Le résultat du référendum britannique a provoqué dans les médias institutionnels français une crise d’hystérie quand même assez effarante. La presse dans tous ses supports majeurs s’est livrée à une propagande à la fois puérile et très violente.
Un homme, une voix
Il sera peut-être intéressant dans quelques années de se repasser cette petite séquence. Pour y retrouver, d’abord la surprenante panique qui a saisi tous les faiseurs d’opinion face à un événement pourtant si prévisible. Ensuite une haine de classe déjà visible depuis plusieurs semaines avec la diabolisation de la mobilisation populaire et syndicale s’opposant à la loi travail, mais qui a pris à cette occasion des proportions nettement xenophobes. Et enfin et cette fois-ci de façon complètement décomplexée, l’aversion pour la démocratie et ses principes. Il serait fastidieux de revenir en détail sur ce que tout le monde a pu voir et entendre, mais arrêtons-nous cependant sur quelques énormités qui en disent long. Ce sont Minc et Macron se moquant du niveau intellectuel de ceux qui ont voté pour le leave, c’est Jacques Attali demandant la sanctuarisation d’un certain nombre de choses pour les faire échapper à la délibération publique. Comme des études réalisées sur un coin de table disent que ce sont les plus âgés et les plus pauvres qui ont choisi le brexit, il faut pour François Fillon donner deux voix par personne aux moins de 30 ans (!) pour d’autres faire passer un examen aux gens issus des couches populaires, pour obtenir un permis de voter. Oubliés les quelques principes de base de la démocratie : un homme une voix, ma voix vaut ta voix, et ce qu’a fait une majorité, une autre peut le défaire. Pour nos belles âmes diplômées, la démocratie c’est la dictature des imbéciles.
Alors, les optimistes vont me dire que ces vieilles rengaines sont des excès de langage, proférés sous le coup de l’émotion, par des gens qui normalement ont un saint respect pour la démocratie et les libertés publiques. C’est malheureusement plus grave et l’actualité vient de nous offrir une jolie illustration de cette absence de culture démocratique réelle. Il s’agit de l’annulation du deuxième tour des élections présidentielles autrichiennes.
Avant de revenir sur quelques détails du scrutin ou à l’évidence le diable s’est logé, je dois étayer mon propos en expliquant « d’où je parle » comme on dit aujourd’hui. M’étant permis quelques ricanements sur les réseaux à propos de cette annulation, j’ai immédiatement été rattrapé par la patrouille des vigilants qui ont expliqué que mon ironie ne pouvait être que celle d’un rouge-brun, sous-marin du FN puisque parlant de fraude je disais la même chose que Gilbert Collard.
Il se trouve que le droit électoral a toujours fait partie de mon activité professionnelle. Mes collaborateurs et moi avons écrit quatre livres sur le sujet, d’innombrables articles, traité plus de 200 contentieux y compris au pénal. Très immodestement, je crois savoir de quoi je parle.
Fraude massive en Autriche
Les électeurs autrichiens étaient donc appelés aux urnes pour élire au suffrage universel leur président dont les pouvoirs exécutifs sont à mi-chemin entre ceux de René Coty et de Charles De Gaulle. Le premier tour avait vu la déroute des candidats des partis traditionnels et la percée de celui du parti d’extrême droite FPÖ, suivi à 14 points du candidat écologiste. Ces deux-là allaient donc s’affronter au deuxième tour. Voici les résultats communiqués par le ministère autrichien de l’intérieur concernant la participation.
1er tour | 2ème tour | Variation | Variation en pourcentage | |
Votes à l’isoloir | 3744396 | 3731832 | -12564 | -0,34% |
Votes par correspondance | 534774 | 746110 | +211336 | +28,33% |
Total exprimés | 4279170 | 4477942 | 198772 | +4,44% |
Pourcentage des votes par correspondance | 12,5% | 16,7% |
Les votes dans l’urne après passage dans l’isoloir sont dépouillés après la clôture du vote. Au deuxième tour et avant le dépouillement des votes par correspondance, l’avance de Hofer le candidat d’extrême droite était d’un peu plus de 144 000 voix soit 3,8 % (51,9 % et 48,1 %). Mais surprise, grâce aux votes par correspondance, où le concurrent écologiste lui met pas loin de 180 000 voix dans la vue, il repasse derrière pour 30 000 voix. Van der Bellen l’emporte alors avec 50,3% contre 49,7% à Hofer.
