Ni angélisme, ni viol des règles élémentaires du droit. La guerre
La guerre. La guerre notre mère, comme la qualifiait Ernst Jünger. Que n’a-t-on entendu prononcer ce mot depuis quelques jours. La guerre, polemos, bellum celle que les hommes pratiquent depuis bien avant le néolithique comme l’ont établi archéologues et anthropologues, nous y serions, à nouveau plongés ? Dans 2001 l’odyssée de l’espace, Kubrick nous a montré homo erectus devenant habilis et commençant, par occire un congénère. Pour débuter une évolution qui l’amènera jusqu’à la conquête de l’espace. Saisissant raccourci d’un des plus somptueux raccords de l’histoire du cinéma qui peut nous dispenser de la lecture de Marx et de Darwin. En même temps qu’il accède à la connaissance, l’homme fait la guerre, continuant ainsi la politique par d’autres moyens comme nous l’a dit Clausewitz. Ou le contraire.
De Nicolas Sarkozy à François Hollande en passant par les politiques, les journalistes, les intellectuels, tous ceux que nous entendons depuis quelques jours nous assènent cette nouvelle évidence. Nous sommes en guerre disent ces désinvoltes. Maniant ce mot sans précaution probablement plus comme une métaphore que pour nourrir une prise de conscience. Ne créant que la confusion. Ce que les plus fins comprennent vite comme Dominique de Villepin ou Régis Debray par exemple, qui nous disent qu’il faut lutter contre le terrorisme avec les outils de l’État de droit et de la démocratie du temps de paix. Malheureusement c’est un piège.
Mais il faut y répondre, à cette question. Sommes-nous en guerre ? Notre pays vient d’être victime d’une attaque terroriste. Dirigée par des fanatiques qui s’en prenant à des symboles, choisis pour cela, nous en ont fait brutalement mesurer l’importance. Je n’aimais pas ce Charlie hebdo. Lecteur assidu de ses prédécesseurs, je considérais que la version Philippe Val était une imposture. La soi-disant bataille des caricatures ne relevant pour moi, que du marketing et de la posture. Mais j’ai ressenti la violence de l’agression. La colère s’ajoutant à l’inquiétude devant la montée de ce fanatisme délirant, régressif et barbare. D’Islamabad à Nouakchott, du Mali à l’Indonésie, de la Tchétchénie à la Libye de Boko Haram à Daech, de l’Algérie à Gaza, en passant par les talibans, l’islamisme a déclaré la guerre, d’abord aux musulmans mais aussi à l’Occident. Et je crois que la France a un problème spécifique lié à l’existence sur son sol d’une importante population d’origine maghrébine. Travaillée par la crise des identités et la crise économique qui jettent nombre de jeunes musulmans, mais pas seulement, dans les bras du fanatisme.
Dans l’histoire, la guerre a pris des formes diverses. Au temps des chasseurs-cueilleurs, c’était tribu contre tribu avec des taux de perte de l’ordre de 60 %. Le XXe siècle a d’abord vu des affrontements gigantesques, qui concernaient l’ensemble de la planète avec des taux de perte d’un peu plus de 1 %… Puis ce furent les guerres de libération nationale, des guérillas sans front. Des guerres asymétriques opposant gros et petits, se terminant en général par la victoire politique du petit. Depuis 20 ans, nous sommes confrontés au terrorisme islamiste. Qui a connu depuis quelques années une mutation considérable, puisqu’aujourd’hui il contrôle des territoires entiers. Et nous lance un terrible défi affichant et revendiquant une barbarie sans nom.
Le terrorisme est une guerre particulière, asymétrique, et insupportable. Quoique faiblement létale comparée aux conflits classiques. Il s’attaque par ses méthodes atroces à ce qui relève finalement de notre intime et de notre identité profonde. Alors probablement, faut-il lui faire la guerre. Mais avec les armes de la guerre. Car celle-ci a ses règles, ses méthodes, et quoi qu’on pense, son droit. N’oublions pas qu’il s’agit d’anéantir les forces de l’ennemi, et pour cela le tuer et le détruire. Dans ce cas, il vaut mieux le haïr.
La guerre, il faut d’abord décider de la mener. C’est la responsabilité du politique. Et dans un pays comme le nôtre, nous avons confié par notre constitution à des représentants la capacité de la décision. C’est ce politique qui doit la conduire, le militaire ayant en charge les opérations. Ce qui veut dire que si nous sommes en guerre, il faut savoir contre qui et quels sont nos objectifs. Et que ces questions relèvent de la décision politique. Qui est l’ennemi ? Charles De Gaulle, dans le fameux discours de l’Albert Hall du 11 novembre 1942, alors que la trahison vichyste avait brouillé les lignes, asséna cette extraordinaire tautologie : «La masse française est unie en réalité sur le premier impératif que voici : l’ennemi est l’ennemi. »
Dans une France où 10 % de la population est de confession musulmane, faire la différence entre l’islam et l’islamisme est fondamental. Son corollaire étant qu’une fois l’ennemi désigné, défini, là il faut choisir et dire de quel côté on est.
