Le procès Cahuzac renvoyé au mois de septembre, comment donc, qu’est-ce encore que cette argutie d’avocat complice rompu à faire acquitter des assassins pédophiles pour une erreur de virgule dans un procès-verbal, instruments d’une Justice au service des puissants (fussent-ils déchus, à terre, largués par tous leurs potes) ?
Du calme.
Les avocats de Cahuzac ont présenté devant le Tribunal correctionnel, chargé de le juger pour fraude fiscale, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui interroge la possibilité de punir deux fois une même personne pour les mêmes faits (jurisprudence Kiss Cool : paf sanction fiscale, hop on relève un peu la tête, vlan sanction pénale, deuxième lame Gillette).
Jusque-là, rien que de normal (reconnaissez que vous-même, petit, en prenant une seconde torgnole paternelle après avoir avoué en avoir ramassé une première par l’instit’, ne fûtes pas le dernier à chouiner « non bis in idem ! » – ce qui vous en valut une troisième pour vous apprendre à causer latin).
Tout au plus pourrait-on reprocher aux avocats d’avoir tardivement déposé cette QPC, ainsi que l’a bougonné le Parquet, mais ça ne change pas grand-chose.
Que pouvait alors faire le Tribunal ?
- Première option : considérer que la QPC était « dépourvue de caractère sérieux », et poursuivre le procès selon le calendrier initial. C’est en effet un filtre assez large qu’applique le premier juge, qui ne vise qu’à rejeter les QPC purement dilatoires.Au regard de l’état actuel du droit, que vous résume ici Véronique Wester-Ouisse, on voit mal comment le Tribunal pouvait considérer cette QPC comme fantaisiste et purement dilatoire.
- C’eut été là un choix risqué, mettant en péril le jugement à intervenir, ainsi que l’a relevé le Président de la formation de jugement : en effet, Cahuzac aurait pu contester cette décision de mettre la QPC à la corbeille lors de l’appel qu’il n’aurait pas manqué de former contre le jugement « au fond », et la Cour d’appel aurait alors pu décider pour sa part que la question aurait dû être transmise – faisant alors tardivement mais tout aussi sûrement peser la menace (ou l’opportunité, pour Cahuzac) d’une déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions légales fondant les poursuites.
- Seconde option, retenue par le Tribunal : transmettre la QPC à la Cour de cassation, qui va déterminer si elle « présente un caractère sérieux » (vous croyez que le Tribunal l’a déjà fait ? Que nenni ! Il a dit qu’elle n’était pas dépourvue de caractère sérieux, ce qui ne veut pas dire qu’elle présentait un caractère sérieux. C’est un peu la QPC de Schrödinger, oui). Le cas échéant (ce qui est très probable), elle la transmettra au Conseil constitutionnel, qui tranchera. Puis, quelle que soit sa solution, le procès reprendra devant le Tribunal correctionnel en septembre (ce qui donnera l’occasion à Cahuzac de remettre quelques raffuts aux journalistes un peu trop charognards).
Alors, Cahuzac, protégé par le Pouvoir et la Justice ? Au regard de l’attitude belliqueuse du Parquet, cela semble difficile à soutenir, et la transmission de la QPC est à cet égard un non-événement : en mars 2015, les juridictions suprêmes (Cour de cassation et Conseil d’Etat) avaient été destinataires de 2360 QPC adressées par les juges du fond.
A vrai dire, étant donné le vrai débat juridique sur l’applicabilité du principe non bis in idem en l’espèce, c’est plutôt la non-transmission de cette QPC qui aurait été le signe d’une politisation du dossier.
Reste à voir ce que jugera le Conseil constitutionnel, et à la place de Cahuzac, je ne me ferais pas trop d’illusions : quand bien même les dispositions qui fondent les poursuites à son encontre seraient déclarées inconstitutionnelles, le Conseil a pour habitude (certes pas systématique) de différer les effets dans le temps de sa décision, afin de ne pas anéantir l’ensemble des poursuites en cours. Ce qui offre au requérant une victoire à la Pyrrhus : il obtient une déclaration d’inconstitutionnalité, mais ne peut pas s’en prévaloir. Life is a beach du lac Léman.