Dans la vie, on est souvent accompagné par des chansons. Petits cailloux que les artistes laissent dans votre jardin. Plus tard, lorsqu’on les soulève, ils réaniment des émotions. Proust nous a dit pourquoi.
L’autre jour, petit tour sur Internet. Je suis tombé sur une photo où l’on voit un de jeunes fans de Dieudonné faire une très jolie quenelle devant le portrait d’Anne Frank. Le seul qui existe aujourd’hui, puisqu’on n’a pas eu le temps d’en faire d’autres… Je n’ai pas aimé du tout.
M’est revenue alors la chanson de Louis Chedid : « Anne ma sœur Anne, si tu voyais ce que je vois v’nir, c’est comme un cauchemar… ». Il exagérait, Louis ? Peut-être. 25 ans après, le Front National, certes ripoliné, est toujours présent. Fréquentable paraît-il. La diabolisation n’a servi à rien ? Certes, mais là, ce n’est pas la même chose. Voir se multiplier de tels gestes devant l’entrée d’Auschwitz, dans le monument consacré à l’Holocauste à Berlin, donner une nouvelle jeunesse au « complot juif », éventuellement baptisé pour la circonstance « complot sioniste », c’est quand même un peu embêtant, non ? Mais non, me disent mes bons camarades, le problème c’est Valls.
« Les quenelliers ne représentent pas autre chose qu’une jeunesse acculturée. Ils voteront la Marine, ils singeront des quenelles, voire se retrouveront islamistes en cité parce que “ça embête”. C’est le libéralisme libertaire qui les a créés, à force d’individualisme, de discours moralisateurs masquant des comportements de prédateurs. Quand tout est permis dans une société qui les oublie, on va chercher ce qui emmerde le plus l’ordre établi, ce qu’il a érigé en tabou suprême : la Shoah. Mais ce n’est pas grave », entend-on.
Ce n’est pas faux. Difficile de nier que la Shoah a été instrumentalisée. Qu’elle permet à beaucoup de justifier le comportement parfois injustifiable du gouvernement israélien. Qui fait que ceux qui disent à la jeunesse qu’il y a deux poids deux mesures ont beaucoup de chance d’être entendus. Et que cela a permis les discours présidentiels sur le Vel’ d’Hiv’, hérésies historiques et juridiques. René Cassin, qui était juif, avait tout dit, mais qui se souvient encore de René Cassin ? Elle assure au CRIF, organe communautariste, une invraisemblable autorité, qui voit quasiment l’ensemble du monde politique lui apporter tous les ans une allégeance flagorneuse complètement déplacée. Situation qui rendra recevable les revendications des associations noires, bouddhistes, tamoules, et la création prochaine du CRIB, Conseil Représentatif des Institutions Blanches…
Mais, stop, là il s’agit d’autre chose : d’antisémitisme négationniste. Avoir sorti Faurisson de l’oubli dans lequel il croupissait (ce ne fut pas un travail facile que de l’y envoyer), est quand même assez terrible. L’objectif est le même qu’il y a 30 trente . Effacer de la mémoire cet événement européen unique. Et quelque part, en dédouaner ceux qui en furent les abominables organisateurs.
« Mais Régis, tu dramatises, c’est de l’humour, si l’on s’attaque à l’humour, où va-t-on ? Et la liberté d’expression tu en fais quoi ? Et puis, il faut cesser de parler de Dieudonné, cela lui fait de la pub. Concentrons-nous sur l’ennemi principal, le Parti Socialiste. Et laissons s’exprimer tous ces jeunes, qui ne sont en fait que contre le système. Dont ils sont les victimes », me répète-t-on.
C’est vrai que Dieudonné est hilarant. Parmi tous les amuseurs qui sévissent, il est de loin le meilleur. Que la voie prise par le gouvernement est absolument grotesque. En matière de liberté d’expression, il n’y a pas de contrôle a priori mais un contrôle a posteriori, et c’est tant mieux. Et cette utilisation permanente, par des amateurs et bricoleurs incompétents, de la diversion, pour masquer les dramatiques échecs de ce pouvoir, devient carrément insupportable. Les voies juridiques administratives choisies, qui violent manifestement les libertés publiques, aboutiront à une impasse. Particulièrement délétère d’ailleurs. En effet, soit les différents juges administratifs saisis en référé-liberté, respectent le droit comme vient, fort justement, de le faire celui de Nantes, et annulent les arrêtés d’interdiction. Triomphe assuré pour Dieudonné. Soit certains refuseront d’annuler, et encourront l’accusation de servilité vis-à-vis du pouvoir politique. Renforcement du statut de martyr pour le même. Est-ce que le ministre de l’Intérieur attend qu’on applaudisse ?
