C’était il y a 50 ans. C’était un mercredi. En ce temps-là, il n’y avait pas de chaîne d’information en continu, on ne se sentait pas obligé de s’infliger David Pujadas, Pascal Praud ou Ruth Elkrief en prenant son café. On allumait la radio. Le 21 avril 1967, les nouvelles avaient été mauvaises. Coup d’état militaire d’extrême droite en Grèce. Le 11 septembre 1973, Pinochet au Chili. Franco, increvable allait à pied à l’hôpital. Ce matin du 25 avril 1974, quelques informations floues. Il semblait se passer quelque chose au Portugal. Des soldats dans les rues, des points stratégiques occupés par des chars, beaucoup de confusion.
Immédiatement l’inquiétude. Des militaires ? Ça y est, ça recommence. Ils sont sortis de leurs casernes pour maintenir cette vieille et féroce dictature qui enferme ce pays depuis tant d’années. Et puis, au fur et à mesure du déroulement de la journée, les choses prennent un tour bizarre. Les communiqués lus à la radio annoncent le rétablissement de la démocratie. Les rues s’emplissent de manifestants qui acclament les militaires. L’armée encercle le siège de la PIDE police politique abhorrée. Les dirigeants de la dictature sont arrêtés. Il faut se rendre à l’évidence, surmonter son incrédulité, sa méfiance vis-à-vis des militaires. L’armée portugaise vient de mettre à bas une des plus vieilles dictatures d’Europe. L’armée !
Le soir, les premières images de ces foules en délire. De tous ces œillets déjà brandis. De la « une » du Diario de Noticias barré d’un énorme « Golpe militar ». De ces capitaines en treillis recevant la reddition des maîtres de la veille. Avril 1974, c’est la France de l’Union de la gauche, du Programme commun. Georges Pompidou vient de mourir et le candidat de cette gauche unie peut l’emporter aux présidentielles. Nous sommes jeunes, nous croyons dur comme fer qu’on va changer la vie. Cette révolution des œillets est un énorme choc, qui provoque une véritable euphorie.
On connaît bien en France les militants du Parti socialiste et du Parti communiste portugais qui, exilés chez nous, s’expriment souvent dans un français parfait teinté de cet accent chuintant inimitable. Il faut partir là-bas, y aller avec eux qui peuvent enfin rentrer. Partager avec le peuple de Lisbonne l’énorme fête du 1er mai qui se prépare.
C’était il y a 50 ans, ce furent des jours, des semaines et des mois merveilleux. Un moment de grâce, de communion. Un pays magnifique enraciné dans l’Histoire, un printemps radieux, un peuple singulier, resté intact sous le couvercle de cette dictature cinquantenaire. Il y avait de la fraternité, il y avait de l’espoir. Et c’était à des militaires qu’on le devait.
Le réel a repris ses droits. Le monde, y compris au Portugal n’est pas celui que nous souhaitions, et nous craignons qu’il aille maintenant vers la guerre. La « révolution des œillets » c’est devenu de l’Histoire, celle du monde d’avant. Ce fut aussi un peu la nôtre, et comme des révolutions victorieuses nous n’en avons pas eu beaucoup, on va saluer la mémoire D’Otelo de Carvalho, de Vasco Goncalves, d’Alavaro Cunhal les remercier pour ce moment en fredonnant Grandola vila morena…
Mais enfin, Régis, votre sentimentalisme n’est pas de saison. Si demain Macron est foutu dehors, les mêmes illusions prévaudrons. Être pessimiste est un devoir. Être lucide une exigence. Tant que le roi dollar mènera le monde et corrompra tout ce qui bouge, l’optimisme, l’idéalisme sont des défauts premiers. Révolution des œillets? Non. Des oreillers.
Seuls les paranoïaques survivent.
C’est désolant mais vous avez raison.
Le réel a besoin d’idéalistes et non de gâte sauce
Ëtre lucide et pessimiste n’empêche pas de se projeter vers un meilleur monde.
Vous devriez lire Pagnol, son père, hussard noir de la République était méfiant envers lés révolutions
Et c’était en 1910
Avant les révolution bolchevique, nationales, libertaires et autres islamiques
Oui, comme vous, cette révolution m’a donné des moments exaltants. Qui plus est, Otelo de Carvalho et ses camarades ont achevé un empire colonial moribond tout en donnant, par la bande, un sacré coup dans la gueule au régime d’apartheid proche de l’Angola.
Grândola, vila morena
Terra da fraternidade
O povo é quem mais ordena
Dentro de ti, ó cidade!
Dentro de ti, ó cidade
O povo é quem mais ordena
Terra da fraternidade
Grândola, vila morena!
Em cada esquina um amigo
Em cada rosto igualdade
Grândola, vila morena
Terra da fraternidade!
Terra da fraternidade
Grândola, vila morena
Em cada rosto igualdade
O povo é quem mais ordena!
À sombra duma azinheira
Que já não sabia a idade
Jurei ter por companheira
Grândola a tua vontade!
Grândola a tua vontade
Jurei ter por companheira
À sombra duma azinheira
Que já não sabia a idade!