Interview donnée au Figarovox
- Par Paul Sugy
- Publié le 05/10/2018 à 11:54
FIGAROVOX/ENTRETIEN – Un an après les révélations de l’affaire Weinstein et le début du phénomène #MeToo, l’avocat Régis de Castelnau s’inquiète des dérives de ce mouvement de dénonciations spontanées sur les réseaux sociaux.
Régis de Castelnau est avocat. Il éclaire l’actualité d’un regard juridique sur son blog «Vu du droit».
FIGAROVOX.- Il y a un an, l’affaire Weinstein éclatait au grand jour dans les colonnes du New York Times. Comme avocat, quel regard portez-vous sur ce mouvement qui a connu un retentissement mondial?
Régis de CASTELNAU.- Ce qui m’est apparu immédiatement curieux, c’est que le scandale venait d’un milieu connu pour ses rapports très particuliers au sexe et à l’argent. Voire à la politique, lorsque l’on sait que Weinstein était un des acteurs majeurs des liens étroits qui existent entre Hollywood et le parti démocrate américain. L’hypocrisie était générale, chacun faisant semblant de s’apercevoir brutalement des penchants du «prédateur» pour aussitôt se joindre à la meute qui déchiquetait le potentat qui venait de chuter. Le plus déplaisant était l’attitude du couple Obama s’essuyant les pieds sur lui, et faisant mine de découvrir ses turpitudes alors qu’une de leurs filles avait été en stage chez Weinstein, l’ancien président étant probablement y compris sur ce sujet l’homme le mieux informé des États-Unis. Donc cela ressemblait à un règlement de comptes dont les mécanismes profonds nous échappaient. Et face au déchaînement contre le producteur, le premier réflexe d’un avocat est de se situer sur le plan juridique en essayant d’imaginer les conséquences judiciaires du scandale. Le fait que cela devienne un scandale planétaire, le précédent DSK, permettait de ne pas en être trop surpris.
En revanche ce que l’on a appelé «la libération de la parole» et avec elle le rapide dépassement du cas Weinstein, l’élargissement au «harcèlement sexuel» en général, le caractère furieux des débats et l’importation en France des méthodes de dénonciations nominatives, ne pouvait susciter que l’inquiétude. La violence de la réaction révélait l’importance de la question, et en particulier ce qui relevait du vécu de millions de femmes. Dans cette ambiance rapidement dégradée, et malgré l’importance incontestable du sujet, la porte s’ouvrait immédiatement à la démagogie et aux excès. Le débat était légitime, malheureusement, des courants féministes extrémistes relayés par des surenchères médiatiques ont installé une ambiance propice aux excès, aux dénonciations sans frein, aux amalgames inacceptables. L’état de droit en a pris un vrai coup. Ce qui relève de comportements pénalement répréhensibles doit être traité par la justice, en application de ses règles et les premières d’entre elles, c’est-à-dire la présomption d’innocence, la charge de la preuve, et le débat contradictoire. Nous en étions très loin, le lynchage médiatique étant la règle, ce qui dans un pays démocratique est toujours une défaite.
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En quoi est-il choquant qu’un sujet qui relève certes d’abord de la justice, soit médiatisé au point de devenir une question de société? Cela peut permettre aussi une prise de conscience, afin de faire bouger les lignes…
Bien sûr qu’il faut qu’il y ait une prise de conscience et le caractère explosif du débat autour des #Metoo et #Balancetonporc démontre la réalité du problème et l’existence de souffrances.
Mais il faut faire attention, tous les faits que l’on range dans la catégorie du «harcèlement sexuel» ne relèvent pas de l’application de la loi pénale. Les dispositifs prévus dans le Code civil relatifs aux violences qui peuvent exister, y compris verbales, étaient bien suffisants. Avant que l’on introduise cette notion de «harcèlement» qui pose des problèmes d’interprétation quasi insolubles et débouche sur des jurisprudences hétéroclites et parfois délirantes. Quand on pense que la Cour de cassation a trouvé intelligent de considérer que l’on pouvait harceler avec un seul acte! Les mots n’ont alors plus aucun sens. Et que dire de la ridicule contravention d’outrages sexistes de Marlène Shiappa, devant donner lieu à des amendes infligées par les policiers, et dont on sait qu’elle ne sera pas applicable? Tout ce qui est désagréable, tout ce qui importun, tout ce que l’on ne voudrait pas entendre, ne relève pas de l’application de la justice pénale.
La lutte contre le harcèlement sexuel doit être menée, mais en aucun cas en balançant par-dessus bord les principes qui nous protègent tous.
Il y a beaucoup de choses à faire dans les domaines de l’information, de l’éducation et de la culture. Parce qu’il faut être cohérent, et réserver à la justice les faits les plus graves, et qui pourront être établis. La justice ne peut donner que ce qu’elle a, c’est-à-dire établir une responsabilité pénale après une procédure contradictoire respectueuse des droits fondamentaux de la personne humaine. Comment peut-on accepter qu’au prétexte de lutter contre le harcèlement sexuel, Jacques Toubon, défenseur des droits, ait proposé un renversement de la charge de la preuve pénale dans ce domaine? On marche simplement sur la tête. La lutte contre le harcèlement sexuel doit être menée, mais en aucun cas en balançant par-dessus bord les principes qui nous protègent tous.