Cette faculté de saloper et de disqualifier les meilleures causes est une caractéristique de ce pouvoir et de ces gens. À ce niveau, c’est quand même extraordinaire. Bêtise, cynisme, incompétence ? Probablement les trois à la fois.
Christiane Taubira, tout à la construction de sa statue d’icône de la petite gauche, interpellée par Le Canard enchaîné sur l’inertie du ministère de la Justice, est sortie quelques instants de son silence prudent. Mais pas folle, elle y est vite retournée. Il vaut mieux qu’elle évite les éclaboussures.
Et pourtant, la voie judiciaire est la seule praticable, et serait la seule efficace pour faire rendre gorge au petit affairiste antisémite. À condition aussi d’être de bonne foi.
Quant à la publicité faite à Dieudonné par les rodomontades de Valls, soyons sérieux. Internet est un formidable outil de communication dont Dieudonné et sa bande font depuis longtemps un usage intensif et efficace. Pour la publicité de leur petit commerce, ils n’ont besoin de personne. On trouve tout sur le net. Et en particulier des tribunes régulières dont le sujet principal est : l’étalage de la haine antisémite. Et qui sont vues à chaque fois par près de 3 millions de personnes.
Alors oui, on peut être en rage contre Valls et sa manœuvre de diversion. Mais cela ne doit pas conduire à cette drôle de complaisance vis-à-vis de ceux qui seraient « contre le système ». À partir du moment où ce système est présenté en permanence comme le fruit du « complot sioniste mondial », nouveau nom du complot juif, ça change quand même un peu la perspective, non ?
Parce que c’est là que ça coince. Vraiment.
Surtout quand cela s’accompagne, et se nourrit du négationnisme. Alors comme ça, l’antisémitisme éliminateur européen n’a jamais existé ? Adolf Hitler n’a jamais prononcé son fameux discours du Reichstag où il a « prophétisé » la disparition des juifs d’Europe ? La conférence de Wannsee ? Une blague. Les chambres à gaz ? Pensez donc, à Auschwitz on n’a « gazé que des poux ». La « Shoah par balles » ? Une fumisterie. Allez, chantons et dansons sur Shoahnanas avec Faurisson, en faisant des quenelles! Le tordant Dieudonné nous dit que c’est bon pour la santé !
J’avais été frappé par une réflexion d’une ancienne « enfant cachée » interviewée dans le cadre d’un documentaire sur « les petits » dont Brasillach ne voulait pas qu’on les oublie dans le voyage sans retour vers Auschwitz et qui, cachés à la campagne, sont rentrés sains et saufs pour attendre en vain leurs parents à l’hôtel Lutétia. Elle expliquait la différence d’attitude avec la majorité des Français qui se réjouissaient de la victoire et fêtaient la Libération. « Cette guerre, nous, nous l’avions perdue ».
Le sentiment d’avoir, peut-être une petite dette ? Vis-à-vis d’un certain nombre de potes, aussi. Qui avaient connu cette période. Des résistants juifs, de sacrés combattants. Ils portaient de drôles de noms. Krasucki, Rappoport, Jacob, Lederman, Nordmann. Il y en avait un qui s’appelait Armand Dimet. Son vrai nom, c’était Abraham Dimenstein. Je n’ai jamais osé lui demander pourquoi il l’avait changé. Avec eux, et peut-être pour eux, on avait mené, et gagné le combat contre Faurisson. Une lutte politique, éditoriale, judiciaire, universitaire, et pour finir juridique contre « les assassins de la mémoire ». Les rendre eux et leur combat, qui n’est rien d’autre que la tentative d’absolution du nazisme dans sa part la plus épouvantable, infréquentables, oui, et pour finir condamnables1. Je croyais que nous y étions parvenus. Eh bien non, le héros du jour les fait monter sur scène…
« Écoute, tu ne vas pas recommencer avec ton pathos sentimental et dépassé ! On te dit 14-18, tu fais l’appel aux morts. On te dit Front National fréquentable, tu réponds Vichy ! Et là, on te dit, liberté d’expression, lutte prioritaire contre le « système », Dieudonné, ce n’est que de l’humour et tu réponds négationnisme. Tu nous casses les pieds ! », m’oppose-t-on.
