Thalys: haro sur l’avocate!

 

Thalys

Même les terroristes ont droit à la défense

La séquence qui vient de se dérouler après la tentative terroriste du Thalys est révélatrice. L’irruption dans l’Histoire des trois gamins qui ont joué les héros, incarnant à la perfection ce que l’Amérique peut avoir de sympathique, a donné à ce qui aurait pu être une épouvantable tragédie une dimension de fraîcheur réconfortante en ces temps difficiles. Comme ces jeunes gens avaient mis la barre assez haute, il ne fallait pas être en reste. Hormis ce pauvre Jean-Hugues Anglade immédiatement à côté de la plaque, il n’y a pas eu beaucoup de fausses notes. Les politiques ont récupéré sans trop en faire, l’anti-américanisme s’est fait discret, les « padamalgam » intempestifs ont été minoritaires, et les complotistes gênés aux entournures. Jusqu’à François Hollande, pour une fois dans le ton. Quelques jours de consensus de temps en temps ce n’est pas désagréable. Alors, pour atténuer la mélancolie de la rentrée, une semaine de « tout le monde il est beau tout le monde il est gentil » ? Même pas en rêve. Un week-end, c’est bien suffisant, sinon vous allez vous habituer.

J’avais déploré dans ces colonnes la destruction du secret professionnel des avocats sous les coups de certains magistrats, du Parti socialiste et du Conseil constitutionnel, s’appuyant sur une opinion publique qui tient majoritairement les avocats pour des complices. Faut-il considérer que désormais les avocats s’y mettent aussi ?

Celle qui a assisté Ayoub El Khazzani lors de sa garde à vue à Arras n’a pas eu de chance. Elle s’est trouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Commise d’office, elle a dû rappliquer à 22 heures pour assister celui qui faisait la “une” des médias du monde entier. C’était son devoir, elle l’a accompli. Mais si la présence de l’avocat en garde à vue est quelque chose de nouveau, le mieux serait quand même de ne pas oublier quelques fondamentaux. À commencer par le secret professionnel, rappelons-le, qui doit rester absolu. Auquel il faut ajouter le libellé très strict de l’article 63-4-4 du Code de procédure pénale « Sans préjudice de l’exercice des droits de la défense, l’avocat [qui a assisté le gardé à vue] ne peut faire état auprès de QUICONQUE pendant la durée de la garde à vue ni des entretiens avec la personne qu’il assiste, ni des informations qu’il a recueillies en consultant les procès-verbaux et en assistant aux auditions et aux confrontations. » Or nous avons eu droit à une rafale d’interviews à tort et à travers pour le moins inopportunes.

Le monde entier a été immédiatement informé du contenu de l’entretien du présumé terroriste avec son avocat ! Rien ne nous a été caché. Son état second, ses prises de tranquillisants, ses explications et justifications. Son premier système de défense sur le projet d’une attaque de train à l’ancienne, avec des armes de guerre trouvées dans un square. Explosion de l’infosphère, non pas pour fustiger cette violation des règles, mais pour vilipender l’avocate de l’avoir soi-disant reprise à son compte, voire, comme tout boutiquier retors (sic), de l’avoir soufflée à son « client ». Vu la violence de la clameur, la malheureuse a jugé opportun de battre en retraite, et pour se justifier de livrer de nouvelles interviews. Pour dire qu’elle ne croyait pas à la thèse du SDF ! Tirant le dos de celui qu’elle était censée défendre, en le traitant de menteur. Et histoire d’être débarrassé de cette histoire, rappeler qu’Ayoub El Khazzani ayant été transféré à Paris, un autre confrère avait pris le relais. Ouf !

Compte tenu du tourbillon et de la pression dus à un événement hors normes, cette avocate a toutes les excuses. Mais le plus tristement significatif a été la réaction des médias et des réseaux sociaux. Elle croit bon de répercuter la position de son client ? Immédiatement, déchaînement, quolibets et injures. Un lynchage médiatique en règle. Pas pour déplorer la violation des principes, mais pour contester une fois de plus les règles d’un État de droit. En France, les avocats sont des complices. C’était bien le reproche principal fait à la malheureuse commise d’office. Pas d’avoir maladroitement maltraité ces règles impératives mais d’avoir accepté, en les appliquant, de défendre un pareil salaud.

La petite fraîcheur dispensée par les trois compères de Sacramento s’est vite dissipée. Et ce d’autant qu’un journaliste s’est rendu dans la capitale de la Californie pour assister avec les familles des héros à la remise de Légion d’honneur. On entend dans le brouhaha à la fin de l’émission la voix d’un des frères poser la question : « c’est qui le maître de cérémonie, celui qui a remis les médailles ? » Réponse un peu gênée du journaliste français : « c’est le président français ». Nouvelle réplique incrédule : «Ah c’est leur Obama à eux. »

La récré est finie, retour au réel.

 

Régis de Castelnau

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