunes braqueurs à Marignane. Claude Askolovitch s’était signalé par une intervention infecte, dans laquelle il reprochait au mort qualifié de pitoyable une intervention « intempestive » qui avait transformé « deux petits merdeux » en meurtriers.

Les grands médias, en particulier télévisés avaient adopté une attitude invraisemblable. La parole immédiatement donnée sans aucune retenue ni contrepartie à la famille du braqueur présenté comme un homme « merveilleux », victime de la vengeance d’un cow-boy. Certaines déclarations s’avérant carrément menaçantes. Et les journaux télévisés de relayer : « la famille de la victime (le voyou!) ne comprendrait pas que le bijoutier ne soit pas mis en détention ». L’absence totale de vergogne des propos, démontre que les 14 condamnations précédentes, la délinquance avérée du braqueur, et le crime que celui-ci et son complice venaient de commettre étaient complètement assumés. Tout cela était considéré comme normal, par les membres de la famille, les intervieweurs et les commentateurs. Aucune réprobation sociale, que ce soit du comportement du voyou, ou des propos de sa famille et de ses amis. Normal, on vous dit. Le bijoutier était lui, présenté comme un assassin ayant voulu appliquer « la loi du talion ».

Mais comment peut-on après s’étonner, que cela ait pu mettre en rage une partie de l’opinion ? La première réaction des belles âmes, une fois la stupéfaction passée, fut de se réfugier dans le déni, puis de prétendre de façon dérisoire à la manipulation. Ou pire, mépriser ouvertement du haut d’une magistrature morale autoproclamée, comme le fit Libération avec sa une sur « les réseaux de la haine ». Le populo fragilisé par la crise économique, est excédé, exaspéré par ce qu’il vit comme une montée de l’insécurité, il ne comprend pas la sévérité de la mise en cause du bijoutier, la parole donnée unilatéralement la famille du voyou. À cette souffrance, la réponse fut : « vous n’êtes qu’un ramassis de beaufs et de Dupont-Lajoie. »

Après, ce fut le temps des docteurs de la loi. Juristes professionnels abdiquant leur objectivité et légistes amateurs. La question était tranchée, le bijoutier était un criminel ayant commis un assassinat (meurtre avec préméditation). Rappelons quand même qu’à l’époque, en dehors des services de police et des magistrats, personne ne savait vraiment ce qui s’était passé. La procédure d’instruction a mis cinq ans pour essayer de l’établir. À la Cour d’assises d’en tirer les conséquences, sans se laisser influencer par ces rodomontades.

 

Petit rappel des règles

 La légitime défense est prévue par le droit pénal français. L’article L 122-5 du Code Pénal a été abondamment cité, et tout le monde sait aujourd’hui que la « riposte » doit être proportionnée.

 Il y a aussi le 122-6, moins cité celui-là. Que dit-il ? : « Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte…pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence. » Ce qui veut dire que du fait du braquage à main armée accompagné de violences, le bijoutier est présumé avoir agi en état de légitime défense. Il appartiendra à l’accusation de démontrer le contraire (1). Il n’y avait personne dans la boutique, et quant à prouver irréfutablement qu’il y avait intention homicide. De ce que l’on peut en savoir, je trouve déjà l’arrêt de renvoi devant la Cour passablement partial.

Alors, les réactions populaires de l’époque, et la tension qui entoure ce procès peuvent-elles faire craindre que la France se transforme en Far-West, et les commerçants français en cow-boys ? Le prétendre est ridicule. Il y a 30 ans, la question de l’autodéfense donnait lieu à des débats de même nature, tout aussi intenses. Il y avait même une association qui portait le nom de « Légitime défense » animée par un avocat emblématique, tous deux disparus depuis. Malgré la montée du sentiment d’insécurité, les choses ne se sont pas aggravées (2).

Ce qui s’était exprimé à cette occasion, c’est une exaspération populaire face à l’autisme et à l’impuissance des élites. Les gens, issus en général des couches les plus fragiles, veulent qu’on les écoute et qu’on prenne en compte leurs préoccupations et leur vécu. Et cette surdité, ce déni, et le mépris qui les accompagnent les mettent hors d’eux. Ils ne veulent pas s’armer et tirer dans le tas. De tradition et de culture ils voudraient pouvoir s’en remettre à l’État et supportent mal de ne pouvoir le faire.

Or, malgré les discours, les autorités se résignent. Il faut savoir qu’en France, il y a 1,5 millions d’infractions (en majorité des délits) avec auteurs connus qui ne sont pas poursuivies. Faute de moyens, et pas par mansuétude, comme le proclament certains démagogues qui caricaturent une justice soi-disant laxiste. Conséquence, la « petite délinquance » (cambriolages, vols, violences, incivilités graves, celle qui pourrit la vie des gens) a été pratiquement dépénalisée. Les casiers judiciaires s’allongent sans aucun résultat, le sentiment d’impunité se généralise chez les délinquants.

