Le 1er juillet 1916 débutait la bataille de la Somme, la plus meurtrière de la première guerre mondiale. Voulue jusqu’à l’obsession par Joffre, qui en 1915 avait sacrifié 300 000 hommes à des offensives inutiles, qualifiées par lui de « grignotage »… Désireux de réaliser enfin la fameuse « percée », il avait décidé de faire porter l’effort dans la Somme. C’est la raison pour laquelle il ne prit pas au sérieux les alarmes annonçant l’offensive allemande sur Verdun. L’armée française ne pouvant mener seule les deux batailles, le principal effort sur la Somme prévu en juillet fut demandé aux Britanniques. Comme Verdun pour les Français, cette bataille est marquée au fer rouge dans leur mémoire. Un certain nombre de cérémonies commémoratives sont prévues, en présence fort heureusement de François Hollande, qui est revenu sur sa décision d’en être absent, et qui nous évite ainsi une nouvelle humiliation. On peut faire confiance à nos amis britanniques qui savent ce que dignité et solennité veulent dire, pour ridiculiser encore un peu plus le spectacle donné à Verdun le 29 mai dernier.
On sait aujourd’hui l’abominable bilan de cette première journée d’offensive qui vit 30 000 hommes, dont 15 000 tués, mis hors de combat dans les 6 premières minutes de l’assaut. On sait toutes les erreurs et toutes les illusions du haut commandement sur la possibilité de la percée. Les ordres absurdes de partir à l’assaut en marchant et en rangs serrés pour éviter de « désorganiser les lignes », de l’incroyable abnégation de cette fleur de l’âge britannique pour essayer d’aider la France à reconquérir son propre territoire.
Il serait d’ailleurs élégant de se rappeler le sacrifice de tous ceux qui, comme le lieutenant John Kipling fils unique de Rudyard Kipling, tué le 27 septembre 1916, ne deviendront jamais des hommes.
Cela nous aurait peut-être évité le spectacle de ce torrent d’injures déversé sur ce peuple ami, par BHL, Koenig et consorts, pour n’avoir pas fait le choix qui les arrangeait au référendum sur le brexit.
Le chef d’œuvre de Joe Sacco
J’invite ceux qui ne l’ont pas déjà fait d’acquérir l’extraordinaire fresque de Joe Sacco qui raconte le premier jour de la bataille. Joe Sacco a inventé un métier, celui de grand reporter dessinateur. Il nous a déjà offert de nombreux ouvrages, bandes dessinées de reportages sur la Palestine les guerres des Balkans, provoquant à chaque fois des émotions saisissantes.
Inspiré par la tapisserie de Bayeux, il déroule une fresque de près de 7 m de long qui rassemble dans le même mouvement tous les événements de ce jour-là vus du côté britannique. L’utilisation d’un angle surélevé permet une profondeur de champ qu’il utilise avec minutie et précision. Tout y est, mais l’utilisation de la « ligne claire » et du grisé (dont il est un maître) donne à l’ensemble, à cette globalité, un caractère presque naïf. Qui n’atténue pas l’horreur mais évite la complaisance et réintroduit curieusement une part d’humanité dans le carnage. Ce que Tardi autre immense dessinateur, n’a jamais fait, soucieux d’en montrer au contraire la totale déshumanisation.
On trouvera ici un petit dossier assez complet réalisé par Slate où Sacco s’explique.
Les amateurs de bandes dessinées trouveront dans cet ouvrage un incontestable sommet de leur cher neuvième art. Les autres y verront un chef-d’œuvre.