« Une Justice politique » : le réquisitoire brillant de Régis de Castelnau

Anne-Sophie Chazaud fait partie des auteurs de Vu Du Droit. Elle a rédigé une recension de notre ouvrage : « Une Justice politique. Des années Chirac au système Macron ».

La place de ce texte était naturellement dans ces colonnes. Qu’elle en soit encore remerciée.

Si, comme chacun sait, nul n’est censé ignorer la loi, il est utile et salvateur de comprendre également le fonctionnement réel et les enjeux du système judiciaire, dans son articulation avec les trois autres pouvoirs (législatif, exécutif et médiatique) par-delà les jolies questions de grands principes. Dans un ouvrage majeur, Une justice politique, Des années Chirac au système Macron, l’avocat Régis de Castelnau livre une analyse aussi implacable qu’indispensable des mécanismes à l’œuvre dans ce fonctionnement en France, ou plutôt, devrions-nous dire, dans son dysfonctionnement de plus en plus flagrant, dans son dévoiement au cours des trois dernières décennies, lequel a abouti à la situation grave où nous nous trouvons désormais, celle d’une justice qui s’est mise au service du pouvoir politique tout en pensant initialement combattre les errements de celui-ci.

Cet ouvrage épais (mais qui se lit aussi aisément qu’un roman truculent, émaillé, nous y reviendrons, de nombreux portraits balzaciens) et rouge fait songer à quelque Code, de ceux que potassent les étudiants et qui trônent ensuite sur les bureaux et bibliothèques des juristes, de ceux qui impressionnent. Et, de fait, s’il ne s’agit pas d’un Code à proprement parler, on peut dire qu’on a là en main un guide précis, circonstancié, d’analyse, sinon de procédure du moins des processus en jeu dans la partie de dés pipés qui se joue entre le monde politique et le monde judiciaire -deux pouvoirs a priori séparés- dont la démocratie et le peuple sont les témoins écartés et perdants, dépossédés de l’institution chargée de les protéger et au nom desquels la justice est, en vertu de quelque légende urbaine, supposée être rendue.

Une délicieuse ironie et du courage

Pas de style pompeux, pas d’effets de manche : juste le scalpel factuel d’une description sans fard, sans afféterie ni préciosité, avec toute la puissance d’un verbe en quelque sorte performatif, chargé du réel qui est décrit, teinté, il est vrai, d’une délicieuse ironie et d’un humour décapant, en particulier lorsqu’il s’agit de peindre la galerie de portraits des chevaliers blancs de la supposée lutte anti-corruption, tout empêtrés dans leurs propres turpitudes.

On ne dira du reste jamais assez le courage qu’il faut pour avoir écrit ce livre : par-delà l’exposé clair et distinct, des principes généraux du droit et de la justice, par-delà la description historique des faits, il faut en effet une belle audace pour oser aussi ouvertement dénoncer nommément une grande partie des protagonistes de cette gabegie drapée de vertu aussi sûrement que d’hermine et de grands airs. On se dit qu’il faut, pour cela, avoir retrouvé sa liberté (celle de l’honorariat) pour pouvoir énoncer les choses aussi clairement et qu’aucun avocat ou juriste en exercice n’oserait s’y risquer. En somme, il faut n’avoir plus rien ni à prouver (la carrière de Castelnau parle pour lui) ni à perdre (en étant en grande partie retiré des affaires) afin de pouvoir se permettre une aussi franche démonstration.

Ceux qui, forcément nombreux, seront gênés ou révélés au grand jour par les vérités factuelles (toutes sourcées et référencées) énoncées dans cet ouvrage, auront sans doute beau jeu d’invoquer la carrière d’avocat engagé de son auteur afin de tenter d’en disqualifier le contenu : ce sera peine perdue. D’abord parce qu’ici, en l’espèce, l’engagement n’est pas partisan ni de basse politique mais au service de l’intérêt général qui est celui d’une justice saine, en tant qu’avocat (la mise à mal des droits de la défense, du secret professionnel etc., est décrite et dénoncée avec une grande clairvoyance et expertise), mais aussi en tant que citoyen. D’autre part, parce que les coups sont distribués très équitablement sans considération partisane quant aux auteurs de ce dévoiement ou à leurs cibles. Or, la seule chose qui se dégage, c’est la tendance lourde, constante et obstinée, d’un renforcement de l’instrumentalisation puis de l’auto-instrumentalisation de la justice au service du pouvoir politique, lequel a intensifié de façon drastique ces mécanismes pervers de fonctionnement depuis le quinquennat Hollande et s’est épanoui dans toute sa terrible hideur dans le but de permettre la prise de pouvoir macroniste.

