Jérôme Kerviel a eu du flair. Non pas dans le comportement un peu délirant qui fut le sien lorsqu’il était trader à la Société Générale où il a fait n’importe quoi. Causant la perte de milliards d’euros à son employeur et multipliant les manipulations pour masquer ses errements. Mettant en danger par la même occasion la banque et ses 160 000 emplois directs. Pour qu’au final, ce soit, comme d’habitude, le contribuable qui s’y colle, merci Monsieur. Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas d’exonérer la banque de ses responsabilités et de ses méthodes, mais nous sommes en présence alors d’une question politique. Qui se rattache directement la dictature de la finance dont le Président de la République nous avait pourtant dit « qu’elle était son ennemie ».
La justice pénale, c’est autre chose et comme la plus belle des femmes, elle ne peut donner que ce qu’elle a. Le juge pénal est saisi de faits. Il doit en établir la matérialité, et les qualifier juridiquement. Si la qualification relève d’une infraction prévue par le Code pénal, l’auteur sera poursuivi et condamné. La Justice n’est pas là pour faire de la morale, de la politique ou pour refaire le monde. Et dans cette affaire, il semble qu’elle ait fait convenablement son boulot. Instruction détaillée pendant laquelle la défense a pu jouer son rôle. Quatre semaines d’audiences publiques, ce qui est quand même assez inhabituel. Un premier jugement de 300 pages. Procédure d’appel, à nouveau trois semaines d’audience, et nouvel arrêt de 300 pages. Procédure de cassation qui confirme la régularité de la procédure et casse uniquement sur la question des intérêts civils. Ce dernier point ne remettant absolument pas en cause la réalité des faits commis par Jérôme Kerviel et leur caractère fautif. La messe est dite.
Et c’est là que Jérôme Kerviel a eu du flair. Il était défendu en première instance par l’un des meilleurs avocats de droit pénal des affaires : feu Olivier Metzner. Technicien et tacticien de haut niveau. Ce qu’exigeait la conduite de ce dossier. La lecture de la décision de première instance au-delà de son caractère austère et fastidieux, donne à penser qu’une réformation en appel aurait été très difficile. Comprenant que sa défense dans l’espace judiciaire était vouée à l’échec, il a compris qu’il fallait désormais qu’elle se déploie dans l’espace médiatique. Débarquant Olivier Metzner, il l’a confié à David Koubbi. Dont les performances devant micros et caméras, sont plus significatives que dans les prétoires. Héritier en cela de Jacques Vergès, de Gilbert Collard et quelques autres. Pour ne prendre qu’un exemple, Jacques Vergès dont la défense à la barre d’Omar Raddad avait été assez faible, avait retourné l’opinion publique en faisant du racisme le motif de la condamnation du jardinier. Alors que celle-ci résultait de la lourdeur accablante d’un dossier. Ne reculant devant pas grand-chose, Vergès avait assimilé Raddad au capitaine Dreyfus! Il fut suivi par quelques intellectuels en mal de cause et par une opinion publique versatile. À la demande du roi du Maroc, le jardinier obtint une grâce présidentielle à valeur d’absolution.
Avec une virtuosité impressionnante, David Koubbi a enrubanné quelques secteurs de la société française. D’abord les chrétiens qui culturellement, raffolent des martyrs. Un petit montage photographique pour une poignée de main avec le Pape, une randonnée pédestre qui renvoie aux pèlerinages de Saint-Jacques-de-Compostelle et de Chartres, l’affaire est faite. Ensuite, Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci en difficulté politique a décidé qu’il lui fallait un nouvel emblème. Va pour Jérôme Kerviel. Lui aussi comparé à Dreyfus, Kerviel, ancien candidat UMP, est transformé en victime de la finance redevenue l’amie de François Hollande. Très pratique, cela évite de mener les vrais combats contre Hollande, Moscovici et autres Karine Berger, relais efficaces des lobbys financiers et bancaires. La faute des juges on vous dit. Les médias enfin, qui cherchant le moyen d’échapper au lourd ennui de la campagne des européennes vont se jeter sur cette histoire du petit contre le gros, de l’innocence soi-disant bafouée, sans oublier de pimenter avec une pincée de people. Tout ça, pour donner de la décence à une pantalonnade indécente.
En face, ceux qui connaissent le dossier protestent, argumentent, mais qui les écoute ?
Et ce n’est pas Michel Sapin, qui ne manie que l’injure, qui risque d’y arriver. Après Nicolas Sarkozy qualifié de malfaiteur, il traite Kerviel d’escroc. Ça c’est de la pédagogie…
Je ne serai pas surpris qu’un prochain sondage donne une majorité croyant à la fable de l’innocence bafouée. Comment en est-on arrivé là ? Au-delà de l’habileté de David Koubbi et de son client, on peut s’interroger sur l’absence de crédibilité de notre justice. Parce que croire à cette innocence, implique de considérer que tous les magistrats qui ont été concernés par ce dossier soit au minimum une trentaine ont accepté d’aller à l’encontre de leur conscience pour couvrir les agissements frauduleux des dirigeants de la Société Générale. Or si ceux-ci, antipathiques et cupides font un boulot que l’on peut considérer comme sale, ils le font dans le cadre des lois existantes. Ce sont celles-ci qu’il convient de changer en menant le combat politique nécessaire.
Mais aujourd’hui, le discrédit qui pèse sur l’institution judiciaire est tel, que prétendre qu’elle est asservie à la finance est devenu naturel. Cette défiance qui rejoint celles dont souffrent les journalistes et les politiques est grave. À qui la faute ?
Les magistrats eux-mêmes en portent une lourde part. L’instrumentalisation de la justice à des fins politiques est devenue une habitude. L’incontestable acharnement, jusqu’à la caricature, du couple médias-justice contre Nicolas Sarkozy par exemple, les louvoiements ou les retards de l’institution à sanctionner d’incontestables débordements ont nourri cette défiance. Même si cela ne concerne qu’une infime partie des dossiers traités, l’idée est acquise que la justice française n’est pas impartiale. On nous rebat les oreilles avec l’indépendance en oubliant de dire que celle-ci n’est que le moyen d’arriver à la vertu cardinale qui est celle de l’impartialité. Comme l’a montré l’invraisemblable scandale du « mur des cons », la partialité est quasiment revendiquée.
Jérôme Kerviel rentre en prison avec l’auréole du martyr. Gageons que détenu modèle il bénéficiera de remises et d’aménagements de peine, voire d’une grâce opportune. Et ce sera tant mieux, car il se sera bien battu.