Dans l’entretien qu’il a accordé à Causeur, Philippe Martel, chef de cabinet de Marine Le Pen, apporte sa contribution à un travail entrepris par la direction du Front National depuis quelques mois. Il s’agit de mettre en avant des gens qui, en se revendiquant de leur passé, contribuent à l’entreprise de respectabilisation du parti. Qui ancien UMP, qui ex-chevènementiste, ex-séguiniste, gaulliste vous disent : « Nous n’avons pas changé, c’est le Front qui l’a fait ». Petit exercice, qui répond d’ailleurs à celui, caricatural et dérisoire, actuellement entrepris par Libération qui met en scène et donne la parole à des gens qui ont été au FN de bonne foi et en sont revenus tout chose…
Alors, nous dit Monsieur Martel, après Florian Philippot, le Front National serait un parti comme les autres, qui poserait les bonnes questions, dont les dirigeants seraient fréquentables et qu’il faudrait considérer comme appartenant à « l’arc républicain ». Désolé, mais tout ceci nécessite d’accepter au préalable une imposture. Les glapissements des antifascistes de pacotille de la petite gauche à l’égard du FN sont insupportables, mais ce n’est pas une raison pour marcher dans la combine. Entendre des apostats, aux parcours tout de sinuosités, tout d’aller-retours bizarres, titulaires de préférence d’un passage (vrai ou faux) dans l’aventure Chevènement du début des années 2000 ou se revendiquant de Philippe Séguin, venir nous donner des leçons, de républicanisme, de laïcité, de préoccupations sociales, et le pire, des leçons de gaullisme, voire de marxisme, c’est profondément énervant ! Pour qui connaît un peu l’histoire, voir annexer Valmy, le « petit père Combes », et maintenant Charles de Gaulle ne peut que mettre en rage. Comme de voir Philippot avec des fleurs à Colombey !
Cela oblige d’ailleurs ces petits télégraphistes à des contorsions risibles. Que nous dit l’interviewé ? «C’est ce que j’ai, hélas, mis du temps à comprendre : derrière les traités européens se cachent des politiques économiques et sociales ultralibérales » Sans blague ? Depuis Jean Monnet, le représentant en cognac, fourrier, dès la deuxième guerre mondiale, d’une intégration européenne strictement économique, libérale, et au service de la puissance américaine, on sait très bien à quoi s’en tenir. Eh bien, dites donc, ou Monsieur Martel est spécialement « dur à la comprenette » comme on dit à Toulouse, ou il nous prend pour des imbéciles !
Qu’est le Front National, d’hier et d’aujourd’hui (car c’est le même) ? En aucun cas un parti fasciste ou fascisant, cette accusation est (volontairement ?) infondée. Il s’enracine en fait dans un vieux courant qui existe depuis longtemps dans notre pays, que l’on va qualifier en se référant à René Rémond, de droite réactionnaire entretenant avec le siècle des lumières et la Révolution un rapport de rejet. Courant éminemment français, qui a produit écrivains et penseurs parfois de grande qualité, mais rarement des hommes politiques dignes de ce nom. Le 6 février 1934, il y eut dans la société française des tentations autoritaires, mais le fascisme y était étranger. Et d’ailleurs ce spasme particulier a donné naissance à l’inverse, c’est-à-dire le Front Populaire. C’est juste après que se produira la souillure. Celle de la trahison de 1940 et de l’installation d’un régime de droite réactionnaire spécifique dans les fourgons de l’étranger. Il y avait bien sûr quelques nazis français dans les collaborationnistes, mais l’idée centrale était celle d’une revanche sur le Front Populaire et aussi sur la Révolution française. Les actes constitutionnels du 10 juillet 40 commencèrent par supprimer le mot de République. Dès ce moment-là, tout ce qui composait ce courant, vouait à de Gaulle qui était leur antithèse, une exécration qui ne s’est jamais démentie.
Pour des raisons d’unité nationale face aux prétentions américaines, de Gaulle n’enclencha pas immédiatement une épuration sévère même s’il s’opposa à l’amnistie de 1953. La IVe République fut bonne fille. Grâce à la guerre froide ce courant n’eut de cesse que de préparer sa revanche. En construisant la légende mensongère d’une épuration sanglante et aveugle, en amalgamant, en noyautant, comme par exemple le mouvement poujadiste dont Jean-Marie Le Pen fut un des premiers députés. La guerre d’Algérie lui fournit une occasion en or. La lâcheté socialiste de 1956 donnant les pleins pouvoirs à une armée divisée, désorientée et prise en main parfois par des officiers issus de l’armée de Vichy qui avaient prudemment attendu 1944 pour combattre l’ennemi. La France ne passa pas si loin d’une guerre civile que nous évita la virtuosité politique de Charles de Gaulle en 1958. La haine à son égard redoubla. L’exécration prit des proportions délirantes, les tentatives d’assassinats se multipliant. À ce sujet, j’invite à lire la déclaration liminaire de Jean-Marie Bastien Thiry à son procès. On pourra la comparer avec celle de Hélie Denoix de Saint Marc au sien, après l’échec du putsch d’Alger de 1961 (celle d’un homme d’honneur). L’hégémonie politique du gaullisme fit basculer ensuite l’extrême droite française dans un revanchisme groupusculaire. Dont elle ne sortit qu’avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981… Aidé par le cynisme mitterrandien qui vit là une belle opportunité tactique de gêner la droite républicaine.
Jean-Marie Le Pen appartient, personnellement, culturellement, politiquement à ce courant. Toute sa trajectoire, ses prises de position, ses emportements, sa vie même en témoignent. Ce parti a été créé par ces gens-là, dirigé par ces gens-là (il l’est toujours), façonné par eux. Et l’élection de sa fille à la présidence aurait, d’un coup de baguette magique, aboli le passé, et fait de ce parti le représentant actuel d’un gaullisme social mâtiné de chevènementisme? Un mouvement défenseur acharné de la laïcité alors qu’il comporte son lot de cathos intégristes, un parti républicain alors que ses dirigeants sont les héritiers de ceux qui ont assassiné la République en 1940 ? Mais de qui se moque-t-on ? Nous sommes en présence d’une imposture strictement opportuniste. D’un mensonge.
Les électeurs du Front National ne sont pas des « salauds », sûrement pas des fascistes. Ils ne méritent aucun mépris. Les motivations de leur vote sont diverses, mais elles sont souvent l’expression d’une rage, d’une colère, d’un sentiment d’abandon. Leur but n’est pas d’amener ces gens-là au pouvoir d’État. Les élections européennes, sans enjeu institutionnel direct, et grâce à l’abstention vont en être la démonstration.
C’est la raison pour laquelle l’attitude actuelle de la « petite gauche » qui s’imagine s’en sortir en réactivant les vieilles recettes des années 80, en essayant d’enrôler des antifascistes naïfs, est particulièrement scandaleuse. Crier au loup fasciste, cela ne marche plus. Et au contraire, compte tenu du niveau de disqualification de ces élites roses, cela produit l’effet inverse. Et c’est probablement ce qui est cyniquement recherché pour tenter de sauver les meubles aux élections municipales. Bravo la conscience civique !
Mais pour autant la réaction ne doit pas consister à faire du Front National un parti comme les autres. Sous prétexte qu’Harlem Désir et David Assouline en disent des âneries, lui décerner des brevets d’honorabilité. Ne nous laissons pas abuser par Philippe Martel, Florian Philippot et consorts. Il ne faut pas leur refuser la parole, mais dénoncer l’imposture.