 

Les Français ne veulent pas du Far-West

Je pense que les Français sont profondément attachés à la paix civile. Ils n’ont jamais cédé aux sirènes de « l’autodéfense ». En 1973, ils étaient 64 % à être pour la peine de mort. Ils y sont aujourd’hui majoritairement opposés.

La tournure qu’avait prise l’affaire du bijoutier de Nice n’est pas le symptôme d’une dérive vers l’autodéfense. Cela témoignait simplement d’une explosion de l’exaspération dont il est impératif de tenir compte. Travailler à cette prise en compte pour éviter que le Front National n’en fasse sa pelote serait la preuve d’un minimum d’esprit de responsabilité. Y répondre par le déni du réel, et en jouant les belles âmes est une faute. Parce que nous avons la chance que pour l’instant il n’y ait pas de risque que notre pays se transforme en Far-West. Mais cette chance, il ne faut pas la gâcher ou la provoquer. C’est pourquoi le procès d’assises qui s’ouvre aujourd’hui est d’une grande importance Tout en étant fermement opposé à toute dérive, considérant que c’est à l’État de prendre en charge la sécurité des citoyens, je suis contraint de constater l’existence de plusieurs facteurs négatifs.

Le premier est, je l’ai déjà dit, celui de la dépénalisation de la « petite » délinquance, celle qui pourrit la vie des gens. Ce n’est pas l’application d’un « laxisme taubirien », mais une impossibilité matérielle dûe à l’absence criante de moyens. Le deuxième, de plus en plus visible, est celui lié à la terreur de l’appareil judiciaire de voir les choses lui échapper. Ce qui fait que tout ce qui peut se rattacher à des actes « d’autodéfense » est très durement réprimé, répression sans commune mesure avec celle qui frappe (ou ne frappe pas) les auteurs de violences, vols, cambriolages et autres pillages. Le troisième enfin est lié à la circulation de l’information et au fait que cette répression est perçue comme une terrible injustice et génère un sentiment de rage qui pourrait facilement déboucher sur des événements incontrôlables. Que ne manqueraient pas d’exploiter les démagogues.

C’est tout l’enjeu du procès de Nice.

 

1.Voir à ce sujet l’article dans ces colonnes sur l’acquittement de Georges Zimmerman dans l’affaire Trayvon Martin.

 

2.Allez, un peu de nostalgie camarade. En 1978 s’était déroulée la fameuse affaire dite du « transistor piégé ». Un homme dont le pavillon avait été cambriolé 12 fois, avait fini par piéger un poste transistor. Le 13e cambriolage fut donc fatal à l’un des voleurs. Traduit aux assises, le propriétaire fut acquitté. Sous les regards pincés des belles âmes. Georges Marchais interrogé, indiqua qu’il comprenait parfaitement la décision du jury. À cette époque, le PCF (le vrai) faisait de la politique…. et accessoirement 20 % des voix aux élections.

 

Régis de Castelnau

13 Commentaires

  1. Encore une fois tout est parfaitement décortiqué avec le recul et la mesure nécessaires.
    Il y a en france 40 à 50.000 personnes multirécidivistes ayant des dizaines de procédures judiciaires. Si ces personnes là recevaient une réponse judiciaire adaptée, la situation serait plus gérable. Il n’y aurait pas ce sentiment d’impunité qui décrédibilise la justice.
    Au bout de 5 ou 6 procédures la prison d’office durant 10 ans calmerait les excités.

  2. Merci pour cet article très intéressant comme d’habitude. Par contre, « En 1973, ils étaient 64 % à être pour la peine de mort. Ils y sont aujourd’hui majoritairement opposés. » vous vous trompez largement, beaucoup de gens rêvent d’un djihadiste passé à la « Veuve » je vous assure…

  3. Je préfère l’article du Monde, dans la rubrique justice police du 28/05, me semble-t-il, qui relate la totalité des faits, et que notre avocat ne publie pas. En effet, la caméra de surveillance de la bijouterie a filmé toute la séquence. Après que les braqueurs ont quitté le magasin, le bijoutier s’est saisi, 10 secondes après, sans le réflexe de prévenir la police, d’un 7.65, il disposait aussi, à côté de ce dernier, d’un pistolet à balles non létales (caoutchouc).
    Puis il est sorti, s’est agenouillé, et à tiré à trois reprises, une des balles ayant atteint le voyou dans le dos.
    Voilà les faits, où ne sont pas minorés la violence des braqueurs.
    Par ailleurs, le nombre de personnes incarcéré est passé de 29 487 en 1977 à près de 69 000 aujourd’hui sans que le nombre de délits ou de crimes n’augmente surtout dans de telles proportions. La comparution immédiate débouche sur 70 % d’incarcération. Enfin, preuve est faite que pour des petites condamnations, les peines de substitution sont plus efficaces que la prison. Ce qui ne s’applique pas à notre affaire, puisqu’il y a crime, présumé.

