Robert Ménard, froid troll de talent, a récemment fait adopter par le conseil municipal de Béziers une délibération (cf. p. 50) prévoyant la création d’une milice « garde biterroise », composée d’anciens policiers, militaires ou pompiers (voire concierges ?), tous bénévoles, qui auraient pour tâche de patrouiller déambuler dans les rues de la riante commune et de se planter devant les bâtiments publics, afin de mander téléphoniquement la maréchaussée active « en cas de troubles à l’ordre public ou de comportements délictueux ».
Le préfet, apparemment un anarcho-gauchiste complice des délinquants, s’est formalisé de cette délibération et l’a déférée au Tribunal administratif, dans le cadre du contrôle de légalité dont il a la charge (les actes des collectivités locales échappent à toute approbation préalable de l’Etat, qui n’a plus de pouvoir de tutelle depuis les lois de décentralisation, mais comme ces actes doivent évidemment respecter la loi (cf. premiers mots du 3e alinéa), le préfet garde un œil dessus et peut demander au juge administratif d’annuler ceux qu’il estime illégaux).
Soucieux de faire obstacle immédiatement à la création de cette « garde », le préfet a assorti son déféré d’un référé (quand on vous dit que le droit administratif est une poésie…) visant à obtenir la suspension immédiate de la délibération en cause, dans l’attente du jugement au fond (qui prend en moyenne environ un an devant les juridictions administratives).
On peut en effet s’émouvoir qu’une mission relevant de la sécurité publique soit confiée à des personnes privées. Et on sera ravi d’apprendre que cette émotivité est partagée par les juges administratif et constitutionnel, qui décident de façon constante que les activités de police, par leur nature, ne peuvent être confiées qu’à des agents publics, et que les tâches inhérentes à l’exercice par l’État de ses missions de souveraineté ne peuvent être déléguées à des personnes privées.
Pourtant, la « garde biterroise » ne tombait pas évidemment sous le coup de ces restrictions. En effet, ses membres n’auraient eu aucune prérogative de puissance publique, aucune mission d’intervention en cas de constat d’infraction (même si un esprit mal intentionné pourra supputer que, vu leur profil de recrutement, les bonshommes auraient sans doute eu tendance à faire une interprétation assez libérale et zélée de l’article 73 du code de procédure pénale) – ni a fortiori aucun armement. Il n’est donc pas du tout évident que cette « garde » se serait vue confier une véritable mission de police, délégation par nature illégale.
On s’étonnera donc que le communiqué de presse du Tribunal administratif, repris dans les journaux (ceci pour vous dire que vous faites bien mieux de lire Vu du Droit), invoque cette impossibilité par nature de déléguer les missions de police… alors que l’ordonnance rendue par le juge des référés n’en fait elle-même prudemment nulle mention.
C’est sur un motif beaucoup plus solide que se fonde le juge, l’arme atomique du contentieux administratif : la compétence. Attassion, la compétence au sens juridique du terme, c’est-à-dire (en gros) la capacité légale d’une autorité publique à adopter un acte dans un domaine déterminé, et non la capacité intellectuelle à le faire de façon intelligente (une autorité compétente peut donc parfaitement être incompétente – le Journal Officiel en regorge d’exemples).
Là, le juge passe les textes en revue, et constate que la sécurité relève de la compétence de l’Etat, que les dispositifs de sécurité intérieure sont animés et coordonnés par les représentants de l’Etat, et qu’au niveau municipal, les missions de prévention et surveillance du bon ordre et de la sécurité publique relèvent expressément de la police municipale (ceci toujours sans empiéter sur la compétence de principe de l’Etat en la matière).
Il en conclut que, du fait de ces définitions précises, par la loi, des compétences et des modalités de leur exercice en matière de sécurité, et nonobstant la « clause générale de compétence » qui permet au conseil municipal de régler « les affaires de la commune » (ce qui a l’avantage d’éviter l’énumération de toutes les compétences attribuées à la commune, mais l’inconvénient de définir des contours flous qui conduisent régulièrement à l’intervention redondante et brouillonne de plusieurs niveaux de collectivité pour exercer une même compétence), ce dernier « ne tient d’aucune disposition législative ou réglementaire la compétence pour créer [la garde biterroise envisagée] ».
Traduction : « la sécurité publique au sens large, la loi dit (i) que c’est l’affaire de l’Etat, et (ii) que quand c’est celle de la commune, elle ne peut la traiter que via la police municipale. Et bim ! ».
Vous me direz que ça ressemble quand même pas mal à l’interdiction de déléguer les missions de police, et je vous répondrai que c’est pas faux ; mais le fondement retenu par le juge est plus solide, en ce qu’il permet de contourner la question pas évidente de ce que contient une mission de police.
Quoi qu’il en soit, le juge estime que cette incompétence fait naître un « doute sérieux » sur la légalité de la délibération attaquée (tu m’étonnes), et comme le référé préfectoral n’est pas soumis à la condition d’urgence (contrairement au référé-suspension introduit par un requérant lambda), il suspend son exécution. Les voleurs à la tire vont donc pouvoir s’en donner à cœur joie, mais on ne pourra s’empêcher de relever que la Police municipale biterroise elle-même se félicite de cette décision. Tout fout le camp.
Chouette article, bien écrit et avec ce qu’il faut de pédagogie à l’intérieur.
Petit élément de débat : si l’on s’appuie notamment sur la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (n° 2011-625 DC – Cons. 14 à 19), on peut raisonnablement penser que le fait de confier à la « garde biterroise » une mission de surveillance de la voie publique constitue une forme de délégation illégale par la commune d’une mission de police administrative.
On notera aussi que le juge double la suspension d’une injonction à la commune de « mettre fin à toute mesure d’information et de publicité » concernant la « garde biterroise » (jusqu’à ce que la légalité de la délibération litigieuse soit examinée au fond). Va falloir remiser pour un temps les badges GB et les calendriers au fond des tiroirs de la mairie.
Sinon, pas mal cette tribune de la Fédération autonome départementale de la police municipale (cf. lien du dernier paragraphe) qui, croyant reprendre les motifs de l’ordonnance de référé, cite en réalité… les visas résumant les moyens soulevés par le préfet de l’Hérault au soutien de son déféré.