Le petit trader n’est pas un «working class hero».
L’interminable feuilleton Kerviel vient de donner lieu à un nouvel épisode qui en dit long sur l’état de la société française. On renverra à des écrits précédents pour éviter les redites. On conseillera également la lecture des articles de Pascale Robert Diard sur le sujet dans Le Monde.
Escroquerie et abus de confiance
Simplement, il convient de rappeler que Jérôme Kerviel a été reconnu coupable d’escroquerie et d’abus de confiance à l’égard de son ex-employeur la Société générale. Après une instruction particulièrement minutieuse, une audience de trois semaines devant le tribunal correctionnel aboutissant à une décision de condamnation de 300 pages, une audience d’appel également de trois semaines pour un arrêt tout aussi long aboutissant à la même conclusion. Au regard du droit et de la justice, Jérôme Kerviel est donc définitivement un escroc. La Cour de Cassation a simplement cassé l’arrêt sur la question des dommages et intérêts dus à la société générale. Il a été reproché à la Cour de ne pas avoir recherché si la responsabilité de la banque partie civile, dans la surveillance de son agent, ne pouvait pas être étudiée, et aboutir ainsi à une diminution des sommes mises à la charge de celui-ci. C’est ce que la Cour d’appel de Versailles devra examiner. En aucun cas la condamnation pénale n’est remise en cause.
Désinvolture prud’hommale
Coup de tonnerre dans un ciel serein, le conseil des prud’hommes de Paris, faisant preuve d’une désinvolture juridique stratosphérique, vient de nous dire que le licenciement de l’agent escroc était dépourvu de « cause réelle et sérieuse » et que par conséquent il fallait indemniser le malheureux à hauteur de 450 000 euros ! Alors comme ça, il n’est pas possible de foutre à la porte un employé, qui en trafiquant les procédures, vous a fait perdre plusieurs milliards d’euros ? Pour la juridiction paritaire, il faut croire que non. Nous n’avons pas disposé du détail de la décision mais n’importe quel juriste la trouvera ahurissante.
Si l’on s’en réfère au droit lui-même, c’est encore pire. Car il existe un principe fondamental, celui de « l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil (qui comprend les décisions prud’hommales) ». La Cour de Cassation l’a encore rappelé dans l’attendu de principe de son arrêt du 24 octobre 2012, en confirmant que cette règle « s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé ». Si la règle ne s’attache en principe qu’au dispositif de la décision, la Cour de cassation réaffirme dans cet arrêt qu’elle s’étend également aux « motifs qui en sont le soutien nécessaire ».
Il est donc évident que l’escroquerie et l’abus de confiance établis à l’encontre de Jérôme Kerviel et assorti quand même de quatre ans de prison (!) impliquent la possibilité pour son employeur de le licencier non seulement pour « cause réelle et sérieuse », mais également pour « faute grave » et même pour « faute lourde ». Eh bien non, nous dit le conseil des prud’hommes, la Société Générale aurait dû le garder dans ses effectifs. Et le laisser poursuivre son petit commerce délirant ?
Je fais partie de ceux qui considèrent que comme en Islande, la crise de 2008 aurait dû remplir de banquiers responsables de la catastrophe les divisions VIP des maisons d’arrêt et des centrales de notre pays. Les dirigeants de la Société générale comme les autres.
Un “héros” pas très discret
Mais ce n’est pas une raison pour dire et faire n’importe quoi, ni transformer un petit trader escroc en « working class hero ». Cette imposture est difficilement supportable.
Alors, que celui-ci et son avocat se défendent avec énergie, c’est normal et c’est juste. Ce n’est pas une raison pour que des journalistes et des hommes politiques continuent à répandre le mensonge et à nourrir l’imposture. Malheureusement, qu’il se soit trouvé aujourd’hui un Conseil des prud’hommes pour jouer à ce petit jeu est déplorable et c’est une mauvaise action. Les tenants de la disparition de cette juridiction paritaire utile, disparition qui permettrait de compléter le démantèlement du code du travail, vont se frotter les mains. Et les complotistes de tous poils vont pouvoir continuer à nourrir leurs fantasmes. Par charité on ne parlera pas des amis de Jean-Luc Mélenchon.
Il y a pourtant bien un combat à mener contre les banques et leurs affidés. Le gouvernement socialiste a réussi à vider la nouvelle loi bancaire de toute substance, à l’encontre même du rapport de Michel Barnier pourtant difficilement qualifiable de gauchiste excité. La séparation des activités de dépôt et d’investissement est urgente et impérative. Mais il n’est nul besoin de brandir un faux héros comme étendard, au contraire.
Ce nouvel épisode fait également apparaître un phénomène inquiétant. La justice est une des fonctions régaliennes de l’État, et le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne va pas très bien. Le caractère calamiteux du passage de Christiane Taubira place Vendôme, relevé par son successeur, a laissé l’appareil judiciaire à l’abandon, voire à certains endroits en état de clochardisation avancée. Par ailleurs, il y a eu l’instrumentalisation de la justice pénale à des fins partisanes dans une chasse au Sarkozy, mais aussi aux syndicalistes comme l’ont montré les affaires Goodyear et Air France. Tout cela a laissé des traces. Dont la plus sérieuse est une perte de crédibilité voire de légitimité des institutions judiciaires.