    Voilà quelques éléments qui a mon sens, conduisent à relativiser la portée de cette réaction. QUe le «sentiment d’insécurité» augmente, c’est une certitude. Réseaux sociaux, presse à scandale, terrorisme, utilisation de pseudonymes, parmi tant d’autres, voilà quelques éléments qui peuvent expliquer une telle augmentation. Insuffisance des moyens de la justice en est un autre, que souligne à juste titre notre avocat.

    Mais il est vrai que je ne suis qu’un juriste amateur, ce qui d’ailleurs ne m’a pas empêché d’être juré d’assise, Qui n’est pas un titre de gloire, tant les nuits blanches qui lui succéderont m’ont rendu et me rendent parfois encore malade. Il est vrai qu’à l’époque, la peine de mort était encore en vigueur… Aujourd’hui, grâce à Macron, on n’aura plus cette peine, les jurés d’assises, ces amateurs, ne seront plus requis pour les «broutilles», peines encourues inférieures à 20 ans…

  4. Ce qui change beaucoup les choses c’est le fait avéré que les deux criminels étaient dans la rue et s’échappaient sur leur scooter lorsque le bijoutier a tiré, comme l’atteste formellement la vidéosurveillance de la boutique…

    • Nous vivons dans une société merveilleuse : on y trouve toujours de « belles âmes »pour y prendre le parti des criminels contre les honnêtes gens.

      Cette préférence pour le marginal exaspère les honnêtes gens car ils pensent, à raison, qu’elle n’est plus périphérique mais centrale dans notre système, notamment judiciaire. C’est le célèbre tract d’Oswald Baudot.

      Quand les gens, les citoyens si vous aimez les mots ronflants, pensent justice, ils n’imaginent pas un brumeux débat juridique mais le décalogue : une justice qu’on puisse expliquer à un enfant de sept ans, l’âge de raison, sans qu’il s’exclame aussitôt « C’est pas juste ».

      Pour en revenir à notre bijoutier, cette justice de bon sens dit qu’il doit ressortir libre, parce que le voleur multirécidiviste a pris un risque, qu’il a perdu et qu’il en est seul responsable. Pas de braquage, pas de flinguage.

      L’appareil judiciaire rendra peut-être une autre décision. Il en sortira un peu plus discrédité. Mais bon, ça ne sera pas une nouveauté.

    • En fait, vous soutenez le rétablissement de la peine de mort, mais c’est votre droit …

  5. Votre analyse détaillée des circonstances de ces différents drames offre un éclairage effarant à l’ère qui se profile et qui ressemble en tous points à ce qu’Aristote, dans sa Politique, désignait sous le vocable de démagogie.

    • Cette rhétorique consistant à faire de autodéfense un équivalent du rétablissement de la peine de mort permet peut-être de briller sur les plateaux de télévision, mais elle n’a aucun sens.

      Rien dans les circonstances et dans la philosophie ne justifie ce rapprochement.

  6. Bel article !
    Je rajouterai simplement que plus les gens (et en particulier les gens modestes) auront l’impression que l’Etat ne les défend plus ou trop peu, plus les comportements de « cow-boys » se développeront. A titre d’exemple, l’histoire du squat à Gonnesse – affaire réglée par le recours à la force brute et non pas à la loi.
    Si l’Etat veut (et à mon sens) doit garder le monopole de la violence légitime, encore faut-il qu’il assure ses missions régaliennes.

  7. Sur une autre forme d’autodéfense, je fais mien cet article et sa conclusion :

    https://www.causeur.fr/zadistes-notre-dame-landes-etudiants-151563

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    Si d’aventure de bons citoyens, abandonnés à leur triste sort, ont l’audace de se défendre par leurs propres moyens, comme ils ne se cachent pas et ne résistent pas aux autorités, ils sont traînés devant la justice. En revanche les délinquants, astucieux et dangereux, sont contenus de manière très insuffisante par des forces de l’ordre qui savent bien que les « méchants » n’hésitent pas à leur faire du mal et qu’elles n’ont pas vraiment le droit de se défendre contre eux. Les autres, eux, peuvent facilement être appréhendés et déferrés à la justice. Ils sont donc soit abandonnés à leur sort, soit même punis pour avoir, en l’absence de protection par les forces de l’ordre, eu l’audace incroyable de ne s’être pas laissé tondre la laine sur le dos.

    Si cette politique, car c’en est une, perdure, il ne faudra pas s’étonner de voir le respect de la loi et de l’ordre public continuer à décliner dans notre pays.
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    Aphorisme d’Audiard : « La Justice, c’est comme la Sainte Vierge, il faut qu’elle fasse une apparition de temps en temps, sinon on cesse d’y croire ».

  8. Comment peut-on trouver sensé d’écrire « le voleur multirécidiviste a pris un risque, qu’il a perdu et qu’il en est seul responsable. Pas de braquage, pas de flinguage. » ? C’est donner le feu vert pour flinguer et tuer tous les braqueurs ! TOTALEMENT IRRESPONSABLE !!!

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