Nouvelle interview réalisée avec Eugénie Bastié. Sujet du jour : « les sondages de l’Élysée »
Ceux qui auront la flemme de lire cette petite tartine peuvent se contenter de la vidéo ci-dessous.
« Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d’économie mixte d’intérêt national chargées d’une mission de service public et des sociétés d’économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l’une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. »
Ce texte adopté pour la première fois en 1991 a créé une nouvelle infraction qui a été reprise dans le nouveau Code Pénal promulgué en 1994. Il est appelé familièrement : « le délit de favoritisme », juridiquement « octroi d’avantage injustifié ». Termes qui sonnent bien et que la presse reproduit avec gourmandise dès lors que des élus sont mis en cause. C’est une infraction qui est plutôt dans la partie basse de la hiérarchie des gravités. Elle a été créée en fait pour lutter contre la corruption dans les marchés publics qui était devenue l’outil principal de financement des partis dans les années 80. La corruption suppose un pacte et le versement d’une contrepartie à l’attribution d’un marché public. Cela étant difficile à prouver, on a créé cette « infraction obstacle » qui permet de sanctionner pénalement les irrégularités sans avoir à prouver qu’il y a eu enrichissement.
C’est ce texte qui est utilisé dans la procédure dite des « sondages de l’Élysée » où les mises en examen par les juges d’instruction du pôle financier tombent comme à Gravelotte. La dernière en date concerne Pierre Giacometti.
Comme à Patrick Buisson, il est reproché d’avoir bénéficié d’importantes commandes de l’Élysée sous Nicolas Sarkozy pour des sondages et des études d’opinion. Comme on a pu le constater il y a quelques jours avec la diffusion d’un documentaire sur l’Élysée sous François Hollande, le Président de la République Française ne gouverne plus il communique. Les besoins de matière première pour ajuster la communication sont par conséquent importants. Leur satisfaction fait le bonheur professionnel et la prospérité de ces «spin doctors ».
La Cour des Comptes n’a pas toujours contrôlé la Présidence de la République. Jusqu’alors, il était considéré que celle-ci était hors de son périmètre. Pour faire joli, Nicolas Sarkozy a décidé en 2009 de mettre fin à cette pratique ancienne et a invité la Cour à venir contrôler l’Élysée. Dans son rapport, celle-ci releva que la Présidence « n’utilisait pas les possibilités offertes par le Code des Marchés » en matière d’achat. Ainsi rédigé, le rapport ne signalait pas une « illégalité » mais le défaut d’utilisation de procédures permettant d’optimiser la dépense publique. La personnalité de Patrick Buisson et l’anti sarkozysme ont fait de cette affaire un scandale médiatique, devenu rapidement médiatico-judiciaire. L’association Anticor déposa alors une plainte pour « délit de favoritisme ».
Dans un premier temps, le parquet classa sans suite, puis la chambre d’instruction valida le refus d’informer. Après l’élection de François Hollande, la Cour de Cassation prit une position inverse permettant l’ouverture d’une information judiciaire (une de plus !) qui pouvait concerner Nicolas Sarkozy de près ou de loin. La routine ?
Ne connaissant le dossier que par les parties aimablement communiquées à la presse et publiées par celle-ci, on ne se permettra aucune remarque factuelle, simplement quelques observations juridiques.
Plusieurs questions viennent immédiatement à l’esprit.
La première est relative à l’obligation qui serait faite à la Présidence de la République d’appliquer le Code des Marchés pour ces achats. Depuis le Général de Gaulle jusqu’à la survenance de cette affaire, les procédures prévues au Code n’ont jamais été utilisées. Les juges d’instruction du pôle financier partent du principe que la Présidence de la République y serait pourtant soumise. Et que par conséquent le fait de ne pas y avoir eu recours entraîne la commission du « délit de favoritisme ».
L’article 2 du Code des Marchés définit qui y est soumis : « L’État et ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial ». Cette simplicité ne nous arrange pas, le simple terme État n’étant pas très opératoire. Et le Président de la République (personne physique) fait l’objet d’un statut très particulier dans la Constitution. Le raisonnement qui consiste à considérer que sous la monarchie républicaine qu’est la Ve République, le Président bénéficie d’une certaine latitude est recevable. Et qu’il aurait ainsi hérité de la pratique de la « cassette royale ». Il n’y a pas si longtemps, le Premier Ministre bénéficiait des considérables fonds secrets. Rappelons que la Cour des Comptes ne contrôlait pas la Présidence jusqu’à l’initiative saugrenue de Nicolas Sarkozy et que sous Charles de Gaulle dont la rigueur et la rectitude financière ne sont pas soupçonnables, on n’appliquait pas non plus le Code des Marchés.
Par ailleurs, il faut rappeler que le droit de la commande publique est d’abord un droit de la concurrence. L’essentiel des procédures qui encombrent les tribunaux administratifs sont le fait des «candidats évincés». Cela risquerait de devenir amusant si le Conseil d’État était saisi de « recours pour excès de pouvoir » du Président de la République pour des achats effectués de vins fins chargés de garnir la cave dans la perspective des réceptions officielles. Château Margaux vs Château Latour… L’obligation pour l’Élysée de passer par le Code des Marchés pour ces achats est donc assez discutable. Premier problème.
On me dira, si c’est cependant le cas, que par le biais des procédures de « délit de favoritisme » le juge pénal pourrait ainsi contrôler l’inobservation du Code des Marchés. Déjà, le juge pénal avec ce texte très récent, n’est pas là pour contrôler la régularité des procédures (c’est le travail du juge administratif) mais pour sanctionner des comportements pénalement répréhensibles.
Mais admettons. Nouveau problème, le chef de l’État qui donne les ordres pour passer les commandes bénéficie pendant toute la durée de son mandat d’une immunité pénale. Pour embêter Sarkozy, on a mis en examen ses collaborateurs pour n’avoir pas respecté les procédures, et les prestataires choisis pour recel. Le problème est que les collaborateurs de la Présidence qui sont des agents publics, ont du fait de l’article 25 du statut de la fonction publique un « devoir d’obéissance ». Il leur suffira d’invoquer l’ordre de l’autorité hiérarchique à savoir le Président de la République. Dans ce cas la responsabilité pénale remonte à celui qui a donné l’ordre. Et comme il bénéficie de l’immunité pénale….
Tout ceci donc, ne devrait pas concerner le juge pénal. Si l’on veut que la Présidence de la République soit contrainte de passer des appels d’offres pour ses achats et en particulier ses études d’opinion c’est une question qui relève du législateur. On peut se poser la question de l’intérêt de telles procédures pour choisir des prestataires en lesquels, il est quand même nécessaire d’avoir confiance. Imaginons que François Hollande commande une étude d’opinion et que Patrick Buisson réponde à l’appel d’offre. Et se retrouve le mieux disant…
Ah oui mais non, il s’agit de Nicolas Sarkozy. On ne va pas quand même pas priver la presse de ses feuilletons. Et ses adversaires mais surtout ses amis de la possibilité d’en être débarrassé par les juges.
vous avez toujours un humour plaisant , de rendre agréable le droit ,d’un naturel austère …..