Beaucoup d’accusations ont été portées dans le cadre de cette campagne de dénonciation. Certains des «porcs» affichés ont perdu leur travail, beaucoup d’entre eux, leur réputation… certains ont porté plainte en retour pour diffamation. La justice est-elle capable, selon vous, d’examiner chaque affaire dans des conditions suffisamment sereines pour démêler la vérité des calomnies?
Il est évident qu’il y a eu des dégâts, et que certaines dénonciatrices ont pris des libertés avec le respect du droit, la morale et parfois la simple vérité. Il y a eu des morts, la plus triste étant celle de David Hamilton, vieillard solitaire de 83 ans poussé au suicide après les accusations de Flavie Flament, massivement relayée par la presse, prétendant s’être soudain rappelée 35 ans plus tard et après une pseudo-amnésie traumatique d’avoir été violée. Mais sans aller jusque-là, il y a eu aussi beaucoup de dénonciations fantaisistes, ou en tout cas impossibles à établir, de lynchages médiatiques consécutifs, de carrières professionnelles brisées, de familles affectées. Personne ne peut se satisfaire d’une telle situation.
Bien sûr, la justice aurait les moyens d’intervenir et de faire respecter le droit. Son rôle n’est pas de démêler la vérité des calomnies, mais d’établir dans le respect de ces règles une «vérité judiciaire». Mais encore faudrait-il qu’elle puisse intervenir sur la base de procédures sérieuses et non sur celle de propos inconsistants concernant des faits qui se seraient déroulés il y a près de 40 ans, comme c’est par exemple le cas dans l’affaire de la nomination par Trump du juge Kavanaugh!
En contrepartie, les procédures de diffamation sont difficiles à manier car elles obéissent à des règles complexes, sont très longues et n’apportent, soyons clairs, aucune réparation. La procédure pour «dénonciation calomnieuse» est, elle aussi, difficilement utilisable. Il faut d’abord attendre que la justice se prononce sur une plainte formulée par l’accusatrice. Si la personne accusée est mise hors de cause, elle pourra demander la condamnation de son accusatrice à la condition d’établir qu’au moment où celle-ci a formulé sa plainte elle la savait infondée. C’est quasiment impossible à obtenir.
Les personnes faussement accusées ne disposent pratiquement d’aucun recours pour rétablir leur honneur.
N’est-ce pas précisément le problème, cette décorrélation entre le temps médiatique, voire le temps des réseaux sociaux qui fonctionnent dans l’instantané, et le temps judiciaire?
Très précisément. La justice, et c’est heureux, prend son temps pour examiner les questions qui lui sont soumises et surtout pour le faire en respectant les principes du procès pénal et en particulier les droits de la défense. Ce sont des progrès de civilisation qu’il faut absolument préserver. Alors, peut-être faudrait-il imaginer des systèmes de responsabilité pour les médias. Tout ce qui a été envisagé et mis en place jusqu’à présent s’est révélé inutile. Malheur à celui qui tombe dans l’œil du cyclone et subit un lynchage médiatique.
Il y a eu aussi beaucoup de dénonciations fantaisistes, ou en tout cas impossibles à établir.
En somme, #MeToo a «bafoué l’État de droit»? N’était-ce pas un mal nécessaire, à en juger d’après l’ampleur du phénomène du harcèlement?
Je ne reproche pas au mouvement #Metoo d’avoir «bafoué l’état de droit», je m’interroge sur sa compatibilité avec celui-ci. S’il y avait à choisir entre la lutte contre le harcèlement sexuel et le respect des principes fondamentaux des libertés publiques, vous aurez compris que je choisis le second. Dans ce domaine, la fin ne justifie jamais les moyens. Mais heureusement le problème ne se pose pas comme ça, l’incendie déclenché l’année dernière me semble aujourd’hui circonscrit. Le féminisme victimaire furieux qui l’avait fait déboucher sur les dévoiements dont on vient de parler, est aujourd’hui plus discret, probablement victime de ses propres excès.
TF1 a diffusé un téléfilm en deux parties retraçant le destin de Jacqueline Sauvage, qui avait été condamnée pour le meurtre de son mari, coupable de violences conjugales répétées à son encontre. Selon vous, Jacqueline Sauvage devrait encore être en prison?
Je ne sais pas si Jacqueline Sauvage devrait être en prison, mais cela relevait à mon avis de la compétence du juge de l’application des peines. François Hollande, jamais en retard d’une manipulation et pour faire plaisir au petit milieu du showbiz qui le fascine, a accordé une grâce présidentielle à Jacqueline Sauvage. Et lui a permis de ne pas effectuer la peine fixée par deux Cours d’assises successives après des procédures dont jamais personne n’a contesté la régularité. Je ne veux aucun mal à Jacqueline Sauvage que je ne connais pas, mais sachant ce qu’est la prison je pense que, pour elle, il est mieux d’être dehors. En revanche ce que je trouve éminemment critiquable c’est l’instrumentalisation de cette affaire pour transformer cette personne en victime de violences conjugales pendant 50 ans et qui n’avait fait que se défendre. C’est simplement une imposture fondée sur un mensonge. Cette instrumentalisation a d’abord été le fait de ses défenseurs en appel qui ont adopté une stratégie de légitime défense absurde, ensuite d’associations féministes sans principes, et enfin de «stars» des plateaux qui ont vu là une occasion de se mettre en avant. Ce dévoiement est un mauvais coup porté à la cause incontestable de la lutte contre les violences conjugales.
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