GAZA – HIROSHIMA : LA FIN DE LA GUERRE

Pour qu’il y ait belligérance, il faut que s’affrontent sur un terrain militaire deux États mutuellement reconnus. Or, dans le cadre du conflit israélo-palestinien, c’est justement le statut d’État qui fait problème entre les deux parties. Et c’est cette dissymétrie qui donne tout pouvoir sur les mots à l’un des deux protagonistes. Comment reconnaître un État à une population qui couve le terrorisme en son sein ? Mais comment cette population pourrait-elle penser la distinction fondamentale du civil et du militaire quand son vis-à-vis lui refuse le statut qui donne un sens à cette distinction ? Dire de quelqu’un qu’il est terroriste, ce n’est pas seulement porter sur lui un jugement moral, c’est créer les conditions dans lesquelles l’autre n’a pas accès au pouvoir de produire les distinctions qu’on l’accuse d’effacer. L’autre est donc refusé dans son altérité-même, privé performativement de son existence avant même que d’être mort.

Entre Israël et les Palestiniens, paradoxalement, la guerre n’est plus possible – tellement partout qu’elle n’est plus nulle part.

A l’image de ce qui se passe en Ukraine, où ce n’est pas le tracé juridique d’une frontière qui fait débat mais son statut géopolitique, on s’aperçoit rétrospectivement que le droit international ne pouvait concerner que des entités qui renonçaient à une partie de leur souveraineté pour faire allégeance à l’un des deux Empires qui se partageaient le monde et qui se reconnaissaient, au nom de leurs intérêts bien compris, le droit de faire régner l’ordre dans leurs périmètres respectifs. Il n’y a de droit, et donc d’état de droit, qu’à l’abri d’un arbitraire, d’une puissance qui est parvenue à conquérir, hors l’arbitrage de quiconque, « la compétence de sa compétence ».

Aujourd’hui, dans un contexte où l’Occident se rétracte et où le rêve de fin de l’Histoire s’évapore, on constate qu’il ne permet pas de mettre fin à une confrontation politique entre l’intérieur et l’extérieur d’un même périmètre. On n’assiste pas alors au « retour de la guerre », comme on le dit quelques fois par facilité journalistique, mais à l’enclenchement d’une « montée aux extrêmes » qui n’a pas d’autre enjeu que l’éradication réciproque de deux entités dont chacune considère l’existence de l’autre comme négation de la sienne.

Dans le contexte du conflit israélo-palestinien, le terme de belligérant souffre donc de son équivocité : s’il peut traduire la volonté performative de faire rentrer ce conflit dans l’épure du droit international, et donc de le résoudre, il est aussi employé par des gens qui ont besoin de justifier la violence des opérations militaires d’Israël par un effet de symétrie relativement à un adversaire qui menacerait l’Occident tout entier. Si donc le terme belligérant est employé dans la perspective de reconnaître à la Palestine le statut d’État, il n’a pas du tout le même sens quand il est employé dans un contexte où le peuple palestinien, pour des raisons prétendument religieuses appuyées sur une lecture ethnique de la Bible, est réputé absent de la grande scène de l’Histoire.

Voilà pourquoi la fuite en avant militaire de l’Occident obéit à des raisons structurelles et non pas seulement morales : il ne s’agit plus d’entrer en conflit, pour de bonnes ou mauvaises raisons, avec une altérité reconnue comme telle, mais de suppléer à une impuissance radicale du langage qui l’empêche de remplir ce qui est sa fonction première : exprimer la conscience d’un vis-à-vis et donc produire sa condition de possibilité.

Il nous reste donc à espérer que l’arme nucléaire ne soit pas utilisée comme arme métaphysique de dernier recours c’est-à-dire comme le moyen de raser le monde pour démontrer qu’il n’existait pas.

Hors tout calcul rationnel d’intérêt, il s’agirait alors d’ajuster le réel à notre refus de recevoir sa présence : scenario paradoxal qui verrait la guerre s’accomplir dans son incapacité radicale à contenir la violence humaine, c’est-à-dire à se retirer dans les limites sacrées qui permettent à quelque chose d’exister.

Avignon, Noël 2024

Benoît Girard

10 Commentaires

  1. Le terme de  » guerre  » employé par nos médias pour traiter de Gaza est une escroquerie . Il s’agit d’une opération de police menée avec des moyens militaires . A ce compte là on pourrait dire que l’éradication du ghetto de Varsovie et de sa résistance armée était aussi une  » guerre « 

  2. Bonjour,

    Ce sont des guerres tribales avec des personnes qui sont détentrices de l’arme nucléaire. Enfin pour l’un des deux « belligérants ».
    Que ces assassins ne nous donnent jamais plus de leçon de morale.

    Cdt.