Premières observations, le vote à l’isoloir a un peu reculé entre les deux tours, et les votes par correspondance ont fait un bond de près de 30 %. Il Première question, que veut dire cette brutale et considérable augmentation des votes par correspondance entre les deux tours ? La deuxième concerne le résultat : sur cette catégorie d’électeurs, Van der Bellen réalise un spectaculaire 60%/40%. Plusieurs bizarreries sautent aux yeux, mais en particulier ce dernier chiffre qui n’est pas soutenable. Que les votes par correspondance puissent être plus favorables au candidat écologiste pourquoi pas, mais un écart de 20 points dans un pays coupé en deux parts à peu près égales, c’est statistiquement impossible.
Les médias français tellement soulagés mais quand même gênés aux entournures ont trouvé la même explication que pour le référendum britannique : les « jeunes diplômés » se sont mobilisés pour le camp du bien. Le problème est que l’explication est aussi fausse que pour le brexit où l’on a constaté que les jeunes s’étaient abstenus. Pour l’élection autrichienne on sait que les jeunes ont voté à l’isoloir où la participation a d’ailleurs un peu reculé. Alors, qui sont ces gens qui votent par correspondance ? Deux catégories de citoyens autrichiens, les expatriés et les résidents des maisons de retraite à qui cela évite de se déplacer. Et il apparaît que c’est de là que provient le bond en avant des demandes de vote par correspondance entre les deux tours. Ce sont donc les personnes âgées dont la mobilisation pour « l’éco socialisme » est quand même sujette à caution, qui auraient fait exactement le contraire de leurs homologues britanniques ? Ce que l’on peut dire à ce stade c’est que les résidents des maisons de retraite sont les plus vulnérables et que cette affaire commence à dégager un parfum franchement désagréable. Ce n’est hélas pas fini.
Nous venons d’apprendre, coup de tonnerre dans un ciel serein que la Cour Constitutionnelle autrichienne venait d’annuler le deuxième tour des élections présidentielles. Pour le mainstream, c’est une catastrophe qui se produit en plein barrage d’artillerie contre les eurosceptiques. Alors tout le monde sur le pont pour colmater, parce que quand même ça la fout mal. La presse française reprenant la dépêche AFP se précipite pour affirmer qu’il n’y a pas eu de fraude : «Ni fraude ni manipulation du scrutin du 22 mai n’ont été diagnostiquées par les juges de la plus haute juridiction du pays, mais une accumulation de négligences dans le dépouillement des urnes et des votes par correspondance qui entachent la validité du résultat. L’enquête et les auditions de la Cour ont permis de confirmer que plusieurs dizaines de milliers de bulletins provenant du vote par correspondance avaient été dépouillés de façon irrégulière, soit en dehors des heures légales, soit par des personnes non habilitées, une pratique jusque-là largement tolérée. »
Alors comme ça, des personnes qui n’ont rien à y faire pénètrent dans les bureaux où sont entassés les votes par correspondance et commencent à les dépouiller hors de tout contrôle, et ce en dehors des heures prévues par la loi pour le faire. La nuit par exemple ? Ah mais, jusqu’à présent nous dit le journal, c’était « largement toléré ». Affirmation purement gratuite qu’il faut bien sûr prendre pour argent comptant. Tous les praticiens du contentieux électoral ont senti leurs cheveux se dresser sur la tête ! S’il y a bien un droit formaliste, car permettant l’expression régulière de la souveraineté populaire c’est bien le droit électoral. Et c’est pour cela que l’on voit se multiplier les missions internationales de contrôle pour garantir la sincérité des scrutins. Quant au dernier argument avancé pour tenter de sauver les meubles, il ne vaut rien non plus. « La Cour Constitutionnelle n’a pas constaté de fraudes seulement des irrégularités ». Pardi elle n’en a pas constaté parce qu’elle n’en a pas cherché! Utilisant la technique judiciaire dite de « l’économie de moyens », dès lors qu’elle a constaté des irrégularités formelles de nature à « altérer la sincérité du scrutin » compte tenu du très faible écart, elle pouvait et devait annuler sans aller plus loin. La situation était déjà assez tendue et il était inutile d’ouvrir la boîte de Pandore.
