L’exécution du Roi était inévitable
L’Histoire est un récit, mais elle n’est pas qu’un récit : elle est un “récit vrai” écrit Paul Veyne, et cela change tout. Histoire et droit aspirent tous deux au récit vrai. Mais le droit se distingue par l’étendue de son contenu normatif: il cerne lui-même les contours de la vérité qu’il recherche, et conditionne à la forme procédurale l’élaboration du récit vrai qui s’imposera à tous. L’Histoire n’a pas cette chance.
La recherche historique, en même temps qu’elle doit établir des réalités factuelles, doit également produire du sens. Ainsi, l’Histoire, surtout, en nos temps médiatiques, semble n’être devenue qu’un récit passé à la marmite de l’historicité, qui ne sert plus de récit vrai mais n’existe que pour étayer un discours de pouvoir. Le pouvoir est l’enjeu implicite (et parfois explicite), le Dieu caché, dirait Lucien Goldmann, du récit historique. C’est particulièrement vrai en France, où l’on connaît l’importance des questions liées à l’écriture du roman national.
En cela, la commémoration de l’exécution de Louis XVI, s’appuyant sur le retour d’un courant se voulant royaliste, est le symptôme de la grave crise institutionnelle que traverse la Ve République. Les hussards noirs envoyés à la fin du XIXe siècle dans les campagnes pour concurrencer les curés se voient reprocher d’avoir apporté avec eux un récit structuré, racontant que la France avait commencé avec Vercingétorix, s’était poursuivie avec un Moyen-Âge tout d’obscurité, une renaissance qui avait installé des successions de rois tyrans, avant la Grande Révolution qui avait permis le passage de l’ombre à la lumière. Caricature facile du roman national, mais aisément reçue aujourd’hui alors qu’une génération de dirigeants socialistes acculturés brandit en permanence, à tort et à travers les mots de République ou, de « valeurs républicaines », pour masquer le vide de sa pensée politique. Plus de corpus théorique, plus de vision du monde, plus de perspectives à offrir, dévoiements de la notion d’égalité et abandon de la défense des libertés. Que les idées de Joseph de Maistre ou de Charles Maurras reprennent alors du poil de la bête, c’était un peu fatal. Quoique leur approche et celles de leurs héritiers soient souvent le symétrique exact du roman national, où la Révolution fut le passage de la lumière à l’ombre. Ils sont suivis par tous ceux que la crise de la démocratie représentative inquiète et pensent que le remplacement d’un Président de la République inconsistant par un monarque muet pourrait apporter une solution.
Alors circulent sur les réseaux des appels à la commémoration de la mort du Roi martyr. Où voisinent les classiques et traditionnelles injonctions à la repentance, avec comme dans ces colonnes une relecture diabolisante de la Révolution, présentée comme une erreur historique majeure. Dont le point d’orgue symbolique serait la décollation le 21 janvier 1793 du pauvre Louis Capet, Roi bonhomme, et mari fidèle.
Mettant en avant l’exemple savoureux de la Grande-Bretagne qui aurait évité de couper son souverain en deux et ne s’en porterait pas plus mal aujourd’hui. Le problème est que la décision de condamner le roi à mort, était une nécessité à la fois judiciaire et politique. En Histoire aussi, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Parce que nos amis anglais, avec cent-quarante ans d’avance, ont fait exactement la même chose et pour les mêmes raisons. On pourra d’ailleurs fêter le 30 janvier prochain l’anniversaire de la décapitation de Charles Ier en 1649. Celui-ci s’opposait en déclenchant des guerres civiles atroces, aux Parlements qui entendaient instaurer une monarchie constitutionnelle. Jugé et condamné par celui de Londres pour haute trahison ses dernières paroles sur l’échafaud furent pour dire qu’il avait désiré la liberté de son peuple mais que: « je dois vous dire que la liberté consiste à avoir un gouvernement… elle ne consiste pas pour le peuple à gouverner lui-même ; un sujet et un souverain sont deux choses clairement différentes ». Tiens, tiens.