    M.C

  3. Ce terme de « terroriste » est totalement déconsidéré et pris au sérieux uniquement par les Tartufes qui l’utilisent. Qui l’ont toujours utilisé.
    Il y a ainsi des qualificatifs qui parlent beaucoup plus de ceux qui les utilisent que de ceux qu’ils sont supposés décrire.
    Ainsi, celui qui parle de « nègre » , de « bougnoule » ou métèque se disqualifie immédiatement sans pour autant réussir à rabaisser la personne ou le groupe concerné au yeux de son interlocuteur.
    On pourra en dire autant de « pédé, grognasse, gaucho, facho » et autre qualificatif dévalorisant.
    Terroriste, c’est pareil. Les nazis osaient traiter ainsi les résistants comme les Israéliens le font aujourd’hui des Palestiniens.
    Nul n’a assassiné massivement , systématiquement et gratuitement plus de civils dans l’Histoire que les USA qui sont pourtant le pays qui utilise le terme « terroriste » à toutes les sauces.
    Chez nous, Mitterrand, après avoir autorisé la torture en Algérie et que nos p’tits gars s’en donnaient à coeur joie à coup de gegene, de corvée de bois et de crevettes Bigeard utilisait avec sa bouche en cul de poule( de dindon?) le terme de « terroriste » pour désigner les fellaghas.
    L’usage du terme terroriste est le marqueur infaillible du scélérat, tartufe, pourri. Celui qui l’utilise se marque immédiatement du sceau de la putréfaction morale.
    Les Anglais, champions toute catégorie de la putasserie politique, considèrent qu’un Palestiniens combattant est un terroriste tandis que l’assassinat d’un général Russe est un acte de justice.
    Le terroriste c’est toujours  » c’est celui qui dit qui l’est.  »
    Ce mot est tellement galvaudé.
    Reste le cynisme.
    Et cette époque est effroyable de cynisme.

    • La meilleure façon d’exterminer un peuple, c’est effectivement lui refuser légalement le droit à l’existence. La négation du droit à l’existence est dans un premier temps juridique, afin de la fonder légalement, qui se transforme en devoir moral d’éradication totale d’un non-être du point de vue du droit.

    • La meilleure façon d’exterminer un peuple c’est de lui dénier le droit à l’existence. La négation du droit à l’existence est dans un premier temps juridique, afin de la fonder légalement en droit, elle se transforme ensuite en devoir moral, en impératif catégorique directement issu de la Loi morale, d’éradication de ce qui n’a pas le droit à l’existence pour des raisons morales : en usant du terme de terroriste pour qualifier l’ennemi et en poursuivant pénalement pour apologie du terrorisme, tous ceux qui oseraient remettre en cause ce narratif officiel et légal des médias, jusque dans nos foyers, jusque dans notre intimité, jusqu’en notre âme et conscience – nous sommes au passage privés sur notre propre sol de notre souveraineté au nom des intérêts d’un État étranger, comme le souligne remarquablement Dominique de Villepin. Lorsqu’au fond un ennemi n’existe pas, son extermination n’en est pas une, il n’est donc pas immoral de le tuer. Voilà ce qui fait de Tsahal l’armée la plus morale du monde, qui tue certes, mais avec toute la bonne conscience d’être parfaitement dans son droit. On ne peut absolument pas rivaliser avec le peuple de la Loi, ni encore moins le combattre, car c’est aussitôt illégal.

  4. Intéressant texte, qui ramène aux fondamentaux.
    Au fond, paradoxalement, la guerre est un progrès moral par rapport à l’usage sans limite de la violence d’avant la guerre (et maintenant, d’après la guerre). On la déclare, elle a des buts limités, des moyens limités par des conventions qu’on s’oblige a respecter même quand l’autre en face ne le fait pas, et enfin on la termine (même si c’est provisoire) en laissant les diplomates avoir le dernier mot.
    L’occident ne déclare plus de guerre, se contrefout de son droit interne qui exige qu’il le fasse (et, au passage, piétine les parlements dont la déclaration de guerre est toujours une prérogative), et assassine ouvertement sans procès et sans honte en contradiction avec tous les principes qui le fonde. Et pas seulement à Gaza. Il fait de même en Russie, dont ni la réalité ni l’altérité ne sont pourtant niée.
    Quant à Israël, c’est encore pire, ce pays piétine la pierre de fondation du droit et de l’Humanité : la limitation de la vengeance à un pour un, la loi du Talion.

    « exprimer la conscience d’un vis-à-vis et donc produire sa condition de possibilité » ?

