Municipales : la destruction du socialisme municipal.

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Analyser le résultat d’un scrutin est un exercice difficile. C’est la raison pour laquelle les grands spécialistes de la carte électorale, souvent des démographes, mettent plusieurs mois pour cela, à partir d’une analyse entomologique, quartier par quartier, bureau par bureau.

C’est en fait une recherche de sens. Que s’est-il réellement passé et quels enseignements en tirer ? L’analyse à chaud peut faire dire des bêtises et en particulier sur ce qu’ont exprimé les électeurs…

Le Président de la République nous a dit qu’il avait « entendu le message des Français ». Au-delà de la banalité consternante de la formule, on peut se demander s’il ne s’est pas trompé de fréquence. Il a remis en selle le gouvernement de Pierre Bérégovoy, espérant ainsi, par cette opération de diversion transparente, esquiver rapidement un véritable débat sur le désastre et ses causes.

Probable que cela ne fera pas long feu, François  Hollande inversant à cette occasion la fameuse phrase du prince Salina dans Le Guépard : « il ne faut rien changer pour que rien ne change ». Et en transformant son gouvernement en un congrès du PS permanent.

Il faudra donc attendre un peu. En évitant les raccourcis  faciles, ou les explications à l’emporte-pièce.

Il y a cependant un constat que l’on peut faire dès maintenant, c’est celui de l’effondrement brutal du socialisme municipal.

Au préalable, permettons-nous quelques petites observations.

On s’étonnera en premier lieu qu’aveugles et sourds, le pouvoir et les médias n’aient pas vu arriver la catastrophe. À ce titre, relire les avis autorisés, se rappeler les confidences et les éléments de langage distillés (le président allait « enjamber » le scrutin…), revenir sur les sondages du mois précédent le premier tour, constituent un plaisir de fin gourmet. Mais peut légitimement susciter des inquiétudes sur le niveau de nos élites.

La guerre des Fronts dont Causeur s’est fait l’écho ? Aucune conclusion ferme ne peut déjà être tirée. Les gains du Front national sont-ils si significatifs ? Il fait partie, depuis trente ans, du paysage politique français. Le gain d’une douzaine de villes (un peu plus qu’en 1995) n’a rien d’ébouriffant. Le Front de Gauche, quant à lui, aurait bien du mal à avoir les idées claires en comparant la victoire relative et très particulière (merci Dominique Voynet) de Montreuil et ses désillusions lilloise ou toulousaine par exemple. Ne pas surinterpréter Grenoble non plus, même si cela amène du grain à moudre au projet de « nouvelle alliance » du Parti de Gauche et EELV. Sans le PCF d’ailleurs, la carpe et le lapin ayant quelques soucis de cohabitation.

Le pauvre PCF lui, en est à l’utilisation des métaphores napoléoniennes pour illustrer l’agonie qui se poursuit. Le site du mensuel Regards titre un article : « la Bérézina, pas Waterloo » . Le passage de la Bérézina par la Grande Armée avait paraît-il permis d’en sauver une partie. Donc, si l’on comprend bien la métaphore, Waterloo c’est pour le prochain coup ? Réjouissant optimisme !

Le constat quant à lui, est donc relatif aux conséquences concrètes de ce scrutin. Et à la première d’entre elles, l’effondrement du socialisme municipal.

Les chiffres sont assez effarants. Ce que le PS avait construit en trente-cinq ans vient de partir en fumée. S’il conserve quelques grandes villes tout en perdant la plupart des grandes intercommunalités, il est quasiment éradiqué des villes moyennes. La fameuse « vague bleue » de 2001, prélude au terrible échec de Lionel Jospin aux présidentielles de 2002, avait vu 69 villes de plus de 9000 habitants passer de gauche à droite, mais 32 passaient de droite à gauche. Cette fois-ci, c’est 170 qui tombent dans l’escarcelle de la droite, contre seulement trois ou quatre qui font le chemin inverse ! Pour mesurer l’importance du désastre, l’analyse des causes profondes étant pour plus tard, un petit retour en arrière est nécessaire. Au début des années 70, le PCF était le premier parti de gauche. Il disposait d’une base municipale à la fois solide et originale qui était une de ses grandes forces. La SFIO pratiquait dans les villes l’alliance avec la droite (Jean-Claude Gaudin a commencé sa carrière sur les listes de Gaston Defferre…). L’union de la gauche, le programme commun de 1972 et la dynamique enclenchée par l’élection présidentielle de 1974 ratée d’un cheveu, amena au profit de cette union, un tsunami électoral aux municipales de 1977. Le PCF mesurant que cette alliance équivalait probablement au baiser de la mort, ne put que constater qu’elle profitait surtout au PS. Celuic-ci, à partir de cette date, a disposé d’une base municipale importante qu’il put malgré quelques aléas faire fructifier en prenant à la fois à droite et à gauche, dépouillant méthodiquement un PCF qui avait commencé son déclin.

Jusqu’aux élections de 2008  où l’impopularité de Nicolas Sarkozy permit à la gauche,  pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, de récupérer le Sénat. Cette implantation municipale constituait un atout considérable. Une base politique avec la possibilité d’une armature de dirigeants, d’ailleurs souvent arrivés dans la vague de 1977 encadrant les générations suivantes. Une base professionnelle, la gestion publique locale devenant après les lois de décentralisation un espace d’exercice du pouvoir formateur à la fois pour les élus et leurs collaborateurs, mais aussi les fonctionnaires territoriaux d’autorité souvent recrutés parmi les amis politiques. Et enfin une base matérielle essentielle. Indemnités de fonction, emplois de cabinet, subventions aux associations amies, stratégies d’embauche ciblées, tout cela permettait de faire vivre beaucoup de monde et d’avoir beaucoup de fidèles. C’est terminé. Un rapide calcul permet de considérer qu’environ 4000 personnes au statut voisin de celui d’un permanent politique sont désormais à la rue, direction Pôle emploi. D’autres les rejoindront. Où les recaser ?

Il n’y a pas de raison objective pour que les scrutins régionaux et départementaux de l’an prochain soient plus tendres pour le parti de François Hollande. Actuellement,  il contrôle toutes les régions sauf 2 et 60 départements sur 100. Une simple projection des résultats du 23 mars derniers aboutit à la conservation de deux Régions et 30 Départements !

Participer efficacement aux campagnes pour les scrutins nationaux, sans un tissu municipal suffisamment dense va s’avérer très compliqué.

À l’hégémonie de la gauche, la droite s’était adaptée et une ancienne culture démocratique partagée permettait une gestion souvent consensuelle, comme le démontrait le fonctionnement des associations d’élus. Cette époque est révolue. Pour les équipes souvent jeunes qui viennent d’arriver aux manettes, l’heure est plutôt à la revanche et à la volonté d’isoler l’adversaire. Le traumatisme subi par le parti socialiste n’arrangera rien.

Alors, peut-on suivre Henri Emmanuelli lorsqu’il dit « que le PS est mort » ? On verra, mais en tout cas, depuis de nombreuses années, de parti de masse classique, il s’était transformé en parti de notables, de grands féodaux bien implantés, disposant du fait de la décentralisation de moyens et de pouvoirs importants.

Cette armature vient de lui échapper. Elle sera longue à reconstruire.

Régis de Castelnau

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