Le deuxième impératif c’est celui des buts de guerre. De Gaulle toujours : «le salut de la patrie n’est que dans la victoire ». Que voulons-nous ? Le pouvons-nous ? Comment le faire ? Classique matrice d’analyse stratégique. C’est le moment où le politique ayant répondu à ces questions passe le relais opératif aux militaires. Toujours sous son contrôle. Contrairement à ce que l’on peut penser, l’action militaire est extrêmement réglementée. La préparation, l’exécution obéissent à des procédures normées minutieuses fondées sur des principes qui ne sont pas ceux qui gouvernent la vie civile. Il existe un droit militaire, en temps de guerre des juridictions militaires, et surtout un droit de la guerre. La question des populations civiles, des prisonniers, la notion de crime de guerre etc.
Car se pose maintenant la question des méthodes. Lesquelles ? Et c’est là que cela devient terriblement compliqué. Je comprendrais qu’on puisse penser qu’elle est insoluble. Les guerres révolutionnaires ont montré en Algérie ou au Vietnam que des armées contrôlées de pays démocratiques pouvaient faire n’importe quoi. Les révélations sur le comportement des États-Unis depuis le 11 septembre sont quand même problématiques. Les interventions militaires classiques en Afghanistan ou en Irak ont débouché sur des catastrophes et n’ont fait, comme le relève Dominique de Villepin à juste titre, que renforcer le terrorisme islamique et lui donner encore plus de moyens. Les interventions indirectes comme en Libye ou en Syrie ont eu le même résultat. Quant aux interventions occultes une fois révélées, elles constituent autant de catastrophes morales.
Il existe un fort courant pour penser qu’il faut s’en remettre à la force démocratique de nos sociétés et utiliser les méthodes d’un État de droit en temps de paix pour faire la guerre au terrorisme. C’est à la fois une illusion et un piège. Une illusion, car appliquer contre le terrorisme les méthodes prévues pour la délinquance, la transgression du pacte social, c’est-à-dire user de la violence légitime à l’égard de ceux qui trahissent les règles de la communauté ne peut déboucher sur rien de sérieux. Le propre du droit pénal est d’intervenir à posteriori. Les infractions que l’on va poursuivre, en utilisant légitimement des mises en cause des libertés individuelles, doivent avoir reçu au moins un commencement d’exécution. Et ces procédures obéissent à un formalisme strict car si l’on entend punir les coupables il faut aussi protéger les innocents. Tout ce qui relève du renseignement préalable, des visites domiciliaires, des écoutes, des incarcérations, des filatures, des mises au secret, sont encadrées par des règles qui en émoussent considérablement l’efficacité dès lors qu’il s’agit du type de terrorisme auquel nous sommes désormais confrontés. Je suis personnellement totalement partisan du respect scrupuleux de ces règles comme par exemple la présence de l’avocat en garde à vue. Je pense que cette présence n’est pas souhaitable en matière de terrorisme islamique fanatique. Lutter contre celui-ci n’est pas un problème de maintien de l’ordre. Alors on va me dire, que je prône une justice et des mesures d’exception. Justement non.
Car le piège est là. Et il a déjà commencé à fonctionner comme très récemment avec l’adoption du texte concernant le contrôle d’Internet. Valérie Pécresse vient de nous twitter que nous avions besoin d’un « Patriot act » à la française. Ben voyons. Comme aux États-Unis, si les méthodes classiques d’un État de droit sont inefficaces dans la lutte contre le terrorisme, on nous proposera au fur et à mesure des lois restrictives et souvent liberticides qui finiront par illustrer ce dessin du New Yorker ou l’on voit un couple d’Américains enfermés dans une cellule de prison bardée de caméras, enfin protégés du terrorisme.…
Finalement, le choix auquel nous sommes aujourd’hui confronté peut se définir simplement. Soit nous considérons vraiment que nous sommes en guerre et nous nous donnons les moyens de la faire et de la gagner en confiant aux militaires la mission qui doit être la leur. Soit, nous nous en remettons aux règles d’un État démocratique en temps de paix et dans ce cas-là, il faudra en payer le prix. La restriction progressive de nos libertés, ou l’acceptation de ce terrorisme endémique particulièrement dangereux pour notre société française.
Si ce choix peut se définir simplement, le régler et une autre paire de manches. Et d’ici là il faudrait éviter de parler à tort et à travers.