    C’est plus grave que ça ! Ce n’est pas l’autre que l’Occident, et son avant-garde à Tel Aviv, n’arrive plus à concevoir, c’est lui-même. Il érige la Folie pure de l’indifférenciation généralisée en impératif catégorique dans tous les domaine (droit, morale, économie, religion, etc.), et l’usage des armes ne fait que suivre cette nouvelle règle.
    L’Occident est littéralement fou furieux, contre lui-même d’abord, et contre les autres par effet secondaire.

  5. Il est un proverbe vernaculaire qui dit:«[Q]ui veux tuer son chien l’accuse de la rage», traduit en termes politiques, ce proverbe devient:«[Q]ui veut tuer son adversaire politique l’accuse de ‘terrorisme’».
    D’ailleurs, cette accusation létale et péremptoire à géométrie variable a atteint une dimension virtuelle avec l’invention de l’accusation d’«apolologie du terrorisme», l’équivalent moderne de l’accusation d’hérésie qui a valu à plus d’un, d’expier son «crime» sur le bûcher, l’équivalent passé des bombes d’aujourd’hui.
    Il est flagrant de constater que nombre de ceux qui accuse leurs adversaires de «terrorisme» s’autorise sous ce prétexte les pires exactions:les juifs du ghetto de Varsovie en 1940 et plus récemment, les peuples de Tchétchénie, d’Afghanistan, d’Iraq, de Lybie, de Palestine,du Liban,de Syrie, pour n’en nommer que quelques uns, peuvent en témoigner à l’évidence, preuves indubitables du caractère intéressé de cette accusation fourre-tout par excellence.
    Pour distinguer la lutte au «terrorisme» légitime de celle qui n’est qu’un prétexte démagogique pour exterminer ses adversaires et s’emparer de ses territoires et de ses biens, il faut la juger à ses actes et nullement à sa propagande.
    Ainsi, le respect de facto du droit international humanitaire né de la coutume et des 4 Conventions de Genève de 1949 et du premier Protocole additionnel de 1977 constitue le test infaillible pour distinguer la lutte au «terrorisme» du prétexte barbare d’épuration ethnique et du génocide.
    Comme l’a expliqué Jacques Baud, ex-colonel du renseignement Suisse et expert du terrorisme et des opérations de maintien de la paix de l’ONU, Israël dans sa «répression» de ce que le gouvernement israélien appelle: «terrorisme et guerre au Hamas», viole toute et chacune des règles d’engagement prescrites au droit international de la guerre en atteignant indistinctement les civils et les combattants ennemis, preuves évidentes que «le but final recherché» ( dixit Hervé Carresse) n’est pas l’éradication du Hamas mais l’extermination par un génocide de la population palestinienne sous un faux prétexte, un enfumage, un vaste brouillard de guerre, une opération consistant à «tuer son chien qui aurait la rage» afin de s’emparer de ses terres et de ses biens.
    Pourquoi l’Occident collectif, U$A,Allemagne,Grande-Bretagne et France en tête, les pays «du monde gouverné par des règles», «leurs règles», financent-ils, arment-ils, protègent-ils, promouvoient-ils le gouvernement Israélien dans ses crimes de guerre, contre l’humanité et ce que la Cour pénale internationale décrit comme une «apparente tentative de génocide», perpétrés par des «criminels de guerre allégués», Netanyahu et son Ministre Gallant?
    Serait-ce pour bénéficier à terme du pillage du gaz naturel palestinien exploité au large de la bande de Gaza en remplacement du gaz russe bon marché chassé du marché européen par les 23,000 sanctions kamikazes imposées par Bruxelles au gouvernement russe afin de «détruire son économie» ( Bruno Lemaire) et d’affamer son peuple et s’ingérer dans ses affaires internes?
    Comme l’enseigne le droit:«[L]’intérêt commande l’action» et l’intérêt des israéliens de s’emparer des terres des palestiniens pour y piller le gaz naturel, y loger les nouveaux colons et en chasser la population palestinienne conjugué à celui des occidentaux de bénéficier du gaz naturel palestinien, unit ces pilleurs or, l’avouer ouvertement aurait mauvaise presse, quoi de mieux qu’une vaste opération de propagande démagogique de lutte au «terrorisme» pour enfumer les idiots-utiles et couvrir les scélérats qui profitent de ces crimes?

  6. « L’arme nucléaire ne soit pas utilisée comme arme métaphysique de dernier recours c’est-à-dire comme le moyen de raser le monde pour démontrer qu’il n’existait pas. »

    Effectivement, nous sommes la en plein dans la connerie ontologique de l’Hégémon.
    Bravo!
    Ces gens sont-ils des extraterrestres? Ils se prennent pour qui?
    Des tarés. Homo Deus….Hahahahahha!
    Pauvres couillons!
    Allez! Joyeux Noel et Sol Invictis!
    Lui au moins, Sol, ne fait pas de métaphysique.

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