Traiter les effets plutôt que les causes. En trichant
Eh bien, désolé mais pour tout observateur de bonne foi, la seule explication de l’énorme augmentation des votes par correspondance entre les deux tours et les 20 points d’écart entre les deux candidats sur ces votes, c’est la fraude. Le camp du bien a donc bourré des urnes !
La morale de cette affaire immorale est que dans un pays appartenant à l’UE, on n’a pas hésité à porter gravement atteinte à la démocratie dans une élection majeure. Pour empêcher l’arrivée au pouvoir d’un candidat soutenu par la partie populaire de l’électorat. Et en France, non seulement cela n’a gêné à peu près personne, mais tout le monde a considéré en masquant la vérité que la fin justifiait les moyens. Cela me désole que le vote FN soit un vote ouvrier, mais ce n’est pas avec ce genre de méthodes que cela risque de changer, au contraire. Les pansements sur une jambe de bois, cela n’a jamais marché.
Point de vue intéressant, cependant je tiens juste à signaler qu’il n’y a pas que des expatriés ou des gens en maison de retraite qui votent par correspondance…
Mais également beaucoup d’étudiants qui vont faire des études supérieures (il n’y a pas tant d’universités que ça en Autriche hormis dans les plus grandes villes) et les étudiants ne rentrent pas forcément chez eux pour voter.
Cela n’explique peut-être pas forcément l’augmentation de 20% (ou bien à cause d’une prise de conscience face aux résultats du premier tour) mais cela explique que les votes par correspondance ont été défavorables au candidat du FPÖ et cela a toujours le cas.
Cordialement
Quoi de plus facile que de détourner le vote par correspondance d’un étudiant…
Maître,
Vous évoquez « quelques détails du scrutin ou à l’évidence le diable s’est logé », en précisant :
» le droit électoral a toujours fait partie de mon activité professionnelle ».
Juriste d’occasion, mais avec au moins un beau succès qui me vaut d’être régulièrement cité pour avoir obtenu une décision du Conseil d’Etat qui fait jurisprudence, je me permets de venir ici au sujet de ce » droit formaliste, car permettant l’expression régulière de la souveraineté populaire » le droit électoral, pour lequel j’avais en son temps estimé que le referendum de 2005 était frappé de nullité sans que cela, à l’époque n’émeuve personne. Il est vrai que de toute façon cela n’intéresse plus personne puisque ce qu’a fait ce referendum, dont le « NON » a été obtenu par l’absence dans le texte soumis au verdict populaire d’une précision essentielle qui figure bien dans l’original signé, a été annulé dans le palais d’or de Versailles par notre bon roi Nicolas qui y avait régulièrement convoqué le ban et l’arrière ban de tous les ultra-européanistes pour pouvoir faire admettre sans referendum 2 des Etats candidats (admis définitivement en 2007), voire plus si affinités.
Pour être plus précis le texte original signé comporte page 426, juste après la signature de Tony Blair, un petit texte rédigé dans toutes les langues européennes pour dire que « Ont également signé le présent acte final, en leur qualité d’États candidats à l’adhésion de l’Union européenne, observateurs auprès de la Conférence »
et suivent les signatures des trois pays qui à l’époque étaient candidats, à savoir: Bulgarie, Roumanie et Turquie.
Or le texte présenté au référendum page 165, religieusement conservé dans les archives du Conseil Constitutionnel, ne fait pas mention de cette précision, faussant complètement l’appréciation que les électeurs pouvaient avoir de la candidature de la Turquie dont les français ne veulent pas.
Quel est ce diable qui a pu ainsi faire sauter cette phrase? Je pencherai pour le syndicat de l’Imprimerie Nationale qui y était opposé, sans doute seul capable d’utiliser une telle méthode au dernier moment, mais penser que personne ne s’en est aperçu me donne froid dans le dos.
Qu’en pensez-vous?
Cet article est très convaincant, mais comment expliquer que le principal intéressé (Hofer) soit beaucoup plus prudent dans ses conclusions?
L’extrême droite a joué sur deux tableaux. Hofer n’a pas voulu envenimer, ce n’était pas son intérêt, dès lors qu’il était à peu près assuré de l’annulation. Le côté « grand seigneur » qui ne veut pas cliver, et qui n’est pas revanchard est de nature à rassurer pour la prochaine fois.
En tout cas c’est comme cela que je vois les choses.