Mécanique tordue

Le récit retrace une ruse retorse de l’Histoire qui a vu la défiance envers les élites politiques et leur potentielle corruption sur l’air du « tous pourris » (l’histoire récente des partis politiques retracée en début d’ouvrage est particulièrement éclairante, avec notamment la corruption massive induite par l’évolution des partis de masse devenus partis de cadres à la recherche de sources de financements nouveaux compensant l’effacement du monde militant) se transformer, par invocation d’une justice que l’on souhaitait propre et indépendante en un remède pire que le mal : l’« indépendance » judiciaire, en lieu et place de la neutralité souhaitable, a permis l’émergence d’un système douteux, pervers, justicier plutôt que judiciaire et qui, paradoxalement, a servi des intérêts politiques. D’abord en se faisant les dents et en s’impliquant dans une timide opération « mains moites » (plutôt que mains propres) au cours de laquelle le monde politique a servi sa propre tête sur un plateau, puis en se mettant spontanément au service d’un pouvoir politique dont, pour des raisons sociologiques et culturelles, la magistrature se sentait proche. C’est ici toute la question de la politisation du monde judiciaire qui se pose, comme l’illustre l’épineux dossier du syndicalisme dans la magistrature, l’enjeu principal n’étant pas tant, redisons-le, celui d’une improbable indépendance que celle d’une réelle neutralité garantie par des instances et des mécanismes de contrôle dignes de ce nom. Or, la réalité est loin d’offrir toutes ces garanties.

Les connivences, la porosité à la fois idéologique et d’intérêts communs entre certains journalistes autoproclamés d’« investigation » et certains magistrats s’étant fixé pour mission de s’immiscer dans la vie politique en fonction de leurs amitiés et préférences idéologiques, ont permis la mise en place d’une mécanique tordue, dans laquelle les violations du secret de l’instruction sont la règle, dans laquelle certains journalistes ne servent qu’à diffuser ces fuites savamment orchestrées dans le but de démolir des carrières et satisfaire l’ego de certains justiciers, dans laquelle on protège les amis et l’on harcèle, parfois jusqu’au loufoque, les « ennemis » politiques.

La « chasse au Sarkozy », tournant volontiers à l’obsession maniaque et dont Régis de Castelnau met à nu tous les rouages est probablement l’illustration la plus aboutie du mécanisme décrit dans cet ouvrage. Selon une alternance du rythme judiciaire qui fait du magistrat le véritable maître des horloges : parfois ultra rapide, comme lors du raid médiatico-judiciaire mené dans le but de porter Emmanuel Macron au pouvoir en disqualifiant dans un agenda délirant le candidat Fillon (par exemple), parfois au contraire dans l’immense lenteur où sommeilleront certaines procédures (relatives par exemple aux innombrables violations du secret de l’instruction, ou encore celles mettant en cause les amis et favoris politiques). Selon cette logique, le « système Macron » est, pour le moment, bien à l’abri : le Parquet National Financier et le Pôle d’instruction financier choisissent leurs proies avec méthode et selon des objectifs et une temporalité précis. Bien à l’abri donc, contrairement aux adversaires politiques et sociaux sur qui pleuvent les procédures parfois totalement saugrenues comme à Gravelotte : Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon en font par exemple régulièrement l’expérience, mais ce fut par exemple également le cas de Gérard Collomb aussitôt après sa chute en disgrâce… Une magistrature également prompte à s’abattre sur les opposants sociaux, comme l’a démontré le traitement judiciaire des Gilets Jaunes, étant entendu qu’il appartenait à la justice de contrôler et garantir les libertés publiques, et non pas d’aider à en réprimer l’expression au gré de procédures plus que douteuses.

Et maintenant, que faire?

