Lorsque tôt le matin du 6 décembre, j’ai appris la disparition de Johnny Hallyday, je me suis fendu d’un petit texte posté sur les réseaux :
«Quand partent les seigneurs. Johnny Hallyday, immense héros populaire vient de nous quitter. Je n’ai jamais été Johnniste au sens artistique. Sa musique me parlait peu, la résonance un peu mystérieuse qui lie l’artiste à son public était absente. Mais total respect et admiration pour celui qui a assumé ce statut étonnant. Et du chagrin aussi pour cette part du peuple français qui s’en va. Il y a juste trente ans disparaissait un des occupants de mon panthéon personnel, mon cher Jacques Anquetil. Je me souviendrai toujours de ce dîner avec un de ses anciens coéquipiers qui répondit au journaliste qui, ne parlant que de dopage, faisait la moue. « Tu pourrais la recommencer dix fois ta pauvre vie, tu ne vivrais jamais le centième de ce que cet homme a vécu. » Épitaphe sévère, applicable à Johnny, et adressée à ceux qui prendront des pincettes. »
Ce terme de « héros » qui fait hurler les petits-bourgeois
Et puis, prévoyant un bouillonnement médiatique un peu indigeste à l’initiative des marchands, des démagogues et de quelques moralistes, j’ai décidé de fermer les écoutilles et de me recoucher.
Mauvaise pioche ! Quelques heures plus tard, le bouillonnement était devenu tsunami, et la disparition du chanteur agissait comme un formidable révélateur du fonctionnement de la société française en 2017. Que les démagogues et les marchands fussent à l’affût était chose normale, mais l’explosion de rage des moralistes, délaissant les pincettes et utilisant la hache et le canon lourd, m’a surpris. Je n’aurais pas dû l’être.
Le phénomène Hallyday a fait l’objet depuis longtemps d’analyses forts savantes, et souvent pertinentes. L’intensité et le caractère massif de l’engouement suscité me surprenait, surtout quand il concernait, parfois avec des formes enfantines, des amis proches. Je regrettais de ne pouvoir la partager, car cela m’ennuyait de ne pas être de cette « passion française », même s’il me semblait comprendre complètement ce qu’elle racontait. Le terme de héros a fait hurler les petits-bourgeois qui, oubliant l’adjectif « populaire », se sont lancés dans des comparaisons méprisantes. Bien aidés d’ailleurs par le cadeau royal d’une certaine Aurore Bergé, députée LREM, jamais en retard d’une niaiserie, qui nous a annoncé que les obsèques de Johnny Hallyday seraient à l’égal de celles de Victor Hugo au XIXe siècle !
Ce drôle de peuple qui reconnaît l’un des siens
Charles Péguy nous avait donné une définition du héros : « Celui qui est désigné doit marcher. Celui qui est appelé doit répondre. C’est la loi, c’est la règle, c’est le niveau des vies héroïques. » Ornée de l’adjectif « populaire », elle me semble correspondre à ce que fut l’engagement de Johnny Hallyday qui n’a jamais manqué à ceux qui l’aimaient et qui a respecté sa parole quand il a dit que sa carrière s’arrêterait le jour de sa mort. L’interview, le premier jour, de cette femme en pleurs disait tout : « il a toujours été là. Il a accompagné les beaux moments, il en a fait de beaux souvenirs ». On pense immédiatement au fabuleux slow-collé de « Retiens la nuit », vecteur des premiers émois, des premières idylles. Et elle poursuit : « il était là aussi dans les moments compliqués de la vie, atténuant les émotions tristes ». Proust nous a expliqué comment nos sens nous faisaient ressentir les émotions et comment nous en faisions des sentiments. Sur cette capacité de l’artiste à faire ressentir une émotion à chacun de ceux qui le reçoivent repose, on le sait, la création. Alain Souchon que je n’ai jamais personnellement rencontré a pourtant composé une chanson pour moi, et moi seul. Comment imaginer qu’il ait pu écrire Le dégoût sans me connaître intimement :
« Petit enfant, pas bonne mine, qui rit et pleure et, cuisine,
Tout le monde après lui. Qu’est-ce qu’y va nous faire ?