Le bras d’honneur que vient d’adresser le conseil des prud’hommes de Paris à la hiérarchie judiciaire est, de ce point de vue, un symptôme inquiétant.
Cela ne change rien au fond de ce (bienvenu) billet, mais il me semble que J Kerviel n’a pas été condamné pour escroquerie, mais pour « faux, usage de faux, abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système informatique ».
Bonjour, vous mentionnez la décision sans citer la source. La voici : https://www.doctrine.fr/CPH/Paris/2016/DE201606071
Pouvez-vous y faire un lien svp ? 🙂
je pense au contraire que cela change beaucoup de chose , si on se soucie du droit on n’accuse pas quelqu’un d’un délit qu’il n’a pas commis , pas condamnné pour escroquerie donc pas un escroc n’en déplaise à l’auteur du billet.
http://www.vududroit.com/2016/06/kerviel-les-prudhommes-et-le-bras-dhonneur-a-letat-de-droit/
Votre article est comme toujours très bien écrit, mais malheureusement c’est un tissu de contre vérités. Pas très surprenant puisque vous admettez n’avoir pas lu le jugement !
Lisez-le donc et nous pourrons croiser le fer point par point, sauf bien sûr si la lecture du jugement devait vous convaincre d’aller à Canossa.
Allez, un peu de lecture.
http://www.vududroit.com/2016/06/kerviel-les-prudhommes-et-le-bras-dhonneur-a-letat-de-droit/
Il me semble que les prud’hommes ont appliqué le droit : la prescription pour le licenciement pour faute est de deux mois après découverte des faits. Ils ont estimé que la SG ne pouvait ignorer les faits après 2005. Et donc le virer en 2008 est abusif.
Ceci ne remet en rien la culpabilité de Kerviel en cause. Ça dit juste que la SG est fautive d’un licenciement en dehors des clous.
Sans préciser à quelle date la faute a été commise? Ce qui permet justement de calculer le délai de prescription. Hourra pois les guignols.
Allez un peu de lecture
http://www.vududroit.com/2016/06/kerviel-les-prudhommes-et-le-bras-dhonneur-a-letat-de-droit/
Suis tout à fait d’accord avec vous. Mais alors une seule conclusion s’impose: à bas ce code du travail délirant qui donne tant de pouvoir à des clowns de l’acabit de ce Hugues Cambournac, Président du Conseil des Prud’hommes de Paris en cette matière et responsable de cette pantalonade.
Félicitations, arriver à écrire autant de bêtises en si peu de mots, c’est un record. Monsieur Hugues Cambournac n’est pas et n’a jamais été président du Conseil de Prud’hommes de Paris. Il était simplement président de l’audience qui a jugé l’affaire Kerviel contre la Société Générale. Mais il avait trois assesseurs, un employeur et deux salariés. Le jugement qui vous défrise tant est donc une décision collégiale. Vous proposez par ailleurs de supprimer le code du travail ! C’est sans doute un projet intéressant, mais quand on voit le remue-ménage que provoque depuis des mois la proposition de simplement modifier trois ou quatre articles, je vous laisse imaginer ce qui se passerait si l’on vous écoutait !
La Société Générale a fait appel du jugement qui vous révulse. Vous risquez d’avoir une jaunisse dans quelques mois lorsque la chambre sociale de la Cour d’appel de Paris confirmera la décision des prud’hommes comme elle le fait dans plus de 80% des jugements des « clowns » du Conseil de Prud’hommes de Paris.
L’article va un peu vite en besogne.
– Écrire « je n’ai pas le détail de la décision, mais n’importe quel juriste la trouvera ahurissante »… Comment pouvez-vous écrire qu’une décision est « ahurissante » sur le plan juridique si vous ne l’avez pas lue ?
– Le CPH de Paris n’a nullement estimé que le comportement de Kerviel ne devait pas susciter de sanction. Le licenciement a été jugé dénué de cause réelle et sérieuse car il est établi que la banque avait connaissance de plusieurs dépassements de Kerviel depuis 2005, et qu’en décidant finalement de sanctionner le salarié à partir de janvier 2008 en engageant les poursuites disciplinaires, elle était prescrite à le faire (délai de prescription de 2 mois à partir de la date de connaissance des faits litigieux par l’employeur). Je trouve personnellement cette décision critiquable car le raisonnement à partir de L.1332-4 est un peu tiré par les cheveux, mais en aucun cas la juridiction n’a estimé les faits non fautifs comme vous le sous-entendez tout au long de votre billet.
– Si effectivement le pénal a autorité de la chose jugée sur le civil, le CPH a choisi de ne pas remettre en question la qualification des faits (il ne pouvait pas le faire, bien entendu), mais de se placer au jour de l’envoi de la lettre de licenciement pour « apprécier la régularité de la procédure » (ça ne servait à rien de le préciser et ça induit en erreur sur le raisonnement, mais c’est valable juridiquement).
– Les 450K euros d’indemnités ne sont pas à mettre sur le compte du licenciement SCRS. Dans le dispositif de la décision, on note 20K de frais « inévitables » (indemnité compensatrice de préavis, de congés payés), 13K d’indemnité conventionnelle.
100K euros sont attribués au titre de l’indemnité pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
Les 300K qui restent… sont relatifs à un bonus dû et non perçu. Rien à voir avec le litige au principal.
Voilà. C’est quand même mieux de commenter une décision qu’on a lue.