Cet ouvrage, dont il est impossible de retracer en quelques lignes toutes les implacables démonstrations, est à situer certes dans une histoire, celle des trente années écoulées dont l’auteur a été à la fois acteur et spectateur attentif, mais aussi et surtout, chargé de cette expérience et de ces terribles constats, inscrit dans une perspective : que faire, sur la base de cette situation sinistrée ? Plusieurs pistes sont proposées de manière programmatique, sachant que, d’ici là et au regard du tableau dressé, la pire des manipulations est à craindre pour l’élection présidentielle à venir : séparer de manière radicale les fonctions du parquet et du siège afin de casser un corporatisme nuisible ; consolider, en contrepartie, l’indépendance des juges du siège dont on devrait exiger une réelle neutralité, ce qui implique de mettre un terme au syndicalisme pour cette partie-là de la magistrature ; réformer le Conseil supérieur de la magistrature; mais aussi modifier les modalités de recrutement et de formation des magistrats afin de rompre avec la tendance endogamique et le corporatisme induit par cet entre-soi préjudiciable… On ignore quel Garde des Sceaux aurait le courage de déployer tel programme, a fortiori lorsqu’on observe le traitement réservé par la magistrature aux ministres qui ont le tort de lui rappeler ses missions. Le dernier résident de la place Vendôme est en train de l’apprendre à ses dépens…

La richesse, le détail et la force d’impact du propos rendent la lecture de cet ouvrage indispensable pour quiconque souhaite comprendre, par-delà le cirque médiatico-politique des affaires judiciaires complaisamment mises sous le feu des projecteurs, quels en sont les véritables enjeux démocratiques mais aussi les perspectives et les issues souhaitables afin que force revienne à l’État de droit. Ce livre n’est donc pas une révérence mais l’aube d’une nouvelle histoire.

Anne-Sophie Chazaud

15 Commentaires

  1. Excellent. Sans comparaison aucune avec l’article dans LF. Bravo Madame.

  2. Suis curieux de lire ce livre, mais je ne crains qu’il ne révèle que des anecdotes certes importantes et symboliques mais qui ne changeront pas le système. Je vous recommande la lecture des « Chevaux du lac Ladoga  » d’ A. Peyreffitte.. paru au milieu des années 80, et de plus en plus d’actualité. Même Pierre Joxe, ministre le l’Intérieur de gauche et mittérendien y a adhéré sans succès!!

  3. Le piège de la démocratie est dent fer de la politique tout en s’exposant comme clou de spectacle
    Une zap
    (afin que force revienne à l’État de droit. Ce livre n’est donc pas une révérence mais l’aube d’une nouvelle histoire.)
    Avec le nouveau covidé qui est en recherche d’éloignement , planétaire médiatiquement
    de solon de mon avis le retour sera aussi violent

    Puisque l’éloignement est toujours en recherche de proximus
    Le transhumain viens du covid 19
    Dans le tout porte à croire comme millésime
    s’est assez fou le texte, par exemple (Mazarine Marie Mitterrand Pingeot)
    Style danse des pingouins africain dans le mélange des genres
    LA MERDE TELE
    https://www.youtube.com/watch?v=aavCdmoihYY

  4. « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Montesquieu.

    « Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. » Montesquieu.

    “Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force.” Blaise Pascal.

    « La justice est l’administration de la force.” Anatole France.

    “On a déclaré qu’il fallait d’abord la justice et que, pour la liberté, on verrait après ; comme si des esclaves pouvaient jamais espérer obtenir la justice.” A.Camus.

    etc…etc…

    Le problème de fond est que nous sommes désormais administrés par une oligarchie et que donc, nous ne sommes plus gouvernés en démocratie depuis belle lurette et la situation actuelle nous le démontre, sans fard, mais avec masque, via le décret de l’Etat d’urgence permanent et au nom du tout sécuritaire.
    La séparation des pouvoirs n’est plus qu’un souvenir vertueux et éthéré, tout comme l’est celui de la justice, qui faisait écrire à Cicéron qu’elle est « une disposition de l’esprit, qui tout en sauvegardant l’intérêt général, accorde à chacun la dignité qui lui revient.  »

    Il faut revenir au Réel, se résoudre et non se résigner quant à formaliser une définition plus correcte de ce qu’est, par essence, devenu notre modèle de gouvernance dit « démocratique », se révélant pleinement et en ce moment même : « Ce qui constitue une République, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé. »

    De Saint-Just nous avait pourtant prévenu !

    • Dans le post précédent il y avait déjà un moralisateur qui citait je ne sais plus qui et qui disait: » pas de tolérance pour les intolérants »!
      Je lui ai répondu par une citation de votre Saint-Just: « pas de liberté pour les ennemis de la liberté »! Cela sonne presque aussi bien que, je vous cite:  » Ce qui constitue une République, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé.  »
      Le seul hic avec tout cela: qui définit les intolérants, les ennemis de la liberté et encore ce qui constitue une république?!