On a commencé par une petite chanson, on va terminer de la même façon. Alain Souchon cette fois-ci, grand pourvoyeur de petits cailloux. Je n’ai pas envie que mes enfants que j’ai emmerdés avec ces histoires (La liste de Schindler obligatoire à partir de 12 ans) fassent des quenelles en me chantant : « Tout ce que tu m’as dit vieux Bob Dylan maudit, tout ce que tu m’as dit, c’était menti … »
Non, c’était pas menti.
- Nous parlons ici de l’adoption de la loi dites loi Gayssot qui fut le signataire, de la proposition de loi communiste à l’Assemblée nationale. Il aurait mieux valu qu’elle s’appelle loi Lederman, le sénateur communiste qui signa la proposition au Sénat. Cela aurait eu plus de sens qu’elle porte le nom de ce juif d’origine polonaise arrivé en France à 14 ans sans parler un mot de français, ancien résistant couvert de médailles et le meilleur orateur du Sénat tant qu’il y siégea. Ce texte, qui fut un aboutissement d’un combat politique, se voulait le dernier clou sur le cercueil du négationnisme français. Double échec : il a provoqué l’inflation stupide des lois mémorielles, et n’a pas empêché le retour de Faurisson sur scène sous les applaudissements. Il va falloir trouver autre chose. ↩
La persécution des jeunes écervelés qui ont fait la quenelle, et leurs condamnations à des peines lourdes par des tribunaux déférant aux ordres des organisations communautaires juives est une catastrophe aux répercussions incalculables. Il est incompréhensibles que ces gens, que l’on croyait intelligents, commettent de telles bévues.
Car au fond, cela revient à abroger le principe de la légalité des peines. J’ai fait des études de droit, il y a très longtemps, et je me souviens bien de ça: Beccaria, au XVIIIe siècle: « nullum crimen, nulla poena, sine lege ». Élémentaire principe du droit, comme l’habeas corpus. Les organisations juives inquiètes ont-elles le droit de revenir là-dessus?
J’attends toujours que l’on me cite le texte qui interdit spécifiquement ce geste du bras, dont il reste à prouver qu’il se réfère au salut nazi. Et d’ailleurs le salut à la romaine, ou Hitlergruß, ou salut olympique, est-il même explicitement prohibé en droit français? En droit suisse il ne l’est pas, selon un arrêté récent du tribunal fédéral.
Il y a quelques années la CICAD (l’équivalent du CRIF en Suisse romande) a exigé, et obtenu le licenciement d’un jeune pompier professionnel de Genève, coupable de quenelle. Ce jeune homme a donné une interview dans l’appartement de sa famille où l’on pouvait voir une mesouza sur la porte et un magnifique chandelier à sept branches à l’intérieur. Le pompier nazi était juif. Cette interview à fait beaucoup le buzz dans l’Internet suisse.
Comme disait monsieur François Mitterrand: « Qu’est-ce que ça veut dire? C’est l’entretien de la haine. »
Cette attitude des organisations juives est absolument suicidaire en plus d’être profondément idiote.
Il s’agit vraiment d’un problème très grave. Car il en va de la définition des sources du droit.
Au temps de mes études j’avais appris que les sources du droit sont la loi, bien entendu ; la jurisprudence, qui interprète la loi ; le droit prétorien où le juge peut faire acte de législateur en cas de lacune de la loi ; et enfin dans certains cas la coutume.
Mais aujourd’hui il faut admettre que, de fait, il existe une cinquième source du droit, qui prime les quatre premières: il s’agit des sautes d’humeurs, sensibilités épidermiques, sympathies ou antipathies, crispations et idiosyncrasies diverses des organisations juives prétendument représentatives. A cela aucun pouvoir, ni exécutif, ni législatif ni judiciaire, ne peut rien objecter. Toutes les oukases du CRIF ou de la CICAD (en Suisse) sont des décrets d’application immédiate.
Ce propos pourra être considéré par certains comme un peu persifleur, ou excessif. Il n’est que conforme à la stricte réalité factuelle. Et cela constitue une dérive très grave, observable par tout le monde, et qui ne peut pas ne pas causer de graves ressentiments antisémitiques dans l’opinion.