Après quelques années de la dictature de Cromwell, nos pragmatiques amis anglais préférèrent restaurer une monarchie qui de ce jour fut complètement soumise. À la même époque c’est Louis XIV qui règne en France, portant à son apogée la construction d’une royauté absolue, entamée par ses prédécesseurs. Depuis Louis XI, les souverains français savent la nécessité de cet État fort pour faire tenir ensemble un royaume hétérogène déjà peuplé de plus de 20 millions d’habitants. On sait que l’élan donné va s’essouffler avec les successeurs du Roi-Soleil et le dispositif va brutalement voler en éclats à la fin du 18e siècle. À la française, loin du pragmatisme anglo-saxon, autant dire par réajustements brutaux où doctrine et théorie jouent un rôle important. Mais à mon sens, il ne faut pas se tromper, l’enjeu de la révolution était moins la création d’une « République » que l’avènement d’une nécessité historique, l’État-nation territorial forme d’organisation de l’espace public qui trouvera son épanouissement au XIXe siècle. Accompagnant et permettant la révolution industrielle en Europe. Or c’est bien à cette création que Louis XVI s’est opposé comme les autres familles régnantes d’Europe pour qui « le sujet et le souverain étaient choses clairement différentes ». Car ce que disaient les Français à l’Europe et au monde c’était le contraire, cette irruption dans l’Histoire d’un nouveau souverain, le peuple, prenant la place des anciens. Et même s’il fut accommodant, le Roi s’est fondamentalement opposé à ce principe. La fuite à Varenne pour rejoindre les coalisés ennemis de la France signait une haute trahison. La sanction en était d’autant moins évitable qu’elle allait en plus revêtir les habits du symbole. La Nation était suffisamment sûre d’elle-même pour envoyer ce nouveau message au monde : « dans ce conflit de souveraineté, c’est le peuple qui l’a emporté ». Je crois que si j’avais été député à la Convention le 15 janvier 1793 j’aurais voté la mort, car c’était l’intérêt de la France.
Chacun sait que les conséquences ont été considérables, le drapeau tricolore et la Marseillaise sont devenus des emblèmes internationaux. Curieusement, après 1792, la France n’est restée une République qu’une petite douzaine d’années. D’empires ratés en restaurations interrompues, elle finira par l’instaurer de façon juridiquement établie, le 30 janvier 1875 par une voix de majorité à l’Assemblée nationale. Soit 82 ans après la condamnation à mort de Louis XVI prononcée elle aussi à une voix de majorité.
La Révolution Française est aujourd’hui un objet froid victime d’une révision qui fut menée dans le champ académique essentiellement pour le démarxiser. Il a fallu pour ça, la diaboliser et n’en retenir que les aspects violents qui nous apparaissent impardonnables. Dire aussi que Staline et Pol Pot étaient dans Robespierre. Juste une remarque pour montrer que chacun choisit son « récit vrai ». Il y eut à Paris, pendant les 20 mois de la terreur, 2 500 guillotinés, c’est-à-dire après procédure devant les tribunaux révolutionnaires. Contre 15 000 exécutions sommaires en mai 1871 pendant la « semaine sanglante » réprimant la commune de Paris. Ceci ne compense pas cela, ceci n’excuse pas cela, mais souvent ceux qu’horrifie à juste titre la Terreur ne savent même pas ce que fut la répression de la Commune.
C’est la raison pour laquelle il faut prendre la France telle qu’elle est. Prendre tout, ce qui fut grand, ce qui fut petit et nous dispenser des jugements anachroniques. Et surtout éviter d’enrôler l’Histoire pour la mettre au service des causes d’aujourd’hui. Laissons la République tranquille, ce n’est pas là que se situent les vrais clivages et les véritables enjeux. La forme républicaine du gouvernement est actée, et il serait assez ridicule de prétendre la changer. Ce qui est important aujourd’hui c’est la nation française et savoir ce qui la compose.
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