Docteur, avocat d’affaires quand il aura fini d’être un petit enfant tout petit?… »
Le problème, c’est que lors d’un concert au Zénith, il a commencé son tour de chant avec ce morceau. Et je me suis aperçu que je n’étais pas tout seul, nous étions 7000 « petits enfants pas bonne mine » dans la salle. Pour en être ravi, car ils étaient mes frères et sœurs à cet instant, et je partageais avec eux ce qui finalement lie le plus l’artiste à son public : la gratitude. Et quand on est nombreux à l’exprimer, c’est mieux.
Johnny Hallyday, le peuple français l’aimait et lui était reconnaissant d’être fidèle à ce qu’il était et de faire ce qu’il devait.
Ces couches moyennes qui font la morale
Alors, nous sommes encore dans une société de la marchandise et normalement les marchands vont faire leur beurre, et le Père Noël, s’il a été prévoyant, va pouvoir déstocker. Les démagogues en ont fait des tonnes, comment être surpris ? Emmanuel Macron, avec son message, a montré qu’il était malin, et nous a signifié qu’il n’allait pas se priver d’un peu d’unité nationale.
Et puis il y a les moralistes, toujours les mêmes, ces petits-bourgeois qui se prennent pour l’élite, et crachent sur le peuple parce qu’ils en ont peur. Il a fallu supporter leurs aigreurs, leurs insultes, leurs leçons de morale, porteuses de mépris, persuadés qu’ils sont, que le monde est comme ils le voient quand ils ouvrent leurs fenêtres. Ils se veulent arbitres de la culture et du bon goût, alors que leurs choix n’expriment en général que la volonté de signifier une appartenance qui les distinguerait du peuple français qu’ils détestent.
Ils en font pourtant partie, mais en incarnent la figure la plus déplaisante. Je les ai toujours connus confits de suffisance, toisant le populo, tournant ses goûts et ses élans en dérision. Prudemment d’ailleurs, quand la France avait la chance d’avoir un Parti communiste puissant. Ils détestaient le cinéma français et encensaient celui de « la nouvelle vague », de petits-bourgeois pour les petits-bourgeois. Et dont il ne reste rien, alors que les films tournés par Georges Lautner, ou Verneuil et dialogués par Michel Audiard sont devenus cultes. Lazzis et quolibets accompagnaient Gabin, Ventura, et Blier. Et surtout Louis de Funès, formidable génie comique qui présentait le terrible défaut d’être populaire. Je me rappelle encore le florilège de leurs commentaires qui accompagna sa disparition.
Alors pour cette boussole qui indique le sud avec constance, imaginez la détestation de Johnny Hallyday. Lui qui cochait toutes les cases, à commencer par celle d’être aimé par le peuple, avec son immense talent, sa simplicité, sans oublier ses faiblesses : femmes, alcool, tabac, exil fiscal, celles pour lesquelles les Français sont toujours assez indulgents.
On répondra en saluant la révérence que Johnny Hallyday vient de tirer : « merci Monsieur, pour cette belle vie ».
Excellent. D’une très grande finesse, et justesse. Merci…
La « nouvelle vague » rien de bien ? Truffault, Rohmer, nuls ?
Le mépris du petit bourgeois pour le peuple n’a d’égal que le votre pour le petit bourgeois !
Vous faites quasiment la démonstration que le peuple français n’existe pas. Il n’est que des catégories qui se méprisent, se tournent le dos, ne se comprennent pas, ne partagent rien, n’ont rien en commun, ou si peu finalement.
Tel que vous le décrivez, le petit bourgeois semble exclu de l’appartenance au peuple français faute de ne pas sombrer dans l’idolâtrie due au chanteur. Et d’oser le dire !
Enfin, je n’avais pas perçu qu’il était si mal de ne pas aimer Johnny, de le dire et que considérer que le percevoir comme un héros paraisse un rien exagéré, soit à ce point chargé de tares morales, sociales, éthiques et philosophiques.
Il y a loin entre le héros Jean Moulin revenu en France pour combattre et le chanteur Jean-Philippe Smet qui la fuyait pour ne pas payer l’impôt. Le premier s’est engagé et en est mort, le second faisait juste très bien son métier de chanteur et les gens mettaient ses disques sur la platine dans les moments gais et les moments tristes. Est-ce là l’engagement dont parlait Péguy ?