      • C’est une très bonne question.
        J’aurais tendance à dire que le pouvoir se pose en arbitre d’une certaine morale et qu’il s’auto proclame, de fait, son garant exclusif.
        Cela demanderait une très longue analyse avec en arrière-plan, la question de la liberté et du libre arbitre.
        Existent-ils ? ou ne sont-ils qu’une illusion savamment entretenue par le pouvoir pour asseoir sa domination ?

        « J’ai déjà défini la modernité comme une contradiction physiologique interne. Dans l’éducation, la raison voudrait que l’un des systèmes d’instincts au moins fût paralysé dans un véritable étau, afin de permettre à un autre de prendre des forces, de devenir vigoureux, de dominer. Aujourd’hui pour rendre l’individu possible (et, par possible, j’entends entier…), il faudrait d’abord le rogner. Or, c’est tout le contraire qui se produit. La revendication d’indépendance, de libre épanouissement, de laisser aller, est souvent formulée avec passion par ceux-là mêmes qui auraient le plus besoin d’être sévèrement bridés : cela vaut en politique, cela vaut en art. Mais c’est là un symptôme de la décadence : notre conception moderne de la liberté est une preuve de plus de la dégénérescence des instincts. [..] On veut la liberté aussi longtemps qu’on n’a pas la puissance ; mais si on a la puissance, on veut la suprématie. » Nietzsche.

        • Nietzsche c’est très bien mais si vous écoutez lisez Zemmour de temps en temps vous entendrez (presque) le même son de cloche mais un peu plus terre-à-terre; il se tue à répéter que les individus utilise les droits de l’homme à leur seul profit et ne s’aperçoivent que justement à cause de cela tout s’effondre autour d’eux! Il l’a encore démontré avec brio jeudi soir sur CNEWS à propos des lobbies LGBT.

          • Nietzsche, c’est plus que très bien, c’est la quasi perfection dans la fulgurance de pensée quant à tout ce qui touche l’humain, c’est le Hegel ou le Spinoza des turpitudes de l’Homme.
            Je vais même plus loin, contrairement à ce que l’immense majorité de ses pseudos exégètes tentent de faire passer, c’est l’un des rares qui ait formalisé correctement les enjeux du conflit entre le judéo-christianisme et le pagano-christianisme via son célèbre « Dieu est mort ! « .

            Il avait compris, instinctivement peut être, ce qu’il se tramait dans l’héritage de J.C, post Golgotha, donc, et incarné par Paul de Tarse.
            Et il fut taxé d’antisémite !

            Zemmour, c’est comme Trump (milliardaire) en définitive, c’est un agent nécessaire au système.
            Donc il développe des thématiques au sein de l’aporie conservateur vs progressiste, mais du coté du premier nommé, au sein de l’entrisme libérale.
            Ce qu’il dit est recevable si vous êtes libéral-conservateur (ex Gave) et flirtant avec le populisme, si vous êtres libéral-progressiste.
            Vous noterez que Zemmour ne sort jamais du cadre capitaliste, car la critique du néo-libéralisme n’est qu’un positionnement de curseur, donc de degré, en aucun cas une remise en cause de nature.
            Et pour cause, il est du coté des vainqueurs, le grand Capital ayant vaincu ses opposants idéologiques, le communisme par la chute du mur, parce qu’incomplet dialectiquement, le national-socialisme par la guerre, car beaucoup plus complet, donc dangereux, sur le triptyque culturelle-économique-sociale.

            Il est évident que je ne suis pas en train de faire l’apologie du IIIème Reich et des ses méthodes, je me postionne uniquement en terme de concepts.
            Faut être prudent, par les temps qui courent, pour moins que cela, certains se sont retrouvés en psychiatrie ou en résidence surveillée.

        • Je ne vous répondrais que par une sentence: la perfection n’est pas de ce bas monde! Après, vous avez le droit de croire ce que vous voulez!

          • La perfection, c’est un concept.
            La quasi perfection est une opinion.
            Leurs antonymes également.

            Mais on digresse, je cois bien.

    • Sans être particulierement admiratif de la « civilisation » anglo-saxonne j’adhere completement à la necessité de limiter autant que possible les pouvoirs d’un Etat, oppresseur par definition.

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