Pour ma part, je n’aimais pas Johnny et moins encore le tapage et les panégyriques que déclenche son trépas. Mais j’aime Audiard, Ventura et Gabin. Brassens et Ice Cube, Mozart et Lavillier.
Peut-être suis-je encore sauvable ?
Non.
un peu chafouin quand même, hein ?
Superbe.
Écoutez donc les paroles de cette chanson « requiem pour un fou » qui devrait plutôt être titrée « hymne au féminicide » . La voix est belle, la musique attirante et les paroles sordides. Les Storm telling ne disent pas tout
Bonsoir. Pour ma part rien ne me dérange dans le parcours de Johnny que je trouve très comparable à celui de Piaf. Je ne développe pas ici. Une chose pourtant m’embarrasse. Il se présente comme un rockeur. Or le rock dans sa plus belle énergie incarne la rébellion. En quoi Johnny est-il un rebelle ? Moto américaine, service militaire, dope, jolies pépés, fric à gogo, exil fiscal, Saint-Barth’…. Très conforme tout cela. Suffisamment pour être revendiqué par trois présidents (ou ex) très normés et complètement dans le système. Johnny, une énergie indéniable, un talent certain pour s’entourer de celui des autres, peut-être même un gentil garçon, mais figure hiératique , symbole national, parole importante ? Non. Bonne soirée
Idole ou idole ?
L’idole des jeunes est morte et ses funérailles sont celles d’une véritable idole. Sa vie fut un sacrifice. Ses adorateurs sont, au sens propre, des idolâtres.
Il le disait dans la chanson :
« Les gens m’appellent l’idole des jeunes »
« Le temps s’en va, le temps m’entraîne, je ne fais que passer »
« Dans la nuit je file tout seul de ville en ville »
« Je ne suis qu’une pierre qui roule toujours »
Il ne s’appartenait pas. Il a joué le personnage qu’ils attendaient qu’il joue. Adoré, il a été la victime de ses adorateurs. Victime consentante mais victime quand même. Ils sont venus communier autour de sa dépouille, par centaines de milliers, de la France entière, poussés par un même besoin irrépressible, encouragés par les pouvoirs publics, pour communier dans la même émotion, pour partager la chaleur communicative d’un même chagrin, pour trouver ensemble l’apaisement, comme jadis, comme toujours, l’apaisement de la foule unanime rassemblée autour de la pierre du sacrifice…
Et nous nous disons rationnels et raisonnables…
Félicitations pour cet article remarquable. De l’étranger je vous salue
Denis Monod Broca : Oui, enfin Johnny s’est surtout immolé à la gitane sans filtre, au mojito et à la coke… Le sacrifice expiatoire sur l’autel du sacrifice , c’est bon ! Johnny a été ce qu’il voulait être, une star embarquée dans une course sans fin à la reconnaissance et à l’argent. L’étoile brillera t-elle éternellement dans la nuit ? (Qui écoute Piaf aujourd’hui ?) Nos arrières petits enfants nous le ferons savoir dans l’au delà…
Il a eu la vie qu’il voulait ? qu’en savez-vous ? Il a, comme vous dites, été embarqué dans une course sans fin.
Ce que j’ai tenté de décrire, ce n’est pas le comportement de Johnny, c’est celui de la foule, c’est le besoin de la foule d’une idole à adorer. Parole de fan le jour des funérailles : « pour nous il était un dieu ».
« Qui a tué Davy Moore ? » : c’est toujours la même histoire, le public n’a pas conscience de sa propre responsabilité.
Mazette.
Votre analyse du cinéma français, on dirait Pif parlant de l’accumulation du capital dans l’oeuvre de Karl Marx. Beaucoup d’approximations et peu de rigueur.
Que sont les écoles de formation au marxisme devenues ?
Concernant Johnny, son public ne connaît pas la lutte des classes. On y trouve des ouvriers, des chômeurs, des cadres, et même des rentiers. Ce qui les distingue des autres, c’est tout simplement leur âge. Ils ont en général dépassé 40 ans, pour de strictes raisons de génération.